ArtAujourdhui.Hebdo
N° 9 - du 15 juin 2006 au 21 juin 2006
L'AIR DU TEMPS
L'Europe s'arrête au Quai Branly
PARIS – Dans une conjoncture franchement morose, l’ouverture du musée du Quai Branly va permettre à Jacques Chirac de reprendre son souffle. D’autant qu’il s’agit de son grand projet culturel : dédier un écrin aux civilisations non-européennes, que l’on n’ose plus trop appeler arts premiers. Le bâtiment coloré de Jean Nouvel et le mur végétal de Patrick Blanc lui donnent d’ores et déjà un appeal architectural. La richesse des collections – 300 000 objets provenant en bonne partie du musée de l’Homme et du musée d’Art africain et océanien – lui confère une véritable légitimité. Et la débauche d’activités annoncées – expositions, conférences, ateliers, concerts ou spectacles dans l’un des deux théâtres – devrait en faire un lieu vivant. Un million de visiteurs sont attendus la première année, ce qui permettra au nouveau musée de se hisser dans le peloton de tête parisien, loin derrière le Louvre, le Centre Pompidou et Orsay mais au pied du podium tout de même, en compagnie du musée de… l’Armée.
EXPOSITIONS
Des Cranach venus du Mexique
MADRID - Le musée Thyssen-Bornemisza consacre ses salles temporaires à la collection Pérez Simón. Elle est inconnue des amateurs européens pour une double raison : son propriétaire est mexicain et il ne l'a encore jamais montrée au public. Mais, à l'heure où elle se cherche un siège à Mexico, la discrétion n'était plus de mise. Des mille œuvres qui la composent - manuscrits, objets d'art, sculptures, peintures - le choix s'est porté sur une soixantaine de tableaux, qui donnent un aperçu de sa qualité d'ensemble. De Bronzino et Cranach à Rubens (une Vierge), de Canaletto (le Palais des Doges) à Tiepolo, de Fantin-Latour (une belle composition florale) à Cézanne, en passant par Gauguin ou une Vue d'Antibes par Monet, l'histoire de l'art occidental est brossée dans son ensemble. On n'y découvre sans doute pas de chefs-d'œuvre absolus mais un fonds très solide, qui ferait le bonheur de nombreux musées de province. Et qui prouve que, désormais, l'itinéraire d'un Grand Tour classique impose de franchir les océans…
I love Paris
PARIS - Entre la France et l'Amérique, ce n'est pas toujours l'histoire d'amour. En revanche, entre la France et les artistes américains, les sentiments ont toujours été féconds et cordiaux. C'est ce que montre une exposition sur l'attrait exercé par le musée du Louvre sur les peintres d'outre-Atlantique. Environ trente tableaux sont présentés, dont certains jouirent d'une grande notoriété dans le passé comme ce Panorama du Salon carré et de la Grande Galerie (1831) de Samuel Morse, accroché dans l'espace qu'il décrit. Autre artiste célèbre en son temps : George Catlin (1796-1872). En 1845, Louis-Philippe lui accorda le privilège extraordinaire d'une exposition dans la Salle des Séances pour sa série de peintures sur les Indiens du Missouri. Mais la visite studieuse au Louvre est une tradition qui s'est maintenue jusqu'au XXe siècle, comme le prouvent les exemples de Thomas Hart Benton et d'Edward Hopper.
Ketchup dans les climats froids
STOCKHOLM - L'iconoclaste Paul McCarthy débarque en Suède pour une exposition qui devrait faire date : se déployant sur 2000 m2, c'est la plus importante qui lui ait jamais été consacrée. Elle sera signalée à l'entrée par son monumental Daddies Ketchup gonflable de 9 mètres. Soixante films seront présentés et l'éventail des œuvres sera très large, de la sculpture Dead H de 1968 jusqu'à l'installation Bunker Basement, réalisée entre 2003 et 2006. L'artiste né en 1945, qui file des métaphores sur le colonialisme, le culte des images, la société de consommation, et qui adore signifier les fluides corporels par des ersatz comme le ketchup ou la crème au chocolat, est aussi fasciné par le monde des pirates. Il a été heureux d'apprendre que le Moderna Museet s'élève sur le site d'une ancienne base navale et que certaines de ses œuvres montrées pour la première fois le seraient dans l'ancienne prison des marins...
