Dans le paysage de la gravure contemporaine, les estampes d’Erik Desmazières se distinguent par une iconographie atypique, hors de notre époque, capable de fasciner celui qui en suit les méandres. Faisant suite à la récente exposition des vues de Paris au Musée Carnavalet, les 113 œuvres sélectionnées par le Musée Jenisch reviennent sur une quarantaine d’années de création et s’attachent à présenter les lieux nés de son imaginaire. Villes étranges, explorations exotiques, cabinets de curiosités regorgeant d’artificialia et de naturalia et autres bibliothèques labyrinthiques proposent autant de détours parmi les références essentielles de l’univers d’Erik Desmazières.
Des détails qui exigent une lente lecture
Le Cabinet cantonal des estampes, fort de la trentaine d’estampes d’Erik Desmazières conservées dans ses collections, nourrissait de longue date le désir de présenter au public cet œuvre alliant virtuosité technique et vision onirique. D’une facture toute classique – l’auteur confesse son admiration pour Piranèse, John Martin, Monsù Desiderio mais aussi Callot – les eaux-fortes d’Erik Desmazières, par la densité de leurs détails et la complexité de leur architecture, exigent la lente lecture et la concentration tant prisées de l’amateur d’estampes. Le graveur se plaît à citer Flaubert : « A force de regarder une chose, elle devient intéressante ». Ses visions de prime abord réalistes se teintent bientôt d’étrangeté, dans la tradition du caprice, pour lequel la véracité topographique se mêle d’éléments de fantaisie, et marquent ce travail du sceau de la mélancolie.
Etudier le processus créateur
En alliant ses propres œuvres à celles issues de collections publiques et privées américaines, belges, françaises et suisses, le Cabinet propose un parcours parmi ces lieux imaginaires visant d’une part à mieux faire connaître un artiste d’exception, en marge des courants actuels, et d’autre part à révéler le lent processus d’élaboration inhérent au médium même de la gravure. Non seulement les œuvres aux cimaises révèlent-elles un travail composé de strates et de sédiments, tant dans les tailles inscrites dans le cuivre que dans les constructions spatiales compliquées ou dans la récurrence obsessionnelle de certains thèmes. Mais encore le film Le Paris d’Erik de Bertrand Renaudineau et Gérard Emmanuel da Silva suit-il l’artiste au travail, montrant le cheminement depuis l’esquisse préparatoire au crayon jusqu’au dévoilement final du tirage par l’imprimeur, en passant par l’élaboration minutieuse de la plaque de cuivre.
La découverte d’un œuvre en sept étapes
L’exposition décline en sept chapitres les lieux imaginaires d’Erik Desmazières. La complexité spatiale de ses Villes semble tout droit sortie des écrits de Jules Verne. Dans ses Batailles, qui recueillent l’héritage de Léonard de Vinci et de Piranèse, il s’autorise la destruction d’édifices réputés indestructibles.
Ses Explorations partent à la découverte de nouveaux mondes, peuplés de gondoles, de paquebots, d’embarcadères. Des choses admirables et étonnantes telles que coquillages, crabes et têtes de poissons peuplent ses Curiosités tandis que ses Chambres des Merveilles sont des refuges feutrés, loin du bruit du monde. Les Bibliothèques, notamment celle de Babel, chère à Borges, ponctuent son œuvre de manière régulière. Enfin, ses Comédies dépeignent sous des figures fantasques les travers de nos contemporain, à la manière d’un Callot ou d’un Pietro Longhi.
De Sciences Po à l’eau-forte
Né au Maroc en 1948, fils de diplomate, Erik Desmazières passe son enfance sous le signe de l’itinérance, entre l’Atlas, le Portugal et la France. En 1971, il est diplômé de Sciences Po Paris. Parallèlement, il a étudié la gravure aux cours du soir de la Ville de Paris. L’intérêt pour ce médium lui a été donné par une architecture de Piranèse, fascinante construction de l’espace en noir et blanc. Dès 1972, il choisit l’eau-forte, et ses contraintes techniques, comme moyen d’expression principal. Rapidement connu d’un cercle de connaisseurs et récompensé (il reçoit le Grand Prix de la Ville de Paris en 1978), Erik Desmazières est soutenu par de grands marchands d’estampes tels que Arsène Bonafous-Murat à Paris, François Ditesheim à Neuchâtel, Andrew Fitch à New York et Christopher Mendez à Londres. Son œuvre gravé s’élève à plus de 200 planches couvrant près de quarante ans d’activité. Avec les grandes expositions de la Rembrandthuis d’Amsterdam en 2004 et du Musée Carnavalet de Paris en 2006, une reconnaissance internationale vient saluer l’œuvre d’un
des rares graveurs à vivre depuis toujours de son métier.
Illustration : ERIK DESMAZIERES Labyrinthe II, 2003, eau-forte et aquatinte, 323 x 239 mm © 2007, ProLitteris, Zurich
PUBLICATION
Catalogue avec un avant-propos de Dominique Radrizzani et des essais de Lauren Laz, Alberto Manguel, Maxme Préaud, bilingue français-anglais, 134 p., 74 illustrations dont 17 en couleurs, 30 € (ou 48 Fr). Edition de tête, tirée à 100 exemplaires, accompagnée d’une estampe originale numérotée et signée : 300 € (ou 500 Fr).
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