À la fin de sa vie, alors qu’il venait de regarder les tableaux de Cézanne regroupés par Ambroise Vollard dans sa galerie, Pissarro s'exclama : Cézanne a subi mon influence à Pontoise et moi la sienne. Ce qu’il y a de curieux, c’est la parenté qu’il y a dans certains de ses paysages d’Auvers, Pontoise et les miens. Parbleu, nous étions toujours ensemble !... Mais ce qu’il y a de certain, chacun gardait la seule chose qui compte, "sa sensation"… Ce serait facile à démontrer. Grâce à une soixantaine de peintures venues du monde entier exceptionnellement réunies, et quelques œuvres graphiques, l'exposition du musée d'Orsay apporte tous les éléments de cette démonstration.
Deux décennies
Paul Cézanne - 1839-1906 - et Camille Pissarro - 1830-1903 - s’étaient connus à Paris à l'atelier du Peintre Suisse en 1861, et entre les deux hommes l’entente allait être profonde et durable. Conçue par Joachim Pissarro, arrière petit-fils du peintre et conservateur au Museum of Modern Art de New York, l’exposition étudie les relations entre l’art des deux artistes au long de deux décennies, à partir du début de leur carrière, vers 1865, et jusqu’en 1885. Les deux artistes sont présents à part égale dans une succession de sections thématiques et chronologiques. Un certain nombre de leurs œuvres sont réunies en paires, où les interférences apparaissent clairement.
Illustration : Paul CÉZANNE Portrait de l’artiste, 1873-1876 Huile sur toile, 64 x 53 cm Paris, musée d’Orsay, donation Jacques Laroche, 1947, sous réserve d’usufruit jusqu’en 1969 © Photo RMN / Hervé Lewandowski
Une vision convergente
Portraits et autoportraits croisés, natures mortes et paysages exécutés à Louveciennes, puis à Pontoise et à Auvers-sur-Oise, par Cézanne et Pissarro restituent la convergence de la vision des deux peintres autour de 1875. Si Monet et Sisley sont attirés par l’eau, Cézanne et Pissarro s’attachent plutôt à la campagne, aux villages traditionnels, avec leurs maisons et leurs rues, et s’intéressent aux routes tournantes et aux sous-bois. Pissarro s’était installé en 1872 dans la région de Pontoise et d’Auvers-sur-Oise. Cézanne venait y travailler, et partagea avec lui sa manière de construire le paysage peint. En retour, certains tableaux de Cézanne se ressentent des conseils de Pissarro, qui l’incita à éclaircir la palette sombre de ses œuvres de jeunesse. Pissarro allait être ainsi à l’origine d’un courant naturaliste à thèmes champêtres dans l’impressionnisme. Plus tard, Cézanne réinterprétera d’anciennes compositions de Pissarro et reprendra certains des points de vue adoptés longtemps auparavant par son aîné.
Quelque chose comme le bon Dieu
La confrontation des peintures de Cézanne et de Pissarro propose une lecture nouvelle mettant en valeur cette « parenté » tant dans l’approche de la " vie silencieuse" de leurs natures mortes, que dans l’étude des motifs "rustiques" : elle rend ainsi particulièrement sensibles les liens durables qui ont uni les deux artistes jusqu’aux ultimes rencontres du milieu des années 1880. Chacun, toutefois, tenait à affirmer sa personnalité. Pissarro insérait souvent des paysans dans ses compositions où des détails évoquent la présence humaine, contrastant avec les paysages de Cézanne toujours déserts : à un cadre de vie habité chez Pissarro s’oppose le paysage pur analysé par Cézanne. Encore en 1895, Pissarro écrivait à son fils Lucien : Tu ne saurais croire combien j’ai de mal à faire comprendre à certains amateurs, amis des impressionnistes, tout ce qu’il y a de grandes qualités dans Cézanne. Et peu de temps avant de s’éteindre, Cézanne dira de celui qu’il appelait "l’humble et colossal Pissarro" : Quant au vieux Pissarro, ce fut un père pour moi. C’était un homme à consulter, et quelque chose comme le bon Dieu.
Illustration : Paul CÉZANNE Le Plat de pommes, vers 1874
Huile sur toile, 45,8 x 54,7 cm Chicago, The Art Institute of Chicago, donation Kate L. Brewster, 1949
© Chicago, The Art Institute of Chicago
PUBLICATION
Catalogue de l'exposition Cézanne et Pissarro, 1865-1885, 24 x 29 cm, 256 pages, 178 illustrations couleur, co-édition Réunion des musées nationaux- Museum of Modern Art, diffusion Interforum, prix : 39 €
L'exposition est réalisée par le Musée d'Orsay et la Réunion des musées nationaux, en collaboration avec The Museum of Modern Art de New York et The Los Angeles County Museum of Art de Los Angeles.
Cette exposition a reçu le soutien du groupe ABN AMRO et de ses filiales, la Banque de Neuflize et la Banque OBC
Partenariats média : Paris Première, Europe 1, Le Parisien
Pour voir les tableaux de Pissarro, cliquez sur ENGLISH VERSION en haut de page.
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