C’est la première fois qu’un ensemble aussi important de tableaux est réuni autour du thème de l’abstraction lyrique, offrant ainsi l’occasion d’apprécier l’importance historique et esthétique de ce formidable élan pictural qui fait de Paris la capitale incontestée de l’avant-garde entre 1945 et la fin des années 50.
L’élan lyrique
L'invention de l'art abstrait date de 1910 lorsque Kandinsky, à Munich, réalise ses premières gouaches véritablement abstraites. Il rejoint à Paris, en 1933, les Delaunay, Arp, Schwitters, Mondrian - qui ne tarde pas à partir pour les U.S.A pour fuir la montée du nazisme, tout comme Albers, Ernst, Masson, Chagall, Lipchitz, Matta, Zadkine, et tant d'autres…Là- bas l'écriture automatique de Masson et le dripping de Max Ernst s'imposent vite. En France, des peintres comme Le Moal, Bazaine, Manessier, Estève, Gischia ou Lapicque, s’éloignent de la figuration de grande tradition française. Après la Libération de 1945, la vie artistique reprend ses droits. De nouvelles galeries s’ouvrent, souvent tenues par des femmes comme Denise René, Lydia Conti ou Colette Allendy, qui soutiennent ces jeunes artistes. L'abstraction se divise en deux clans bien distincts : la Géométrie et le Lyrisme. À la rigueur froide de la première, s'opposent la chaleur et la générosité du geste et de la matière de l'autre. L'élan lyrique prend un réel essor. D'autres artistes se lancent dans cette aventure, fortement attirés par la totale liberté et l'indépendance de ce mouvement naissant qui n'est et ne sera jamais une Ecole.
Des directions aux concepts bien personnels
Dès le commencement, les paternités se définissent. Pour certains, le père est Bissière. D'autres, désignent le peintre allemand Wols. Tous deux sont exposés par René Drouin, qui présentera également Fautrier, Kandinsky, Michaux et les premières sculptures abstraites. Les galeries Jeanne Bucher, Pierre, Arnaud et bien d'autres s'engagent à leur tour. Schneider, Hartung et Soulages forment un trio resté emblématique de ce mouvement. Mais, dès 1922, au Bauhaus, Hartung réalise une importante première série d'aquarelles tachistes. Un des grands aînés, Gérard Schneider, se rapproche, lui, de l'abstraction vers 1935. D'autres, comme Vieira da Silva, Atlan, Bryen, Poliakoff, Reichel ou Staël travaillent aussi dans des directions aux concepts bien personnels, parfois avant 1940. Certains d'entre eux verront leur parcours esthétique limité par une vie tragiquement écourtée; d'autres, au contraire, sauront parfaitement mettre à profit leurs longévités enrichissantes. Chacun de ces artistes protège sa propre personnalité, préservant autant son identité que sa culture.
Le geste et la lumière
Un des points forts de cette Envolée lyrique est que chacun des acteurs y participant reste totalement libre et indépendant dans sa démarche. Ils ont tous emboîté le pas, s'inscrivant dans diverses subdivisions plastiques du lyrisme naissant : informel, gestuel, paysagisme abstrait, tachisme, matiérisme et autres "ismes". Mais tous privilégient le geste et la lumière. Certains manient plus la matière, tandis que d'autres préfèrent le papier à la toile comme Wols, Michaux, ou Reichel. Etant passés par la tendance géométrique, certains avancent au travers de recherches parfois plus aux limites du lyrisme. Les synthèses de Poliakoff et Soulages sont à ces mêmes limites, alors que d'autres encore frôlent toujours la figuration. Dans le même temps, certains Salons se créent pour accueillir ces jeunes artistes lyriques - Mai, Octobre, La Jeune Sculpture, Les Surindépendants, Comparaisons puis les Réalités Nouvelles, pourtant initialement vouées à la géométrie.
Illustration : Martin Barré, Nantes, 1924 - Paris, 1993, 100 X 81, 1955. Huile sur toile, 100 x 80,2 cm. Centre Pompidou, Paris Musée national d'art moderne / Centre de création industrielle © Adagp, Paris 2006 © Photo CNAC/MNAM Dist. RMN / © Philippe Migeat
Faire primer l’instinct et le fait poétique
Plusieurs générations se mêlent efficacement, depuis les grands aînés nés avant 1900 comme Bissière, Schneider, Fautrier et Michaux, jusqu'aux plus jeunes nés après 1925. Outre l'absolue liberté de chacun, l'indépendance d'esprit et de création, ces artistes ont tous en commun une même foi dans ce que leur mutation, leur passage - plus ou moins rapide - de la figuration à l'abstraction était une impérieuse volonté de faire primer l'instinct et la spontanéité sur la théorie, et le fait poétique sur le savoir-faire. Ce sont tous des pionniers courageux et enthousiastes, d'incroyables novateurs dont les inventions se répandront dans toute l'Europe, puis dans le monde, vingt ans avant que New York n'impose ses propres artistes, dont l'existence même doit tant à ceux de l'Envolée lyrique. Ce mouvement, qui perdure, s'est inscrit comme un des principaux courants du XX° siècle. Son pouvoir et sa longévité sont dus principalement à son extrême originalité, sa pluralité infinie et une rigueur qui ne l'ont jamais empêché de conserver une belle part d'irrationnel et d'onirique.
PUBLICATION
Catalogue de l’exposition, Textes de M. Ragon, P. Descargues et Patrick-Gilles Persin, avec les reproductions des œuvres de l’exposition, une chronologie, une biographie des artistes de l’exposition, une bibliographie ainsi que de nombreux documents d’archives inédits 280 p., Skira. 32 € TTC
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