ArtAujourdhui.Hebdo
N° 38 - du 8 mars 2007 au 14 mars 2007
L'AIR DU TEMPS
Le milliard d’Abou Dhabi
ABOU DHABI – Ca y est, c’est signé ! Le mardi 6 mars, le ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, a paraphé avec les autorités de l’émirat un accord qui lie pour trente ans le musée du Louvre et d’autres musées nationaux à un « Louvre des sables » dont l’architecte sera Jean Nouvel, et qui doit ouvrir en 2012. Les honoraires prévus pour ce « mariage » - environ 1 milliard € - dépassent de loin tout autre opération de mécénat connue et se décomposent en plusieurs volets. La rémunération consentie pour la seule utilisation du nom « Louvre » pendant 30 ans est de 400 millions €. La création d’une nouvelle entité, l’Agence internationale des musées de France (l’AIMF, émanation du Louvre et d’autres grands établissements publics comme Orsay et le Centre Pompidou), qui accompagnera tout le processus, sera financée à hauteur de 165 millions €. L’organisation pendant 15 ans, de 2012 à 2027, de 4 expositions temporaires par an (soit 60 expositions), rapportera 385 millions €. A cela s’ajoutent divers compléments : 25 millions € pour soutenir le développement du Louvre et 5 millions € pour la restauration du château de Fontainebleau. La contrepartie de cette manne financière ? De 2012 à 2027, le Louvre et les grands musées français devront prêter des centaines d’œuvres, pour quelques mois s’il s’agit d’expositions temporaires, jusqu’à 2 ans pour l’ébauche de la collection permanente. Beaucoup de questions demeurent : quelles œuvres seront prêtées ? Par quelles institutions, précisément ? Et la constitution de la collection permanente du Louvre Abou Dhabi, qui sera pilotée par l’AIMF avec un budget décennal de 400 millions €, ne produira-t-elle pas des conflits d’intérêt avec la politique d’acquisition des musées français ? Les réponses dans les deux décennies à venir…
SALONS
TEFAF a 20 ans
MAASTRICHT – La foire néerlandaise, devenue au moins aussi incontournable que la Biennale des antiquaires de Paris, fête son 20e anniversaire cette année. Elle le fera sans l’un de ses fondateurs, le charismatique marchand Bob Noortman, disparu il y a peu. La montée imparable de la scène asiatique semble se matérialiser en 2007 en un tapir de bronze incrusté de pierres précieuses. Fondu en Chine il y a 2500 ans, il est aujourd’hui proposé par la galerie Littleron & Hennessy à 12 millions de dollars : c’est l’objet le plus cher de la foire. D’autres « highlights » sont l’ultime tableau de David, La colère d’Achille au sacrifice d’Iphigénie ou Femmes oiseaux, un Miró de 1944. Le nombre de galeries atteint cette année 219 (il y en avait 97 en 1988) mais l’on assiste à une redistribution des cartes entre les époques : la volonté de donner toute sa place au XXe siècle a amoindri d’autres secteurs comme l’art primitif. Les visiteurs étaient 17 000 en 1988 et 84 000 en 2006. Pour éviter un trop grand afflux qui pourrait, selon les organisateurs, « menacer la réputation de la Tefaf en ce qui concerne la qualité et l’exclusivité », les prix d’entrée ont été relevés…
EXPOSITIONS
On a fait parler Beckett
Pour le grand public, Beckett est un écrivain hermétique, Irlandais décharné au profil d’aigle. L’exposition que lui consacre le Centre Pompidou, dans la lignée de celles consacrées à Roland Barthes ou Jean Cocteau, montre une œuvre largement plus variée, incluant un film expérimental (Film, tourné en 1964 avec Buster Keaton) et des émisions pour la télévision. Outre les éléments attendus d’une telle rétrospective (photographies, manuscrits et lettres qui mettent en relief le choix de bilinguisme fait par Beckett, une fois installé en France en 1938), les commissaires ont voulu mettre l’œuvre du prix Nobel en résonance avec celle d’artistes qui lui furent contemporains comme Sol LeWitt ou Richard Ryman, ou de créateurs actuels qui ont conçu des installations viuelles ou sonores.
Fontainebleau, mère de toutes les forêts
PARIS – C’est fou ce qu’elle a accueilli de grands esprits ! Si la forêt de Fontainebleau n’existait pas, il faudrait l’inventer. Elle est au rendez-vous de plusieurs belles aventures de l’art moderne, des pionniers de la peinture d’extérieur (Théodore Rousseau dès les années 1830), à la plénitude paysagère de Corot, de la révolution de Manet (Le Déjeuner sur l’herbe lui doit beaucoup) aux premiers essais de photographie (avec Gustave Le Gray, par exemple). Elle méritait bien sa rétrospective, autant qu’un grand artiste… C’est chose faite au musée d’Orsay, qui dispose du fonds idoine mais qui a aussi emprunter, du Danemark à la Suisse, pour donner l’image la plus large possible de cette nature variée aux portes de la capitale.
