Pour son dixième anniversaire, le musée Guggenheim Bilbao consacre à Anselm Kiefer une exposition majeure, qui réunit une centaine d'œuvres monumentales créées au cours de ces dix dernières années, provenant des fonds de l'artiste, de collections publiques et privées et de sa propre collection.
Une réflexion sur la civilisation globale et la condition humaine
Kiefer, né en 1945, a grandi au milieu des ravages de la guerre moderne, du démembrement de son pays et de son combat pour renaître de ses cendres. Convaincu qu'il n'existe pas de vérité mais des interprétations différentes, il remet constamment en question dans son œuvre la place qu'occupe l'être humain au sein du cosmos. Ses œuvres monumentales débordent de références à la tradition romantique allemande et au patrimoine politique et philosophique de son pays, Sa palette, quasi monochrome, utilise des matériaux peu orthodoxes comme le plomb, le fil de fer, la paille, le plâtre, l'argile, les graines de tournesol, la cendre et la poussière, les fleurs et les plantes. Kiefer est ainsi l'auteur d'un ensemble d'œuvres dont l'échelle monumentale et les textures singulières soulignent la solennité et la nature transcendante de leur contenu. Ces dernières années, il a exploré des thématiques plus universelles, plus centrées sur le destin global de l'art et de la culture, ainsi que sur la spiritualité et les mécanismes et mystères de l'esprit humain. Son art réfléchit sur la civilisation globale et sur la foi, pour nous alerter sur la répétition cyclique de l'histoire, en même temps qu'il analyse et traite les expériences et les fardeaux de la condition humaine.
En forte interaction avec l'architecture
L'exposition, organisée thématiquement, met particulièrement l'accent sur des œuvres qui, au fil des années, ont manifesté une interaction forte avec l'architecture. L'atrium du musée accueille un monumental paysage hivernal désolé, spécialement créé pour lui, dont la verticalité - 15 mètres de hauteur - exploite pleinement le spectaculaire espace de Gehry. L'exposition propose des ensembles d'œuvres individuelles, liées entre elles, aux souvenirs et aux idées qui illustrent la recherche de l'artiste. Les références historiques, culturelles et géographiques de Kiefer sont extrêmement diverses. Il choisit des moments spécifiques de l'histoire pour aborder des thèmes et des interrogations universels qui s'entrecroisent. L'exposition insiste aussi sur ses sources d'inspiration littéraires et poétiques. À travers elles, il affronte des questions en rapport avec la nature, la science, la religion ou l'histoire. Avec Pour Khlebnikov (2004), une série de peintures dédiées au poète futuriste russe Vélimir Khlebnikov (1855-1922). Kiefer traite d'une conviction du poète selon laquelle les catastrophes militaires navales se produisent tous les 317 ans. Il aborde le mélange de religions dans Chevirat Ha-Kelim, l'ensemble de formats monumentaux créés pour la chapelle de La Salpêtrière, à Paris, qui fait référence à la Kabbale.
La mémoire préservée
Kiefer s'est intéressé à l'identité et à l'expérience de la femme dans deux groupes d'œuvres centrés sur deux périodes historiques bien différentes. Dans Les Femmes de la Révolution (1992), qui s'inspire de Michelet, il associe des lits en plomb à des photos et des textes griffonnés au mur qui renvoient aux grandes figures féminines de la Révolution Française. Dans Femmes de l'Antiquité (2000-04), des mannequins sans tête, vêtus de crinolines blanches, représentent des personnages mythologiques et historiques de l'Antiquité. Certaines de ces femmes furent des héroïnes, d'autres des monstres, mais toutes se caractérisèrent par une force d'âme et une détermination remarquables. Les méditations de Kiefer sur la nature et la science se poursuivent dans La vie secrète des plantes, une fresque de 28 toiles qui joue avec les branches, le plomb et le fil de fer. Pour Paul Celan (2006), se compose d'imposants livres en plomb massif, traversés de fleurs, symbole classique de la fertilité mais aussi du côté éphémère de la vie. Kiefer y rend hommage au poète et essayiste judéo-roumain Paul Celan, qui survécut miraculeusement à l'Holocauste, dont il partage nombre de thèmes d'inquiétudes : le sentiment de perte, la mélancolie et la conviction que la mémoire doit être préservée car elle est l'unique moyen qui permet d'assimiler les traumatismes de l'histoire humaine.
Illustration : ANSELM KIEFERCirce (Kirke), 2004-05 Fibre de verre, cage métallique et animaux en terre cuite 135 x 120 x 160 cm. Courtoisie Lia Rumma
PUBLICATION
Catalogue de l'exposition Sous la direction de Germano Celant, textes et interviews de Anselm Keffer, 30x30 cm, 600 p.,entiérement illustré n. et coul., Éditions Skira 55€
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