ANNÉES TRENTE
Strasbourg saisi par l'abstraction
Une étonnante coincidence place cette semaine Strasbourg au cœur des avant-gardes des années trente…
Du Bauhaus...
1931 BERLIN Vassily Kandinsky, alors professeur au Bauhaus, reçoit commande de la décoration en céramique d’un « salon de musique » pour la Grosse Berliner Bauaustellung, où architectes, peintres, sculpteurs et artisans veulent montrer leur travail destiné au plus grand nombre. La superbe décoration murale disparaît en fin d’exposition, mais Nina Kandinsky conserve les gouaches originales. 1975 : l’Oréal, qui a créé Art Curial avec la volonté, lui aussi, de mettre l’art contemporain à la portée du grand public, propose à Nina de recréer le salon. Elle accepte, sous réserve que l’œuvre ne puisse être ensuite cédée qu’à un musée, et soit exposée en permanence. Art Curial est vendu, et l’Oréal, qui a entre temps changé son mécénat d’épaule pour s'intéresser à la recherche et aux femmes, part en quête de l’heureux musée. C’est ainsi que Strasbourg et son beau Musée d’art moderne et contemporain, qui comme tant d’autres se bat pour étoffer ses cimaises, hérite de cette œuvre exceptionnelle. Elle est exposée à partir du 16 juin, dans le cadre d’une exposition-dossier très documentée, réunissant gouaches, photos, lettres et quelques tableaux à côté des salles Arp et… des décors de l’Aubette.
...à l' Art Total
1928 STRASBOURG Les frères Horn obtiennent la concession d’une aile de l’Aubette, lourd bâtiment du 18e siècle dominant la Place Kléber, pour y installer un « complexe de loisirs » : café, brasserie, cinéma, dancing… L’aménagement est confié a Jean Arp et Sophie Arp-Tauber, qui font appel pour les aider à l’architecte et artiste hollandais Théo Van Doesburg, grand maître de De Stijl avec Mondrian. Ce sera une œuvre d’art total. L’architecture, synthèse de l’espace, de la forme et de la couleur, structure tout. Ce qui est certainement une des plus grandes réalisations des avant-gardes abstraites de l‘entre-deux-guerres est diversement accueilli. On n’aime pas les couleurs et les lignes trop vives. Les décors sont modifiés et il n’en reste rien dix ans plus tard. Mais certains éléments affleurent encore et la municipalité décide leur restitution. En deux campagnes, menées avec toutes les ressources scientifiques du moment, le premier étage, Ciné bal, Salle des fêtes, Foyer bar , et l’extraordinaire escalier d’accès avec son vitrail de Arp sont restitués au plus proche. Le résultat, révélé depuis cette semaine au public, est éblouissant.
LIVRES
Vigée-Lebrun, Madame
C'était une femme de tête, européenne avant l'heure. Avec ses innombrables portraits, elle a connu le succès à Paris et Versailles (où elle chantait des duos avec Marie-Antoinette), à Londres (où Reynolds s'extasiait sur sa peinture), en Suisse et à Saint-Pétersbourg, où elle fut reçue académicienne. Alors que l'on vient de fêter le 250e anniversaire de sa naissance (1755), ses souvenirs pleins de fraîcheur et de naturel ressortent dans un commode format de poche sous coffret. On y recroise toute la belle société de l'époque - danseurs, comédiens, têtes couronnées - prise dans les remous de la Révolution et de la Restauration. Le sous-titre militant (une édition féministe) se justifiait en 1983 lorsqu'il s'agissait de republier dans leur ensemble des mémoires généralement tronquées par les précédents compilateurs.
