Pour la première fois en Europe, sont présentés soixante statues et retables en bois polychrome des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles provenant des sites des missions franciscaines et jésuites du Paraguay. Cette exposition, exceptionnelle par son thème mais aussi par la qualité et l'originalité des œuvres qui y sont exposées, sera présentée à Sarrebourg, haut lieu de la musique baroque latino-américaine, puis au Musée du Mans, dont les collections d'art baroque permettent d'évoquer des parallèles très pertinents, et enfin au Musée d'Art sacré de Lyon-Fourvière.
Les Indiens sont aussi des hommes…
Au début du XVIe siècle, après la conquête espagnole de l'Amérique, les Indiens sont soumis au régime de l'encomienda qui permet aux colons de disposer de la main d'œuvre dont ils ont besoin pour exploiter leurs domaines. Mais les thèses des dominicains Vitoria, professeur à l'Université de Salamanque, et Las Casas vont bientôt l'emporter lors des conférences de Valladolid en 1550-1551 : les Indiens ont des droits civils et politiques et doivent être respectés. Il faut faciliter leur évolution grâce à l'accès au christianisme et à l’instruction. C'est dans ce contexte que les autorités espagnoles vont confier aux Franciscains et aux Jésuites la mission de convertir et d'encadrer les Indiens guaranis qui vivent à l'est du Río Paraguay, jusqu'aux marges du Brésil portugais.
Missions franciscaines et « réductions » jésuites
Les Franciscains arrivent au Paraguay en 1542, où ils fondent plusieurs missions dont Yaguarón en 1585, puis Caazapá, la plus importante, en 1606. L'organisation de ces villages, moins rigoureuse que celle des missions jésuites, favorisa sans doute l'émergence d'un art où dominait la sensibilité indigène. Dans les missions jésuites, les indigènes étaient regroupés dans des communautés, les « réductions », où régnait le régime de la propriété collective. San Ignacio, la plus ancienne, est fondée en 1609, Santa María de Fe en 1647, Jesús en 1765. Trinidad, la plus célèbre, sera commencée en 1715 mais jamais achevée. Dans leur entreprise d'évangélisation, les Jésuites utilisent le vecteur de la langue guaranie. La fusion des valeurs culturelles indiennes et du sentiment religieux catholique a pu ainsi s'opérer, notamment dans le domaine artistique, en particulier dans la musique. En même temps, les Jésuites enseignent l'architecture, la sculpture et la peinture. Mais en 1766, à la suite du Portugal et de la France, l'Espagne décide d'expulser les Jésuites. Ceux-ci sont remplacés par les Franciscains, et un gouverneur est nommé à la tête des réductions.
L'art baroque guarani
Les Guaranis apprirent à sculpter le bois et réalisèrent de nombreuses sculptures selon les modèles européens, mais aussi selon leur propre sensibilité. Et c'est précisément de cette rencontre qu'est né cet art original, éminemment sacré. Si certaines œuvres sont des copies conformes de statues baroques espagnoles ou italiennes, d'autres révèlent davantage l'imaginaire, la spontanéité indienne qui dédaigne les excès d'expression. Aussi voit-on d'abord des sculptures de saints aux formes exubérantes et expressionnistes puis des statues de vierges au visage basané, aux vêtements ornés de motifs floraux, les mains jointes dans une attitude paisible. Certaines statues monumentales ornaient les églises, d'autres étaient destinées aux sanctuaires familiaux. Ce sont toutefois les mêmes saints personnages qui y sont figurés : la Vierge à l'Enfant, l'Immaculée Conception, saint Joseph et l'Enfant Jésus, la Passion du Christ mais aussi le Christ ressuscité, les archanges saint Michel et saint Raphaël, les saints fondateurs des ordres missionnaires : saint Ignace, saint François…
Des œuvres montrées pour la première fois en France
L'exposition présente une cinquantaine de sculptures en bois polychrome et d'objets choisis parmi les œuvres du Musée Bogarín et du Cabildo à Asunción, des missions jésuites de Santiago, de Santa María de Fe, de San Cosme et Damián, de San Joaquín et de Trinidad ainsi que de collections particulières. La plupart de ces œuvres quittent pour la première fois leurs missions pour venir en France. Leur réunion permet d'évoquer plusieurs thématiques : les modèles artistiques importés d'Europe pour être copiés, les relations entre les maîtres-artisans et leurs élèves indiens, la rencontre entre les mythes guaranis et le merveilleux des textes sacrés chrétiens, les divergences entre les œuvres franciscaines et jésuites.
PUBLICATIONS
Catalogue de l'exposition, bilingue français-espagnol.Textes d'Edouard Pommier, de Ramon Duarte Burró, de Ticio Escobar, du père Bartomeu Mélia, de Ferrante Ferranti.144 p., ill; coul. 25 €
CD édité par K617 Chants sacrés du Paraguay baroque par la Capilla de Indias (20 €)
Après le Musée de Pays de Sarrebourg, l'exposition ira au Musée de Tessé du Mans du 28 septembre 2007 au 13 janvier 2008 et au Musée d'Art sacré de Lyon-Fourvière du 4 mars au 1er juin 2008
Illustration : Notre Dame de Lorette, Trinidad,© Ferrante Ferranti
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