Longtemps ignorées du grand public, les collections japonaises de la Ville de Rouen invitent à de nouvelles interrogations sur les rapports croisés Orient-Occident, qui suscitent actuellement l’intérêt passionné tant des japonologues français que des chercheurs japonais. L’exposition présente deux cents estampes, poupées de cérémonie et objets miniaturisés provenant du musée des Beaux-Arts, de la bibliothèque municipale et du muséum d’Histoire Naturelle.
L’estampe au service des héros populaires
Si les estampes de l’âge d’or de l’époque Edo montrant les célèbres beautés des maisons de thé vaquant à leurs gracieuses occupations ont depuis longtemps la faveur du public occidental, l’estampe japonaise ne saurait se limiter à la vision esthétisante des amateurs du XIXe siècle. Aux yeux des Japonais, plus qu’une œuvre d’art, elle est une part intégrante de leur quotidien, qu’il s’agisse d’orner à peu de frais les piliers de leur maison, d’appuyer d’un exemple visuel une pédagogie, de conserver le portrait d’un acteur célèbre ou d’un artiste, en un mot d’illustrer toutes les aspirations d’une époque s’incarnant dans les héros populaires de son histoire. Il en va ainsi des vaillants samouraïs de Takeda Shingen, qui apparaissent dans la série d’estampes de Sadahide Gounteï (1807-1878/79), dans les pièces de théâtre Kabuki qui leur sont consacrées, dans les romans illustrés et, de nos jours encore, dans les jeux vidéo.
L’ère Meiji et l’ouverture sur l’Occident
À partir de 1868, la restauration impériale de l’époque Meiji engage le Japon, jusqu’alors interdit de contacts avec l’Occident, dans un processus irréversible de modernisation. Les artistes japonais découvrent avec émerveillement le bleu de Prusse et délaissent les tons pastel délicats du tournant du XVIIIe pour jongler sans complexe avec les couleurs les plus franches, le rouge et le bleu en particulier, obtenant ce coloris très vif qui fascinera les Occidentaux. Un artiste comme Yoshitoshi Tsukioka (1839-1892), le représentant le plus talentueux de l’école d’Utagawa, considéré comme le dernier grand maître de l’ukiyo-e, a complètement assimilé les schémas de composition occidentaux. Avec sa série d’estampes les Cent Aspects de la Lune, il s’inscrit dans les tendances les plus modernes.
L’héritage de généreux donateurs
Ces collections se sont constituées grâce à la générosité de donateurs successifs, du très classique Jules Hédou qui a doté la Bibliothèque municipale de belles planches de l’époque Edo, à Jules Adeline, ami de Champfleury et de Siegfried Bing, qui a offert au muséum d’histoire naturelle quelques-uns des fleurons de son département d’ethnographie. Zama Muramoto-Legendre et son époux ont versé au musée des Beaux-Arts les charmants objets collectés en 1933, derniers témoins d’un Japon près de disparaître tandis que Janine Lauri a pourvu le musée des Beaux-Arts de planches rares dans les collections françaises. Outre le pur plaisir que procurent la perfection formelle des objets présentés et l’ingéniosité qui a présidé à leur création, ce fonds très riche offre aux plus jeunes l’occasion de découvrir l’une des sources majeures de la littérature de divertissement.
PUBLICATION :
Catalogue : Fage éditions, 240 pages, 250 illustrations, 25 €
Illustration : Utagawa Hirokage (actif vers 1855-1865)
Onmayagashi dans le quartier d’Asakusa. Quarante et unième numéro de la série Sites célèbres d’Edo traités de manière drolatique – M 91/130.
Crédits photos : Bibliothèque municipale de Rouen
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