ArtAujourdhui.Hebdo
N° 36 - du 22 février 2007 au 28 février 2007
L'AIR DU TEMPS
Vendez, il en restera quelque chose
Les musées français restent fermes sur le principe de l’inaliénabilité de leurs collections. En d’autres termes, une œuvre entrée dans un fonds public, qu’il s’agisse du Louvre ou d’un musée de province, ne peut plus en sortir. Les musées américains, qui sont pour la plupart privés, ont beaucoup moins de contraintes en la matière. Il leur arrive de se débarrasser d’œuvres pour obtenir des ressources financières afin d’accroître leurs collections dans certains compartiments qui semblent prioritaires. Cette politique de deaccessioning, que pratiquent à l’occasion des institutions comme le Metropolitan Museum ou le MoMA, n’est pas universellement acceptée et provoque des grincements de dents. C’est le cas pour le véritable nettoyage qu’effectue l’Albright-Knox Gallery de Buffalo. Pour se concentrer sur son « cœur de cible » qui est l’art moderne et contemporain, il vend chez Sotheby’s de mars à juin près de deux cents pièces, de l’Antiquité gréco-romaine aux tissus ethniques navajos en passant par des petits maîtres de la Renaissance italienne. Profit attendu : au moins 15 millions de dollars. Un trésor de guerre pour pouvoir se mesurer à de nouveaux et richissimes collectionneurs dans un marché de l’art devenu un peu fou…
Liste des principales œuvres sur le site du musée de Buffalo
EXPOSITIONS
Eloge de la tache
TURIN – Comme il est survenu plus d’une fois (que l’on pense aux fauves), le mouvement artistique des « macchiaioli » tire son nom d’une appréciation méprisante. Un critique ne vit dans l’œuvre de ces adeptes du réalisme, qui refusaient le dessin descriptif au profit d’une accumulation d’effets de couleur, qu’un amoncellement de taches ou « macchie ». Insulte qui devint leur emblème… Les macchiaioli sont aujourd’hui réunis au palazzo Bricherasio à Turin mais ils furent essentiellement toscans : le premier groupe se retrouvait au café Michelangelo à Florence. Leurs motifs furent généralement champêtres - paysans au travail, moissons, troupeaux de vaches – et décrivaient avec l’idéalisme d’un pays tout juste uni (dans les années 1860) une humanité aux prises avec un travail pénible. Parmi la centaine d’œuvres réunies, beaucoup sont des principaux exposants du mouvement comme Silvestro Lega, Telemaco Signorini et Giovanni Fattori. De ce dernier, on découvre un Ave Maria non exposé depuis un demi-siècle et de Signorini une scène de hâlage digne de Répine, retrouvée dans une collection anglaise. Les plaisirs simples de la vie familiale attiraient aussi les macchiaoli – scènes de couture en intérieur, promenades en forêt. Trop peu connus à l’étranger, ils représentent une synthèse originale entre l’école de Barbizon et l’impressonnisme.
Fischli & Weiss, paire tous azimuths
PARIS – C’est le mois des amoureux et, semble-t-il, aussi celui des couples ou paires d’artistes. Après Gilbert & George à la Tate Modern, c’est le tour des Suisses Fischli et Weiss de faire l’objet d’une rétrospective importante (elle provient d’ailleurs également de Londres). Difficile de résumer leur œuvre tant elle prend des directions multiples. Connus pour leur série de photographies sur les aéroports, ils ont également brillé dans la vidéo à séquences répétitives (un chat blanc lappant du lait) ou, au contraire, dans des enchaînements de catastrophes programmées (dans Le cours des choses, des objets s’entraînent mutuellement dans une chute sans fin). Le burlesque est évidemment une composante essentielle de leur œuvre (on les a vus déguisés en rat et en ours), qui a aussi une prétention encyclopédique de description du monde. Fischli & Weiss ont ainsi passé beaucoup de temps à reproduire en petites sculptures tous les objets de leur atelier. Leur création est à l’image d’un monde multipolaire : à plusieurs entrées.
Pascin, ivre de femmes
PARIS – On le définit joliment comme l’homme des trois monts : Parnasse, Martre et Vénus. Ce qui permet de résumer adroitement son enracinement parisien et son goût pour les choses de l’amour et la représentation de la femme. Jules Pascin, né en 1885 dans l’actuelle Bulgarie, arrive à Paris à Noël 1905. Il y mourra, suicidé en 1930. Ce qui se passe entre temps est l’objet de l’exposition du musée Maillol, qui montre en 180 œuvres les différentes facettes d’une production abondante, des dessins satiriques pour le magazine allemand Simplicissimus aux dessins de prostituées impudiques, qui embarrassaient ses galeristes de l’époque (voir cette Caresse explicite de 1925, crayon et lavis sur papier). La vie de bohème maudite de Pascin, entre femmes, alcools et camaraderies artistiques, a vite fasciné les Américains : elle symbolisait admirablement leur vision du Paris des Années folles. Ce rapport privilégié, favorisé par le long séjour de Pascin aux Etats-Unis pendant la Première Guerre mondiale (il obtint d’ailleurs la nationalité américaine), a eu pour pendant son progressif oubli en France. Le regain d’intérêt pour Pascin, illustré notamment par une récente biographie dessinée de Johann Sfar, trouve un riche prolongement dans cette rétrospective.
