Cette exposition propose une exploration du photoreportage à travers deux époques et trois regards. Elle confronte le style, la sensibilité et le parcours de Pierre Izard, pionnier du genre dès 1929, à ceux d'Erling Mandelmann et de Claude Huber, actifs dès le milieu des années 1960. Plus de trois cents photographies, une projection de cent vingt images, des documents d'archives représentatifs de l'activité des photographes permettent d'aborder le photoreportage et ses lieux de diffusion, en proposant une réflexion sur le photoreportage tel qu'il a pu être pratiqué en Suisse romande, des années trente jusqu'à la fin du 20ème siècle. Un premier volet privilégie les parcours individuels (photographies, albums et publications). Le second volet s'attache à rapprocher les œuvres pour en révéler les convergences ou les divergences.
Pierre Izard (1906-1998)
De 1931 à 1985, Pierre Izard a travaillé comme photojournaliste indépendant, produisant au cours de plus de cinquante ans d'activité quantité d'images publiées dans des revues hebdomadaires illustrées. Ses photographies correspondent aux attentes des lecteurs : faits divers, sports, culture et traditions populaires, informations sur des villes et des pays, armée, etc. Pas de sujet à teneur sociale, ni de regard critique sur le monde. Il n'y a pas de décalage entre les valeurs traditionnelles véhiculées par les revues illustrées et les convictions de Pierre Izard, profondément attaché au milieu dans lequel il vit. Il est en cela parfaitement représentatif du photojournalisme local de l'époque qui considère toujours la photographie comme source d'illustration, plutôt que comme outil de réflexion critique sur la réalité qui nous entoure.
Illustration Pierre Izard Lausanne, les chômeurs déblaient la neige, 1935 ©Fondation Pierre Izard/mhl
Erling Mandelmann (1935)
Mû par sa curiosité, une ouverture au monde et aux autres, Erling Mandelmann entame une carrière de photoreporter indépendant au milieu des années 1960, situation qu'il sera contraint d'abandonner partiellement durant les années 1970 en raison d'une situation familiale délicate. Dès lors, les contraintes matérielles vont peser plus lourdement sur ses orientations. Mais ses clichés, quelles que soient les conditions dans lesquelles ils sont produits, reflètent sa sensibilité et l'intérêt qu'il manifeste à l'égard des gens qu'il photographie. Observateur empathique du monde qui l'entoure, il l'aborde tel qu'il est, sans jugement ni critique. Ainsi, marquée par l'humanité de son regard, son approche est rarement acérée ou crue. Ses photographies, surtout à ses débuts, témoignent de l'évolution de la société : femmes en minijupe, hommes poussant un landau, centre alternatif à Amsterdam, travailleurs étrangers, etc.
Illustration Erling Mandelmann Suède, Malmö, chantier naval, 1970 ©Erling Mandelmann/mhl
Claude Huber (1938)
Des trois photographes exposés, Claude Huber est celui qui revendique clairement une conception militante, engagée, de la photographie. Regard introspectif, tendre, ironique parfois ; besoin de dire, de témoigner, de faire éclater l'épaisseur des murs qui étouffent les bruits de l'extérieur, même lorsqu'ils se font entendre à notre porte avec, toujours à l'esprit, l'interrogation sur le sens de la photographie, sur la pertinence même de sa démarche. Parler de l'homme, de ses drames et de ses misères, de ses rêves et de ses utopies, de l'injustice ou de la beauté du monde, tel est le fil conducteur qui a guidé Claude Huber sa vie durant. Les cent quarante photographies présentées dans l'exposition abordent également d'autres facettes de son travail, comme ses recherches sur la ville ou encore les graffitis-écritures inscrits sur les murs et façades du monde entier.
Les Transversales
Au terme de ce parcours centré sur les trajectoires individuelles, l'exposition propose une approche transversale, axée sur les rapprochements et les comparaisons. Les photographes sont réunis pour une sorte de dialogue visuel par le biais d'une projection, structurée autour d'une série de thématiques qui dévoilent les spécificités de chaque regard, sa sensibilité, ses préoccupations, son esthétique. Parmi les sujets retenus, quelques grands thèmes que tous trois ont touchés : le travail, la religion, les populations fragilisées, les marges, la ville, etc.
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