L’exposition s’inscrit dans la dynamique des expositions précédentes au musée Denon (de Gérard Collin-Thiébaut en 2002 à Jean-Louis Faure en 2009, en passant par Erró ou Jean-Jacques Lebel), et révèle à nouveau une mise en perspective de l’histoire de l’art, de sa reproduction et de la fonction de l’image. Humble copiste et fin connaisseur de l’œuvre de Marcel Duchamp, André Raffray (1925-2010) a conçu son musée d’art moderne par l’appropriation des œuvres qui le fascinaient. Il reconstruit l’histoire de l’art à sa manière, échafaude de nouvelles règles qui reposent sur la transmission de la connaissance de l’art et sur le mythe qui s’attache à l’histoire des formes.
Le Boisgeloup sous la pluie de Pablo Picasso A l’origine, Duchamp…
Recommencer mais pas refaire : André Raffray a construit son travail à partir de la confrontation de l’original à la copie, du point de vue et du motif à la technique picturale, à la photographie et au cinéma. Avant de devenir le peintre de la peinture, André Raffray, responsable de l’atelier d’animation de Gaumont, a réalisé de très nombreuses gouaches pour les Brigades du Tigre, une des premières séries télévisuelles à succès. Il s’agissait de mêler faits divers et problèmes de société à travers l’histoire des polices parallèles de Georges Clemenceau. Le parti pris historique, qui s’appuyait sur une documentation précise, donna l’occasion à André Raffray de se confronter à la reconstitution. Il participa également à l’illustration de l’Encyclopédie audiovisuelle du cinéma français, dirigée par Claude-Jean Philippe. La commande d’une série d’illustrations sur la vie de Marcel Duchamp (12 gouaches, 1976-1977) pour l’inauguration du centre Georges Pompidou en 1977 décide de son orientation. Tout débute par l’image de l’œuvre considérée, sa reproduction, puis l’enquête autour du motif.
Recommencer le sujet des autres
André Raffray se revendiquait comme l’artiste qui recommence le sujet des autres avec ses propres moyens. Il repérait le lieu du tableau (Etretat pour Monet ou Collioure pour Matisse) et le photographiait, puis le peignait au format de l’œuvre originale à condition que le site fût vraiment symbolique de l’artiste et qu’il suscitât l’émotion nécessaire. Les diptyques de portraits d’artistes célèbres (Picasso ou Giacometti), de paysages, introduisent la confrontation entre la copie de l’œuvre et la représentation du site ou du sujet. Ainsi s’installe le trouble entre l’image originale, le lieu d’origine et la reproduction. L’utilisation des crayons de couleur instaure une distance et une illusion supplémentaires. Les déchirures ont débuté avec le constat du changement du site représenté : ce qui n’existait plus dans le paysage peint par un artiste (Turner, Seurat) a été déchiré de la photographie et recommencé aux crayons de couleur d’après la toile du maître ; ce qui existe encore, constitue l’autre partie de la photographie et du tableau. Virtuosité, fétichisme et passion de l’histoire de l’art sont les qualités intrinsèques du travail d’André Raffray, qui s’élabore véritablement à partir de l’étude de l’œuvre de Marcel Duchamp, réalisée pour la commande du centre Georges Pompidou.
Le diptyque de Jean-Michel Basquiat Le voyage à Philadelphie
L’expérience des Brigades du Tigre nourrit sans doute le processus de choix des épisodes à illustrer comme la mise en image narrative. Pour la dernière gouache, André Raffray, à court de documentation, se rend au Philadelphia Museum of Art afin de mener l’enquête sur Étant donnés, 1) la Chute d’eau, 2) le Gaz d’éclairage (1946-1966), la dernière œuvre de Marcel Duchamp, révélée au public en 1969, neuf mois après sa mort et souvent qualifié de « viol visuel ». Cette installation oblige le visiteur à devenir un véritable voyeur, matérialisant la conception esthétique de Duchamp, pour qui l’œuvre n’existe pas en soi mais dans le regard du spectateur. Á travers deux orifices d’une vieille porte de grange, celui-ci regarde, dans la faille d’un mur de briques, une femme nue, allongée les jambes écartées dans un paysage avec une chute d’eau en arrière-plan, et tenant un bec de gaz. André Raffray reconstruit Étant donnés pour dépasser la mise à distance du « regardeur ». Comme il l’a expliqué dans ses entretiens avec Bernard Blistène, « Étant donnés, c’est l’œuvre par excellence (…) Le corps est là, comme une proie insaisissable. Il est peut-être une métaphore de tout acte créateur cherchant à atteindre l’inaccessible. »
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