ArtAujourdhui.Hebdo
N° 41 - du 29 mars 2007 au 4 avril 2007
L'AIR DU TEMPS
Cherchez la femme
Alors que la question a été légitimement posée de la part qu’aurait dans les expositions du Louvre Abou Dhabi l’image occidentale de la femme, l’Art Newspaper et The Guardian se font l’écho d’un souci comparable des conservateurs de la Tate Gallery : donner aux femmes la place qui leur revient. Une analyse des collections a en effet montré que 12 % seulement des 2914 artistes exposés par la vénérable institution sont des femmes : à peine plus de 300. Le chiffre est encore plus déplorable si l’on raisonne en termes d’œuvres : il descend à 7 %. The Guardian en profite pour proposer quelques acquisitions essentielles. Sont ainsi citées Frida Kahlo, Georgia O’Keeffe, Lee Miller ou Vanessa Beecroft. Les Guerilla Girls mènent depuis des années des actions spectaculaires pour amener à une prise de conscience de la sous-représentation des femmes. La parité n’a ici guère de sens mais la démarche est intéressante : maintenant que les musées sont devenus des sujets d’actualité brûlante, pointer et porter sur la place publique les insuffisances des collections. Qui sait si l’on ne verra pas naître des mouvements citoyens, des associations d’usagers pouvant influencer la politique d’acquisition ? Comme les syndicats d’actionnaires minoritaires dans la gestion des entreprises du CAC 40. A l’heure où les grands musées s’apparentent de plus ne plus à des multinationales, ce type de convergence n‘est pas à exclure.
EXPOSITIONS
Piero, symbole de la Renaissance
AREZZO - Natif de Sansepolcro, il s’est formé auprès des grandes cours d’Italie centrale (Pérouse, Florence, Ferrare) avant de devenir un des plus grands interprètes de la Renaissance. Comme elle en a l’habitude dernièrement (Mantegna), l’Italie nous propose une intelligente exposition rétrospective reliant plusieurs cités entre elles : Sansepolcro (Museo Civico), Monterchi (où se trouve la Madone enceinte) et Arezzo (chapelle Bacci dans l’église San Francesco). C’est à Arezzo, au Museo Nazionale d’Arte medievale e moderna que se tient l’exposition la plus complète avec une centaine d’œuvres provenant des environs immédiats – comme la Madone de Senigallia (de Pérouse) ou plus lointains comme le Portrait de Sigismond Malatesta (du Louvre). Pas seulement de Piero : pour souligner l’importance des échanges, des rapports entre artistes et cours, sont aussi montrés des tableaux ou retables de Rogier van der Weyden, Pisanelle, Berruguete, ainsi que des bronzes, des monnaies, des manuscrits enluminés. Avec Piero della Francesca, la Renaissance atteint sa plénitude expressive, dans la technique et la narration. Pas étonnant qu’il soit mort le 12 octobre 1492, jour où Christophe Colomb, en découvrant l’Amérique, marquait l’entrée dans les Temps modernes…
Le surréalisme en objets
LONDRES – Dans la lignée de ses grandes expositions thématiques sur le design à travers les âges – les précédentes ont été consacrées à l’Art & Crafts, à l’Art déco, au modernisme, le Victoria & Albert s’attaque au morceau le plus complexe : le surréalisme. Si le mouvement d’André Breton a marqué en profondeur la société, il ne s’est pas forcément incarné dans des objets de tous les jours. La commissaire, Ghislaine Wood, en a conscience et juxtapose des pièces uniques et délirantes à des créations qui, elles, ont eu une descendance. Du côté des premières, ces icônes que sont le téléphone-homard de Dali et James, le fer à repasser clouté de Man Ray, la brouette recouverte de satin d’Oscar Dominguez ou la tasse à thé poilue de Meret Oppenheim. En face, les innovations sont plutôt du domaine du conceptuel, avec une révolution dans l’esthétique des vitrines (en particulier chez Elsa Schiaparelli), de la mode, de la publicité, du graphisme (jusque pour les couvertures de Vogue). Foisonnante avec ses 300 objets, l’exposition revisite une bonne partie du XXe siècle puisqu’elle s’est choisi des limites temporelles larges, des années vingt jusqu’au lit-cage de Max Ernst de 1974. Quelques grands moments en sont l’introduction en musique et ballet (De Chirico, Masson et Miro) et la reconstitution, en modèle réduit, du tunnel-galerie conçu en 1942 par Frederick Kiesler pour Peggy Guggenheim. La lumière s’éteint, les toiles de Delvaux et Magritte sont plongées dans le noir et l’on entend le mugissement d’une locomotive…
