Edgard Varèse passa longtemps pour un marginal quelque peu extravagant de la musique nouvelle. La notoriété vint à la fin de sa vie, lorsque de jeunes musiciens de l’avant-garde d’après-guerre, tels Pierre Boulez ou John Cage, prirent conscience de son existence en poursuivant son action. Varèse est mort chargé d’honneurs le 6 novembre 1965, laissant derrière lui une œuvre brève mais intense, qui continue encore d’exercer son pouvoir de fascination technique et esthétique. La Fondation Paul Sacher - Centre international de documentation et de recherches sur la musique contemporaine - a pu acquérir les archives laissées par Edgard Varèse. L’’exposition qu’a montée avec lui le Musée Tinguely, qui réunit à ce fonds documentaire exceptionnel des dessins et tableaux de ses contemporains venus du monde entier, permet pour la première fois au public de jeter un regard d’ensemble sur l’œuvre d’un des grands compositeurs d’avant-garde du XXe siècle.
Une quête révolutionnaire de l’inouï
Né à Paris le 22 décembre 1883, fils d’ingénieur, Varèse manifesta très tôt un penchant prononcé pour la pensée scientifique. Mais plutôt que d’embrasser une carrière technocratique, il se tourna entièrement vers la musique, d’abord à Paris et Berlin, puis aux Etats-Unis où il s'établit à partir de 1915. Esprit pluridisciplinaire, Varèse fut à l’origine d’initiatives importantes, tant par sa confrontation avec des physiciens et acousticiens de pointe, que par les liens d’amitié qu’il noua avec des écrivains et plasticiens tels Antonin Artaud, Marcel Duchamp, Le Corbusier, Henry Miller, Juan Miró, Francis Picabia, Man Ray ou encore Joseph Stella. Il s’acharna à tirer un parti musical de notions scientifiques, ainsi que de conceptions picturo-spatiales des courants artistiques de son temps.« Il me faut un moyen d’expression absolument neuf...un appareil à produire le son, et non à le reproduire. Il revendiquait avec véhémence sa quête révolutionnaire de l’inouï, préférant le terme de « son organisé » à celui de « musique », et sa recherche de sonorités neuves outrepassant les limites du corps sonore instrumental traditionnel. Son obsession majeure restait la production technologique de la musique: dès la fin des années vingt, il entrevoyait déjà les perspectives de la future lutherie électronique.
Les principales étapes de la vie et de l’œuvre
L’exposition est répartie en huit sections, dans lesquelles les principales étapes de la vie et de l’œuvre du musicien sont présentées grosso modo suivant l’ordre chronologique, de même que les influences qu’il a tour à tour subies ou exercées : "Empreintes – points de repère", "Chef d’orchestre et promoteur à New York ", "Au seuil d’un nouveau monde musical", "Un Pan-américain à Paris", "L’électronique en vue", "A contre-courant", "Sous l’œil de l’avant-garde d’après-guerre", "Répercussions - réception". L’ensemble est essentiellement formé de manuscrits musicaux et littéraires, correspondances et autres documents tirés de ses archives. On y a joint de nombreux prêts en provenance de collections particulières et musées internationaux, parmi lesquels tableaux, dessins, sculptures et instruments de musique, autant de témoignages rendant compte des liens que Varèse entretenait avec les arts plastiques, ainsi que de son intérêt pour les nouveaux moyens de production acoustique. Sous la rubrique "L’électronique en vue", on peut entendre la retransmission sonore du Poème électronique, conjointement à la reconstitution des séquences visuelles imaginées par Le Corbusier. Des exemples sonores sont proposés tout au long du parcours, ainsi que des films sur Varèse et son environnement culturel.
Un choix de reliefs sonores et de machines bruitistes du constructeur sonore Jean Tinguely, dont les affinités avec Varèse sont nombreuses, est présenté parallèlement à l’exposition, ainsi qu’une installation sonore, instant-city (2003-06) de Sybille Hauert et Daniel Reichmuth en collaboration avec Völker Böhm.
Autour de l’exposition
Un ensemble de concerts accompagne l’exposition, avec notamment le célèbre octuor Octandre (1923), l’œuvre-phare Ionisation pour treize percussionnistes de 1931, dernière composition d’envergure de Varèse, Déserts (1949-54), une des premières compositions dans lesquelles les sons produits par des instruments traditionnels sont mêlés aux sonorités préenregistrées fixées sur bande magnétique. On pourra visionner le film Déserts qu’elle a inspiré au vidéaste Bill Viola. Le finissage de l’exposition permettra à Lydia Kavina, virtuose du Theremin, de présenter son insolite instrument électro-acoustique et d’exécuter une transcription de la pièce pour flûte solo de Varèse Densité 21.5.
Illustration : Edgard Varèse (1883–1965), Amériques pour grand orchestre (1918–22, rév. 1927), édition imprimée de la première version (Londres: Curwen 1925) avec corrections manuscrites, collages et coupures, p. 50, env. 57,9 x 40,1 cm
Fondation Paul Sacher, Bâle (Collection Edgard Varèse) Photo : Christian Baur, Bâle
PUBLICATION
Catalogue de l’exposition, comprenant les descriptions détaillées de toutes les pièces exposées, 32 études musicologiques accompagnées de témoignages d’importants compositeurs contemporains. 508 p.,250 illustrations, la plupart en couleurs. Prix: CHF 59. (en librairie : CHF 69.50 / € 39.95 / £ 29). Édition anglaise : Boydell & Brewer, Melton, Suffolk. Édition allemande : Schott Musik International, Mayence)
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