BRÈVES
BÂLE - Samuel Keller, le directeur de la foire Art Basel, a annoncé sa démission. Elle sera effective en 2008, date à laquelle il prendra la direction de la fondation Beyeler.
BASTIA – La 8e Biennale de photographie se tient du 15 juin au 31 juillet au centre culturel Una Volta. Elle accueille des expositions de Paulo Nozolino, Jean-François Joly, Olivier Laban-Mattei ainsi que de deux photographes accueillis en résidence, Christel Boertjes et Karolina Nemethova.
CHALON-SUR-SAONE - Le musée Nicéphore-Niépce présente du 17 juin au 1er octobre une exposition sur les coloramas, ces immenses formats (100 m2) que la maison Kodak a affichés pendant un demi-siècle dans la gare centrale de New York. Précision : les vingt reproductions ne sont pas à l'échelle initiale...
CHYPRE - Les autorités chypriotes ont annoncé l'annulation de Manifesta 6, dont l'ouverture était prévue à l'automne. Manifesta est un grand rassemblement biennal et itinérant d'art contemporain (Manifesta 5 s'était tenu à San Sebastián, en Espagne). Les organisateurs doivent annoncer prochainement une formule de substitution.
FORT WORTH (Texas) - Le Kimbell Art Museum a annoncé qu'il disposait de suffisamment de preuves quant à la spoliation du tableau Glaucus et Scylla de Turner (1841) pendant l'Occupation, à Paris, pour le rendre aux héritiers des propriétaires, Anna et John Jaffé.
LONDRES - Belles séances d'art moderne et impressionniste au programme de Sotheby's et Christie's, du 19 au 21 juin. Chez le premier, un Portrait de Jeanne Hébuterne par Modigliani est estimé à plus de 8,5 millions de livres. Chez le second, les Tournesols de Schiele, récemment redécouverts, sont prudemment estimés à plus de 4 millions de livres.
LONDRES - La Ceramics Fair, foire spécialisée, tient sa 25e édition du 15 au 18 juin 2006 au Park Lane Hotel. La Manufacture de Sèvres, qui produit sans discontinuer depuis 250 ans sera présente pour la première fois.
LONDRES - Pour la première fois de son histoire, le British Museum va rester ouvert jusqu'à minuit, pour faire face au succès public de l'exposition consacrée aux dessins de Michel-Ange.
MONTPELLIER - La manifestation Chauffe Marcel, qui entend faire le point sur l'héritage de Marcel Duchamp dans l'art contemporain, ouvre le 16 juin dans une vingtaine de lieux différents de la région Languedoc-Roussillon.
NEW YORK - Sotheby's a annoncé le rachat de Noortman Master Paintings. Le marchand néerlandais Bob Noortman, l'un des poids lourds mondiaux dans le domaine des maîtres anciens, reçoit en échange 3,2 % des parts de Sotheby's, dont il devient l'un des principaux actionnaires.
PARIS - La vente Dray d'arts décoratifs du XXe siècle, qui s'est tenue les 8 et 9 juin chez Christie's, a tenu toutes ses promesses, avec un produit de 59,7 millions d'euros. La star de la vacation a été Armand Rateau (1882-1938), dont sept lots ont dépassé le million d'euros, avec une paire de jardinières de 1925 s'envolant à 4,1 millions d'euros.
PARIS – La Journée du patrimoine de pays, qui met en valeur moulins, lavoirs, chapelles, etc, aura lieu cette année le dimanche 18 juin. Quelque 1500 manifestations sont organisées dans toute la France.
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Cette semaine, ne manquez pas
La ville vue à travers le prisme des impressionnistes français et des expressionnistes allemands : c’est la confrontation que propose la Schirn Kunsthalle de Francfort. Objet d’admiration pour les premiers avec ses boulevards, ses cafés, ses illuminations, sa civilisation du loisir. Monstre tentaculaire engendrant la pauvreté et la violence pour les seconds. La vérité est probablement entre les deux…