Archéologie du quotidien
MARSEILLE - Le musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, connu sous son acronyme MUCEM, est en construction à Marseille sous la direction de l’architecte Rudy Ricciotti. Son ouverture est prévue pour 2010. Pour faire patienter le public – et notamment les adeptes de feu le musée des Arts et traditions populaires -, une exposition de préfiguration est organisée au fort Saint-Jean sous le titre « Trésors du quotidien ». Elle présente un florilège d’objets classés en trois grandes parties - utilité, distinction, transmission. Une armoire tyrolienne, une charrette sicilienne décorée de scènes de la Chanson de Roland, un berceau, des noyaux de cerise porte-bonheur : est-il si facile de les classer dans une catégorie ? Pour ne pas être accusé de passéisme, les commissaires remontent le temps jusqu’à nos jours et montrent le diadème de Miss France ou le masque funéraire du chanteur Rory Gallagher en papier mâché.
MARCHÉ
Art Paris bisse au Grand Palais
PARIS - En étant la première foire à avoir réintégré le Grand Palais rénové en 2006, Art Paris y a acquis une dimension supplémentaire. Elle conserve cette année un taux de participation étrangère de l'ordre de 30% mais s'est donnée une plus forte coloration d'art contemporain. La remise du nouveau prix de dessin de la fondation Daniel et Florence Guerlain y contribue. Autre initiative originale : le parcours de la sculpture, qui défend une technique un peu en perte de vitesse : Niki de Saint-Phalle (chez JGM), Jorge Oteiza (chez Jean Brolly) ou Martin Chirino (chez Thessa Herold) sont quelques-uns des vingt artistes qui jalonnent cette promenade. Parmi les propositions originales des 110 galeries présentes, on retiendra celle de Marion Meyer qui rend hommage à l'exposition Micro-Salon de 1957 chez Iris Clert en réunissant, comme sa célèbre devancière, des œuvres miniatures d'une centaines d'artistes, d'Arman à Wols.
L'ARTISTE DE LA SEMAINE
Andreas Gursky : la photo au sommet
LONDRES – Qui aurait imaginé qu’une photographie atteindrait aussi vite des prix aussi hauts ? Andreas Gursky a largement doublé Richard Prince et son cow-boy Marlboro. En février dernier, une de ses images, 99 cent II a été adjugée chez Sotheby’s à Londres pour 1,5 millions £ (soit près de 2,3 millions €). Partant d’une démarche a priori documentaire avec de grandes compositions frontales dans l’esprit de ses maîtres Bernd et Hilla Becher, l’artiste allemand, né en 1955, introduit cependant du virtuel grâce à sa maîtrise de la manipulation numérique. A vérifier en étudiant de près les immenses images présentées à la galerie White Cube, notamment celle d’un paddock de Formule 1, où les bolides sont entourés d‘une foule exagérée de mécaniciens. Ou, pour donner plusieurs visages à la mondialisation, dans un champ d’asperges allemand ou un laboratoire japonais à neutrinos.
LIVRES
Art chinois : une initiation
La Chine occupe en permanence la une de l’actualité : davantage pour les performances de ses industries textiles ou ses ambitions spatiales que pour sa civilisation. Ce volume d’une nouvelle collection se veut une initiation accessible à l’art chinois, que sa densité peut rendre intimidant. La maquette – simple, presque un peu « vieillote » - ne cherche pas l’effet spectaculaire et ne multiplie pas les images d’un format demi-timbre poste. On entre assez facilement dans ce panorama qui s’étend des disques de jade banbi (3000 av. J.-C) jusqu’aux arts décoratifs du XVIIIe siècle (laque) en passant évidemment par la porcelaine et les peintures de lettrés. Le propos est complété par des gros plans sur la langue et sur la forme des temples, par un glossaire et une frise chronologique. La création moderne et contemporaine est passée sous silence : dommage car tout semble montrer, et pas seulement le résultat des enchères, qu’elle connaît une véritable explosion.