MUSÉES
Un Muséum cher à Flaubert
ROUEN – Sa décadence avait quelque chose de poignant : ses cires anatomiques, ses animaux empaillés, ses squelettes n’étaient plus ouverts, depuis une décennie, qu’aux spécialistes. Le Muséum d’histoire naturelle de la capitale normande, le plus riche de France après celui de Paris, impressionna et inspira par sa bizarrerie des auteurs comme Flaubert ou, plus récemment, Philippe Delerm. Il rouvre enfin, le 23 février, 179 ans après sa création. Parmi les 800 000 objets réunis dans l’ancien couvent des Visitandines, la galerie des oiseaux est l’une des plus séduisantes. Mais on y trouve aussi, sur 2500 m2, des mammifères, de l’anatomie à foison, de la botanique et de la minéralogie et une approche de l’écologie régionale. La dimension « cabinet de curiosités » qui naît de l’accumulation de collections disparates serait incomplète sans une section consacrée aux monstres…
L’ARTISTE DE LA SEMAINE
Chuck Close, y’a pas photo
PARIS-MADRID – C’est l’un des grands de l’hyperréalisme américain des années 1970 : Chuck Close, né en 1940 à Monroe (Washington), est mis deux fois à l’honneur en Europe. En France, c’est la galerie Xippas qui réunit certains de ses portraits les plus connus, dont ceux de Robert Rauschenberg, Jasper Johns ou Philip Glass. En Espagne, c’est le musée Reina Sofía qui lui dédie une rétrospective couvrant la période de 1968 à nos jours. La technique de Close consiste à prendre pour point de départ des photographies qu’il recopie en peintures à l’acrylique sur toile, en beaucoup plus grand (en privilégiant, à partir de 1968, le format 270 x 210 cm). Il utilise pour cela une technique immémoriale qui consiste à diviser le modèle en un grand nombre de carrés, dont chacun est reporté sur la copie : Tintoret ne procédait pas autrement, comme on peut le vérifier dans une autre exposition madrilène, au Prado. La minutie de Close s’est exprimée dans différentes techniques, classiques ou moins : au pinceau, au couteau ou même en utilisant le bout de ses doigts… En 1988, une rupture d’anévrisme l’ayant partiellement paralysé, il mit au point de nouvelles méthodes pour surmonter son handicap et continuer à peindre, notamment au moyen de baguettes.
LIVRES
Les clés du mécénat
Son nom trahit sa fonction : il s’agit bien d’un répertoire, qui liste des centaines d’entreprises mécènes en France. Pour chacune d’elles, la fiche indique ses dirigeants, les montants investis, les principes qui guident sa politique de mécénat, l’implication des salariés mais également – l’objectif est moins théorique et s’adresse à ceux qui recherchent des subventions – les modalités de sélection des dossiers. Mais l’ouvrage va au-delà de ce simple bottin puisqu’il propose en première partie un bilan du mécénat et des dispositifs juridiques en France. Sont commentés ici les chiffres clés, les tendances dans chaque compartiment (solidarité, sport, culture, etc), mis en regard avec la situation internationale. Une conclusion ? Le mécénat progresse en France tout en restant mesuré : 1 milliard d’euros par an (un peu moins qu’en Italie et en Grande-Bretagne, dix fois moins qu’aux Etats-Unis) et s’applique surtout dans le secteur de la solidarité (devant la culture). La loi d’incitation du 1er août 2003, avec ses dégrèvements fiscaux, n’est utilisée par 50% des entreprises mécènes. Il reste à convaincre les autres…
BRÈVES
AMSTERDAM – C’est le photographe américain Spencer Platt qui a remporté le World Press Photo Award pour ses images des bombardements au Liban.
FLORENCE– Un tableau de Cézanne dont on avait perdu la trace – Le Repas chez Simon, une copie de Véronèse, a été retrouvé dans une collection privée italienne. Il sera présenté à l’exposition qui ouvre au palazzo Strozzi le 2 mars.
NEW YORK – L’Armory Show se tient du 22 au 25 février avec 150 galeries d’art contemporain venues du monde entier.
NEW YORK – Effet Getty au MoMA ? Le tout-puissant directeur de l’institution, Glen Lowry, fait l’objet d’une enquête sur des pratiques financières contestables, notamment des paiements dissimulés qui lui auraient été versés par des membres du conseil d’administration.
PARIS – Pierre Pinoncelli, l’homme qui avait endommagé un urinoir de Duchamp lors d’une exposition au centre Pompidou en janvier 2006, a été condamné en appel à verser 14352 € de frais de réparation. Le centre Pompidou demandait 200 000 € de dommages et intérêts.
TURIN – Andrea Bellini, rédacteur en chef de la version américaine de Flash Art, a été nommé directeur de la foire d’art moderne et contemporain Artissima, en remplacement du démissionnaire Roberto Casiraghi.
SUR ARTAUJOURDHUI.INFO
Cette semaine, ne manquez pas
L'EMPIRE INTERDIT Visions du monde des maîtres chinois et flamands
BRUXELLES - 143 œuvres sur 1200 mètres carrés pour deux visions du monde : celle de l'Occident, par l'intermédiaire de l'art flamand, et celle de l'Orient, qui s'exprime à travers l'art chinois. L'originale exposition montée par Yu Hui et l'artiste Luc Tuymans confronte dessins, tableaux, calligraphie, cartographie et semble démontrer que si le monde s'est rétréci, les distances "mentales", elles, n'ont pas bougé…
LES TERRILS, OMBRE ET CLARTE
LEWARDE - Le Centre historique minier provoque une rencontre inattendue entre deux créateurs. D'un côté, le photographe Patrick Devresse, adepte du noir et blanc, de l'autre, Lucien Suel, qui joue avec les mots et les assemble en calligrammes et autres compositions typographiques. L'objet de leur collaboration est le terril, squelette vertical qui a marqué tout les paysages du Nord minier.