L’exposition fait la lumière sur un chapitre de l’histoire de l’art représentatif pour les intenses transferts artistiques de l’époque et le rapprochement entre l’art et la vie, thèmes centraux pour Tinguely comme pour Rauschenberg. Dans les années 1960, les deux artistes se retrouvent sur un point : révolutionner l’art traditionnel en mêlant les genres et le transposer dans un contexte artistique interactif. Inspirés et animés par les modèles de la génération dada – Marcel Duchamp avant tout - les deux artistes ont longuement étudié les possibilités d’intégrer à leur art, assemblages d’objets quotidiens et œuvres communes, divers aspects techniques ou des éléments comme la cinétique, la lumière, le son.
Vers un art total
Tinguely et Rauschenberg ont vite compris que ce mode de travail en coopération était favorable à leur recherche d’un art total. Ce goût partagé pour la combinaison art et technologie donne lieu en 1960, à New York, à une première collaboration, en rapport avec l’Homage to New York de Jean Tinguely : la construction s’autodétruisant dans le jardin du Museum of Modern Art fait alors sensation. Robert Rauschenberg contribue au projet avec une machine à lancer de l’argent, le Money Thrower for Tinguely’s H.T.N.Y. Entre les deux artistes une amitié était née dont l’importance se manifestera dans le Combine Trophy III (for Jean Tinguely), conçu en 1961 par Rauschenberg. Cette œuvre est l’une des cinq que Rauschenberg dédia à d’autres artistes, dont, outre Tinguely, Merce Cunningham, Teeny et Marcel Duchamp, John Cage et Jasper Johns.
Performances sur scène
Cette coopération est marquée par des projets devenus légendaires, comme la grande exposition itinérante d’art cinétique montée par Pontus Hulten au Stedelijk Museum d’Amsterdam sous le titre «Bewogen Beweging» ou «Dylaby» (30 août-30 septembre 1962), également à Amsterdam. Pour la première, Rauschenberg réalise Black Market ; lorsque l’exposition se déplace à Stockholm, il y montre deux Combines, Door et Johanson’s Painting. Quant à Tinguely, le plus représenté avec 27 œuvres, il fait sensation à Amsterdam avec son Ballet des pauvres et à Stockholm avec sa Narva érigée devant le Moderna Museet. L’intérêt des deux artistes pour la coopération et la présence du spectateur aboutit à deux performances sur scène :Variation II (ou Homage to David Tudor), donné le 20 juin 1961 au théâtre de l’Ambassade des États-Unis à Paris et Construction of Boston, présentée le 4 mai 1962 au Maidman Playhouse à New York. De ces performances éphémères subsistent des traces matérielles, notamment le First Time Painting de Rauschenberg, qui voit le jour durant l’exposition à Paris.
Des trajectoires qui divergent
Ces collaborations amènent les deux artistes à effectuer des avancées décisives dans leur propre développement. Fin mars 1960, peu après l’action éphémère de Tinguely Homage to New York, consistant en mouvement, fumée, odeurs et bruits, Rauschenberg demande à Billy Klüver de participer à la réalisation d’Oracle (1962-1965). Initialement, Rauschenberg avait prévu un environnement interactif à l’intérieur duquel une personne pourrait se mouvoir et, ce faisant, influencer la température, les bruits, les odeurs et la lumière. Fait caractéristique dans le travail artistique de Rauschenberg : après sa participation à «Dylaby», installation monumentale en plusieurs parties et composée d’objets trouvés, il s’éloigne de la sculpture pour revenir à la peinture. Dans le cas de Tinguely, en revanche, après l’Homage to New York commence une phase intense où l’artiste réalise toute une série d’actions éphémères, comme les «fins du monde» théâtralisées, End of the World No. 1 et End of the World No. 2.
Illustration: Robert Rauschenberg Money Thrower for Tinguely's H.T.N.Y. (Homage to New York) 1960 Métal 20 x 30 x 20 cm Moderna Museet, Stockholm. Donation 2005 Pontus Hultén © 2009, Estate of Robert Rauschenberg / licensed by VAGA, New York, NY / ProLitteris, 8033 Zürich Photo: Moderna Museet, Stockholm
PUBLICATION :
Un catalogue richement illustré paraît en version allemande et anglaise, avec des textes de Roland Wetzel, Annja Müller-Alsbach, Heinz Stahlhut, Mari Dumett et Jean-Paul Ameline. Bâle/Bielefeld 2009, 256 pp., CHF 58.
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