BRÈVES
MILAN – Le salon d’art contemporain MIART se tient du 30 mars au 2 avril 2007.
PARIS – Le 11 e Pavillon des antiquaires se tient du 28 mars au 1er avril au jardin des Tuileries. Nocturnes les 29 et 30 mars jusqu’à 22 h.
PARIS - Enki Bilal hisse la BD vers les sommets : la vente de ses planches par Artcurial le 24 mars a été un succès inattendu. Le tableau Bleu sang (Eux) s'est vendu à 150 000 €, soit quatre fois son estimation.
PARIS - Le prix de dessin contemporain de la fondation Daniel et Florence Guerlain a été attribué à l'artiste suisse Sylvia Bächli, né en 1956.
PARIS - Sur le modèle de ce qui se fait à Londres ou New York avec les "Italian Sales", Artcurial lance sa première "Vente italienne d'art du XXe siècle" le 2 avril. Parmi les œuvres proposées, un Achrome de Manzoni estimé 400 000 € et un Paysage de Morandi (300 000 €).
SAN JUAN (PUERTO RICO) – Nexus, la foire d’art contemporain des Caraïbes, est organisée du 30 mars au 2 avril, avec une soixantaine de galeries du monde hispanique.
SUR ARTAUJOURDHUI.INFO
Cette semaine, ne manquez pas
La Ricarda
ALBI – Le résultat d’un projet étonnant est présenté au Lait, centre d’art contemporain : le film produit par 13 artistes réunis en résidence en juillet 2006 à La Ricarda, un domaine de la banlieue barcelonaise. Une démarche qui entend réinjecter de l’utopie dans la réalité urbaine…
Double exposition Albert Ayme
ARLES – L’un des grands interprètes de l’abstraction est accueilli au musée Réattu : Albert Ayme, né en 1920, s’est fait connaître par ses toiles libres et par son concept de "relief soustractif". Sa Suite Jaune, 27 grandes toiles, obéit à une approche musicale de la couleur et se place sous l’invocation de Van Gogh.
Théophile Alexandre Steinlen
BELLINZONA – C’est à la redécouverte d’un artiste empreint d’humanisme qu’invite la Villa dei Cedri. Steinlen (1859-1923), rendu célèbre par son affiche du cabaret montmartrois Le Chat noir, a aussi témoigné, par la lithographie ou le dessin, des ravages de la guerre, des petits métiers ou de son amour pour les animaux.
La peinture fait des vagues – Claude Rutault
BREST – Avec son protocole « d/m » (définition/méthode), Claude Rutault, né en 1941, questionne le statut de l’œuvre d’art et son environnement. Au sein du musée des Beaux-Arts, il invite à des rapprochements inattendus avec des tableaux célèbres.
Un passe-temps princier, les manufactures de Charles II de Lorraine
BRUXELLES – Gouverneur des Pays-Bas autrichiens, Charles de Lorraine (1712-1780) fut un prince féru de science et de progrès technique. L’exposition rappelle son rôle dans la fondation de manufactures d’arts appliqués, dans les domaines de la céramique, des pièces en métal et, plus que tout, de textiles imprimés et de papiers peints.
Le musée de l’Ecole de Nancy dévoile ses réserves
NANCY – Pour la première fois depuis son ouverture en 1964, le musée de l’Ecole de Nancy dévoile les trésors conservés dans ses réserves. Des œuvres dues aux grands interprètes des arts décoratifs locaux, Daum, Gallé, Majorelle, Prouvé, ou aux stars de l’Art nouveau. Parmi les curiosités, on citera le cabinet dentaire conçu par Jacques Gruber.