L’exposition, qui réunit près de 160 œuvres (dont 48 photographies) sur le thème de l’iconographie du port, trouve au Havre un cadre adéquat. Le Havre fait en effet partie de ces grandes villes dont l’image s’est forgée à partir d’une forte identité portuaire. L’ensemble des collections de son musée est le reflet culturel des activités économiques liées au port. En 1903, la Ville, encouragée par de grands amateurs d’art, achète à Camille Pissarro deux vues du port du Havre qu’il vient de peindre lors d’un séjour dans le port normand. Elle devient ainsi la première collectivité française à faire entrer dans une collection publique une œuvre de cet artiste, à la veille de sa disparition. Deux fonds importants entrent ensuite, en 1936 et 2004, provenant des collections privées des grands négociants havrais Charles-Auguste Marande et Olivier Senn.
Le port, organisme vivant
Longtemps idéalisée, dans la tradition classique de Claude Lorrain, la représentation du port évolue peu du XVIIe au XVIIIe siècle. Le développement économique au XIXe siècle s'accompagne de profondes mutations du monde portuaire et du lancement de grands chantiers de modernisation, à mesure que disparaît la marine à voile. La vision des artistes change alors. Le port cesse d’être ce lieu métaphorique du voyage pour devenir un monde vivant, débordant d’activité, un lieu d’échanges plein d’odeurs et de mouvements, un territoire bruyant et sonore qui affirme son autonomie. Les artistes sensibles à la vie moderne y trouvent le reflet de leur époque bouleversée par l’industrialisation. Leurs regards se portent sur un nouveau paysage scandé par les silhouettes métalliques des ponts transbordeurs, des grues à vapeur. Ils embrassent dans leurs compositions les étendues dilatées des quais où se multiplient les entrepôts. Certains, plus attentifs à l’homme, décrivent sans complaisance le labeur harassant des débardeurs évoluant entre cordages, passerelles et rails de chemin de fer.
Illustration : Jules Lefranc, Penhoët, 1930, huile sur toile, 72 x 60 cm, Les Sables-d'Olonne, musée de l'Abbaye Sainte-Croix, Photographie Jacques Boulissière
Signac, Marquet, Meunier, Lhote…
L’exposition montre comment évolue la représentation de cet univers, depuis les années 1850 jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Les incursions des pointillistes sont abordées à travers l’œuvre de Maximilien Luce et de Paul Signac, qui entreprend à la fin de sa vie une ambitieuse série d’aquarelles, « Les Ports de France », pour le collectionneur Gaston Lévy. Albert Marquet est par excellence le grand peintre des ports du XXe siècle. Un ensemble significatif de toiles évoque la diversité des sites que l’artiste a parcourus, de Bordeaux, sa ville natale, à Marseille et Stockholm. Une attention particulière est portée aux artistes du Nord de l’Europe qui, sous l’influence du réalisme et du naturalisme, interrogent le monde bigarré des quais hollandais ou belges : dockers de Constantin Meunier, visions sombres et mélancoliques de Van Mieghem. Le cubisme s’approprie les nouveaux territoires portuaires structurés par des lignes de force qui géométrisent le paysage. Des artistes comme André Lhote y trouvent prétexte à de nouvelles explorations plastiques.
Le pont transbordeur, icône photographique
Au même titre que la peinture ou la littérature, la photographie dessine un imaginaire spécifique. Le port contient ce « quotient » de modernité que lui confère sa double fonction – fonctionnalité et pittoresque. Les nombreuses vues de construction de navires et d’ouvrages cultivent, par la monumentalisation des travaux, la célébration du progrès. Au tournant du XXe siècle, le pictorialisme remplace par des images saturées d’atmosphère la clarté des documents techniques, comme on le voit dans les vues de Hambourg de Schmidt et Kofahl (1908), dans la revue Camera Work, organe de la Photo-Sécession, menée par Stieglitz, ou chez les Français Lhermitte, Demachy et Puyo. Au seuil des années 1920, le port devient un laboratoire de la vision avant-gardiste faite de plongées et contre-plongées, de désaxements et perspectives. Cet « expressionnisme » de la vision traque les architectures vertigineuses, notamment à travers le motif du pont transbordeur, traité par Lazlo Moholy Nagy, Germaine Krull, Man Ray ou François Kollar.
Illustration : Eugène Batz, Pont transbordeur, vers 1929, tirage argentique, Marseille, musée Cantini, © Marseille, Musée Cantini - Jean Bernard, ADAGP
PUBLICATION :
Catalogue édité par les éditions Somogy : 264 p., 220 illustrations couleurs, 29 €.
Sous la direction d’Annette Haudiquet, conservateur en chef du musée Malraux, Olivier Le Bihan, directeur du musée des Beaux-Arts de Bordeaux et Jean-Pierre Mélot, attaché de conservation au musée Malraux.
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