L'art du XIXe et du début du XXe siècle est une source d'inspiration pour les artistes vivants au XXIe. Le Musée d’Orsay poursuit son cycle de "Correspondances", en demandant cette fois à Anne Sauser-Hall et Pierre et Gilles de présenter une de leurs créations en relation avec une œuvre qu'ils ont choisie dans ses collections.
Edouard Manet, Le balcon, 1868-1869/ Anne Sauser-Hall, Le Balcon (d'après Manet), 2007
Artiste suisse, vivant et travaillant à Genève, Anne Sauser-Hall s'intéresse tout particulièrement aux enjeux de la représentation. Elle développe une réflexion esthétique sur la question de la distanciation. Dès le début des années 1990, Anne Sauser-Hall explore cette voie en recourant à la notion de théâtralité : elle réalise alors des reconstitutions d'objets et d'installations où sont mis en scène des éléments familiers, du quotidien, liés aux espaces domestique et social, mais simplifiés ou redimensionnés, perdant ainsi leurs références usuelles. À partir de 2001, c'est comme naturellement que l'artiste s'est tournée vers la vidéo, passant de la réalisation formelle d'un objet dans l'espace à l'occupation physique de ce dernier. Dans cette perspective, Anne Sauser-Hall a été fortement marquée par les œuvres de Cézanne et surtout par celles de Manet, dont la théâtralité, le goût pour le travestissement, et par conséquent pour la distanciation, sont des sources presque inépuisables de renouvellement et d'inspiration. Sans reprendre la réalité des tableaux, elle en extrait des gestes, des mouvements, un moment, avec une rare subtilité et une poétique singulière. Déjà auteur de plusieurs vidéos autour d'œuvres de Manet, dont L'Homme mort d'après le Torero mort (1862-1864) et Tiges de pivoines et sécateur, bouleversant hommage aux natures mortes du peintre, Anne Sauser-Hall, en réponse à l'invitation du musée d'Orsay, a choisi le Balcon pour point de départ d'un travail inédit. Je ne repeins pas Manet avec la vidéo. La vidéo me permet de déployer dans le temps les gestes qui sont suspendus ou absents dans la peinture. Je tente toutefois de traiter l'espace comme une surface, de reconstituer cet espace réduit, clos sur lui-même, si impressionnant dans ses peintures.
Illustration : Edouard Manet Le balcon, 1868-1869 Huile sur toile 170 x 124,5 Paris, musée d'Orsay © Paris, musée d'Orsay / Patrice Scmidt
Vincent Feugère des Forts, La Mort d'Abel, 1865/ Pierre et Gilles, Abel, 2006
Depuis 1976, Pierre et Gilles travaillent en parfaite complémentarité, créant un style et un monde qui n’appartiennent qu’à eux. Mêlant les techniques – Pierre est photographe tandis que Gilles est peintre – ils les fusionnent au point que leurs œuvres ont acquis un statut hybride - photographies repeintes à l’acrylique -, mais cohérent et harmonieux, défiant tout étiquettage artistique. Résistant au dogme de la hiérarchie des genres, ils ont œuvré d’abord pour des magazines comme Façade, réalisé des pochettes de disque pour Amanda Lear, Étienne Daho ou Lio, et collaboré avec le Palace, temple de la nuit parisienne dans les années 1970 et 1980. Peu à peu, les œuvres gagnent en autonomie par une quête presque inlassable d’une certaine identité des êtres que les artistes ont croisés et fait poser, modèles séduisants ou personnalités du star-system. Se jouant des registres esthétiques, Pierre et Gilles détournent les genres du portrait officiel ou religieux, ceux de l’affiche publicitaire et de la grande peinture, l’iconographie sulpicienne, comme ils brouillent, avec fraîcheur mais fausse naïveté, les frontières du quotidien et de l’extraordinaire, du commun et du sacré. De cette abondance de références artistiques émerge une sorte de magie incantatoire ; c’est cet univers onirique, sensuel et poétique qui caractérise leurs photographies. Derrière l’apparente facilité, frappe la complexité des processus mis en œuvre, choix du sujet, élaboration d’une mise en scène, soin apporté à la réalisation technique. À l’invitation du musée d’Orsay, les artistes ont choisi une sculpture aujourd'hui relativement méconnue mais autrefois célèbre de Vincent Feugère des Forts (1825-1889), la Mort d’Abel (1865), exposée au Salon de 1866. La sensualité évidente de la pose et la portée tragique du personnage d’Abel leur ont inspiré un triptyque inédit.
PUBLICATIONS
Edouard Manet/ Anne Sauser-Hall, 160x240, 64 p., éd. bilingue anglais, français, coédition Musée d'Orsay/Argol, broché,13 euros.
Vincent Feugère des Forts/ Pierre et Gilles, 160x240, 64 p., éd. bilingue anglais, français, coédition Musée d'Orsay/Argol, broché,13 euros
Pour voir les œuvres de Vincent Feugère des Forts et de Pierre et Gilles, cliquez sur ENGLISH VERSION en haut de page.
|