MUSÉES
L’adieu fait à Bouchard
PARIS – Un musée qu’on ferme, c’est comme un vieillard qui meurt, pour reprendre une formule africaine : un pan de mémoire qui disparaît. C’est ce qui va se produire à Paris, cette semaine, avec la clôture définitive de l’atelier Bouchard, où sont conservées 1200 œuvres du sculpteur figuratif (1875-1960) amoureusement veillées par son fils, qui sera nonagénaire au printemps, et sa belle-fille. Un dévouement qui dure depuis 1962, date à laquelle ces deux passionnés ont décidé de se vouer corps et bien à la défense de l’œuvre d’Henri Bouchard, point trop à la mode alors et pourtant auteur d’œuvres « classiques » (le groupe d’Apollon au Trocadéro, le fronton de l’église Saint-Pierre-de-Chaillot, les bas-reliefs de femmes sur le magasin du Printemps, etc). La mairie de Paris, sollicitée plusieurs fois, n’a pas montré d’intérêt pour la collection. Fort heureusement, les fins peuvent être heureuses : une belle institution va recueillir ce fonds et le reconstituer tel quel, avec son accumulation de bronzes et plâtres, son mur à clous (jusqu’à son poële ?). Il s’agit du musée de la Piscine, à Roubaix, dont Bouchard fut l’un des décorateurs, lorsqu’elle fut, comme son nom l’indique, une piscine Art déco. Il faudra simplement s’armer de patience : cette renaissance n’est annoncée que pour 2010.
L’ARTISTE DE LA SEMAINE
Mike Kelley : installations tous azimuths
LONDRES – Difficile de résumer l’œuvre de cet artiste américain, né en 1954 à Detroit. Il peut aussi bien réaliser des sculptures avec des objets trouvés que des statues de personnages connus en fibre de verre (John Glenn), des photos en noir et blanc de lieux familiers ou encore des installations de grande dimension. Il a eu les honneurs du Louvre en 2006 lors de l’exposition « Les artistes américains et le Louvre », avec une commande spécifique (l’installation vidéo ) et vient de réaliser un beau score chez Christie’s à New York le 26 février avec sa fameuse Room Containing Multiple Stimuli Known to Elicit Curiosity and Manipulatory Responses (1999). Cette cage de 18 mètres sur 7, qui servit de décor à un ballet de Martha Graham, contient divers objets évoquant les expériences de laboratoire sur les singes. Mike Kelley est aujourd’hui invité à Londres dans l’immense galerie Gagosian pour une exposition beaucoup plus sobre de « dessins hermaphrodites », qui représentent des corps humains ou certains de leurs organes.
LIVRES
Liberté, égalité, art ?
Quelle est la fonction de l’art ? Produire du beau, certainement. Mais, de plus en plus, contribuer à créer du lien social dans des sociétés qui perdent leurs repères traditionnels. C’est en suivant cette clé de lecture que Claire Moulène, qui signe généralement dans les Inrockuptibles, réalise un écorché de la création actuelle. Ce petit volume maniable et illustré passe en revue des acteurs comme Atelier Van Lieshout ou Spencer Tunick (connu pour ses photos de foules nues), dont le travail prend pour acteur l’individu, le groupe, la communauté. Sont mis en avant des collectifs intéressants comme le groupe d’architectes romains Stalker, qui se réapproprie friches et terrains vagues urbains au moyen de longues marches, ou des « stars » comme Thomas Hirschhorn, qui était allé contruire son Musée précaire Albinet à Aubervilliers avec des palettes de bois, avant de le remplir de vrais chefs-d’œuvre. Jeremy Deller rejouant les affrontements d’Orgreave au moment de la grève des mineurs en Angleterre, Malachi Farrell ou Tatiana Trouvé inventant des entreprises fictives, sont quelques-uns des artistes passés en revue, jusqu’au plus radical, Santiago Sierra, aux performances dérangeantes : payer des prostitués à se masturber ou des immigrés africains à creuser des trous dans le désert d’Almería, en Espagne.
BRÈVES
AUCKLAND – La 3e triennale d’Auckland s’ouvre le 9 mars dans la capitale néo-zélandaise sous le titre turbulence et explorera les thèmes de l’exil, du souvenir, de la colonisation. Parmi les artistes présents : Mona Hatoum, Isaac Julien, Carlos Garaicoa et Michal Rovner.
DUBAI – La Gulf Art Fair se tient du 8 au 10 mars avec une quarantaine de galeries internationales dont la londonienne White Cube et la française Baudoin Lebon.
PARIS - Trois œuvres de Picasso, un dessin et deux toiles majeures, évaluées à 50 millions € - Maya à la poupée et un portrait de Jacqueline - ont été dérobés dans le nuit du 26 au 27 février du domicile de Diana Widmaier, petite-fille du peintre.
PARIS – A l’occasion de la Journée internationale de la Femme, le musée de l’Homme se met au contemporain et propose l’exposition « Femmes héroïques, une mythologie moderne », qui se veut la « première exposition mondiale réelle et virtuelle ». A vérifier sur pièces…
PARIS – La galerie Magda Danysz va quitter la rue Durkheim dans le XIIIe arrondissement, où elle est installée depuis 1999, pour emménager en mai prochain dans un espace de 500 m2, rue Amelot, dans le XIe arrondissement.
SUR ARTAUJOURDHUI.INFO
Cette semaine, ne manquez pas
Regards sur l'Europe. L'Europe et la peinture allemande au XIXe siècle
BRUXELLES - Grâce à de nombreux prêts des musées de Berlin, Munich et Dresde, le Palais des Beaux-Arts offre un panorama complet de la peinture allemande du XIXe siècle, incluant aussi bien Friedrich que Max Lieberman. L'attirance pour les voisins du continent est étudiée à travers des étapes choisies qui mènent d'une Grèce antique idéalisée à la France, en passant par la Belgique ou la Scandinavie.