Retour à la matrice originelle du dessin
Avec la même rigueur de pensée qu’un scientifique, avec la même hargne, la même persévérance, Christian Jelk se projette tout entier sur la feuille – cette surface captant le présent. Le dessin qu’il fait naître est nu, intense et essentiel ; il est trace, cicatrice sur la lumière. Dans sa démarche - sa quête ? –, chaque étape de travail possède sa valeur propre et sa beauté. Il y a le travail exigeant en amont du dessin qui permet au cerveau de se vider, de faire de la place à la trace qui jaillit d’un endroit inconnu, très loin au fond de nous-même. Puis la force du trait qui engendre sa propre matière, une exploration plastique du réel que l’œil et la main permettent de révéler dans cet écart qui, justement, les sépare. Un écart aussi entre cet instant où la mine de plomb se dépose sur le papier, encré dans la plus radicale contemporanéité, et l’absolu intemporel, cette recherche de l’essence de la trace qui l’amène à dessiner l’absence : ce moment, ce lieu, où la ligne se dissout, se perd, disparaît simplement dans la lumière.
L'étape de la gravure
Vient ensuite le passage à la gravure qui permet d’incarner le trait qui devient empreinte, lui donnant une nouvelle matérialité, un nouveau destin ; un signe exposé à nos yeux devenu langage, une texture-langage empreinte de codes en apparence inaccessibles qui pourtant se révèlent, d’abord dans le silence – de manière floue, encore diffuse – pour nous atteindre au cœur comme l’écho d’un cri venu de la caverne. De la gravure émergent alors ce que Jelk appellera les restes, les attentes. Ces matrices à la beauté sauvage qui nous révèlent le processus de création. Utilisées dans un premier temps pour leurs qualités formelles, elles deviennent peu à peu bas-reliefs et sculptures à part entière nées du dépouillement du dessin. Il y a à chaque étape de travail une simplicité de moyens qui tend à l’essentiel – la mine de plomb, le scotch ou le carton se voient revêtus d’une élégance épurée propre à la vision de Jelk. Avec Spring/Summer 2016, pourrait-on le comparer à ces grands créateurs qui recherchent le fondement du vêtement, la pureté de la matière, la perfection de la coupe ?
Le regard d'un architecte
Mais Jelk est avant tout architecte. Il travaille sur le plan, crée par couche, extrait et déshabille pour faire naître les formes. Et c’est tout naturellement que le béton s’est introduit dans sa pratique, un matériau brut, pur, qu’il travaille par coffrage et par lequel se révèle un rapport à la matière de plus en plus dense. Parfois les panneaux de coffrage déposent à leur tour une trace lorsqu’on les retire du béton durci, une trace qui donne corps au processus de création jusqu’à le rendre palpable. Donner corps – au dessin, à la pensée; comme ces traces blanches qui affleurent par gaufrage sous la peau du papier, comme ces visages et ces figures qui apparaissent aux croisements des traits. Ainsi, notre expression fabrique des petits corps vains (et incomplets) sur les lieux de l’humanité. Ils sont les seuls instruments du passage... Jelk nous propulse avec beauté – avec éclat – sur la scène du dessin et nous rassemble dans le ventre, devant le spectacle des origines.
Biographie
Christian Jelk est né en 1970 à Billens (Canton de Fribourg, Suisse). Diplômé de l’EPFL en architecture. Sa formation auprès de Massimiliano Fuksas à Rome l’a poussé à sortir des sentiers battus et à concevoir des projets hors-norme. Un brin rêveur et idéaliste, curieux de tout, il est aussi un merveilleux poète qui aime s’établir dans des lieux qui ont une âme. Il a publié quelques essais sur le dessin, qui est l’un des premiers moyens d’expression de l’humanité. La révélation de ce médium lui a été suscitée par l’artiste Jean-François Reymond et la pratique de la gravure enrichie de ses expérimentations chez Raymond Meyer. Il est président de la section vaudoise de VISARTE de 2008 à 2014. Depuis septembre 2014, Jelk est le vice-président de VISARTE Suisse. Il dirige également un groupe de travail pour la réalisation d’une résidence pour artistes focalisée sur le dessin à Savennières (Maine-et-Loire, France) dont l’inauguration a eu lieu en automne 2014. Il vit et travaille en tant qu’architecte, dessinateur, graveur, sculpteur, auteur et curateur à Sainte-Croix (canton de Vaud).
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