Vingt toiles abstraites, toutes réalisées depuis 2007, toutes de format « figure » (162 x 130 cm), et presque toutes « sans titre », entoureront un triptyque intitulé Nymphéas. Un ensemble d’objets esthétiques qui sollicite d’emblée la réflexion, notamment parce qu’il constitue un signe à première vue abstrait, sous le format de la peinture dite de chevalet, en un temps où, sauf exception, ce mode d’expression n’est guère apprécié par les institutions.
automatic, 2008, encre et crayon sur papier, 101,6 x 64,8 cm Une réalité immatérielle
Le choix du titre Nymphéas pour le triptyque central n’est évidemment pas neutre, étant entendu que le Monet qui intéresse Cartier se préoccupait moins de représenter des fleurs aquatiques que de rendre, selon son expression, « la beauté de l’air ». Tout se passe comme si, au XXIe siècle, un peintre parvenu à la maturité, fort d’une œuvre se déployant sur un quart de siècle, avait entrepris de simplement peindre une réalité immatérielle, loin de tout motif identifiable (certains tableaux dits « soleil » ont été ainsi nommés après coup, l’artiste ne s’étant nullement proposé de figurer l’astre au départ).
Matière et couleur
Cet artiste parvient à matérialiser le spectre solaire. On assiste à un mouvement kaléidoscopique empreint de superpositions de papiers transparents entre lesquels l'huile est posée par taches, par flaques, par déferlantes et par coulures retenues par une couche de vernis. Des strates qui jouent sur la transparence, pour des effets de matière sans matière. L'immersion dans la couleur supprime toute perspective. Comme dans la peinture chinoise traditionnelle, il n'y a plus ni haut ni bas, mais un plan unique pour la dilatation spatiale. Le peintre utilise des mélanges de pigments et de vernis sur feuille de papier, lesquelles sont collées couche après couche tout en préservant les transparences selon un procédé entièrement personnel. Ce qui « mesure » la profondeur de l’objet esthétique selon Christophe Cartier, c’est la profondeur d’existence à laquelle il nous convie, une profondeur corrélative de la nôtre.
Sans titre, 2007, technique mixte sur toile, 162 x 130 cm Transparence et glacis
Les effets de transparence et les glacis dont ce peintre est expert offrent sans doute ce type de profondeur que Clément Greenberg appelait la « profondeur picturale » à propos des compositions purement abstraites de Jackson Pollock. Mais c’est aussi à une autre profondeur que nous invite la peinture de Cartier, celle que les phénoménologues appellent la profondeur esthétique. Le sentiment esthétique qui peut naître à partir des tableaux de Christophe Cartier n’est profond que dans la mesure où ces objets nous atteignent dans tout ce qui nous constitue. Il faut prendre le temps de s’immerger en eux : non pas l’immédiateté d’une impression (qui ferait dire à certains « c’est joli » ou bien « c’est décoratif »), mais la confrontation de l’œuvre avec tout ce que nous sommes, nourri par notre passé, ce passé qui donne une densité à notre être et une pénétration à notre regard.
PUBLICATION :
Catalogue. Textes de Estelle Pagès, Jean Luc Chalumeau.
15 Euros, franco de port.
www.visuelimage.com/cartier/book3
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