ArtAujourdhui.Hebdo
N° 46 - du 3 mai 2007 au 9 mai 2007
L'AIR DU TEMPS
Faire les poubelles de Bacon, ça paye !
LONDRES – En 1978, un électricien du nom de Mac Robertson demanda à l'un de ses clients, Francis Bacon, chez qui il installait un système de chauffage, de pouvoir conserver ce que ce dernier jetait à la rue : carnets, agendas, esquisses, photographies et coupures de presse. Sa prescience a payé. Le 24 avril, ces lots disparates provenant du plus grand peintre britannique de l’après-guerre ont été adjugés par Ewbank, une petite maison de ventes du Surrey, pour… 1 000 000 £ (environ 1,5 million €). Jamais poubelle n’a, semble-t-il, livré pareil butin. La culbute la plus impressionnante a été le fait d’un portrait inachevé – peut-être celui de Lucian Freud – catapulté d’une estimation de 10 000 £ à un résultat de 400 000 £. On pourra envier le sieur Robertson mais on devra reconnaître que sa vista valait bien celle des critiques d’art d’alors. Cette réussite devrait créer une saine émulation. Avec la quantité d’artistes aujourd’hui actifs, d’appétissants déchets s’amoncellent. A à vos poubelles !
EXPOSITIONS
Suisse : un été 42 très français
LAUSANNE – La Suisse, un havre. Jamais peut-être le pays voisin n’a-t-il autant assumé sa réputation que lors de la Seconde Guerre mondiale lorsque de nombreux intellectuels français hostiles au régime de Pétain y trouvèrent refuge. L’exposition, prolongement d’une recherche intitulée « La province n’est plus la province », explore ce petit âge d’or culturel de la scène helvète, qui vit Eluard ou Vercors être édités ici alors qu’ils étaient interdits en France, Pierre Seghers présenter sa revue de poésie, Aragon déclamer à la radio, etc. Archives sonores, visuelles (Ciné-journal), livres, revues et quotidiens explorent les riches liens tissés pendant la guerre entre intellectuels des deux pays. Pas seulement, d’ailleurs, dans le sens de l’histoire : Edmond Jaloux, pétainiste notoire, s’installe à Lutry et le quotidien « La Gazette de Lausanne », qui voit ses ventes exploser en France (il substitue les journaux français censurés), ne fait que tardivement le choix de la Résistance. Sans oublier que certains intellectuels suisses choisirent de faire le chemin inverse et de s’installer à Paris, où des places étaient à prendre, quitte à faire serment d’allégeance collaborationniste comme l’anthropologue Georges Montandon.
A l’est, la faïence
SARREGUEMINES - Quelque 200 pièces, retraçant l’évolution de la céramique blanche locale, du rococo à l’Art nouveau : c’est le propos de cette exposition qui a reçu le label d’intérêt national. D’Andenne (en Belgique) à Lunéville, de Longwy à Mettlach (dans la Sarre), les entrepreneurs du XIXe siècle utilisent le charbon pour développer une production industrielle, mécanisée. Parmi les familles les plus dynamiques, certaines deviendront très connues, comme les Villeroy et les Boch. Les techniques qui ont permis l’essor de la faïence fine de la Grande Région sont expliquées en détail : terre de pipe (à partir des argiles blanches locales, additionnées de chaux) et cailloutage (à partir de galets de quartz calcinés). Simples assiettes, ou pièces plus architecturées, mais aussi affiches, dépliants publicitaires et photographies s‘attachent à exposer les différentes facettes de cette industrie transfrontalière.
ARCHITECTURE
Sur la Seine, construire pour durer
PARIS – La Cité de l’architecture et du patrimoine et l’Etablissement public d’aménagement Seine Aval lancent un prix international d’architecture durable. Inspiré par des initiatives réussies, comme celle qui a vu la région du Voralberg autrichien devenir un laboratoire de nouvelles formes architecturales, il sera attribué chaque année en septembre. Il donnera lieu à la commande de villas aux lauréats, dont l’ensemble a vocation, à terme, à devenir une collection d’architecture dans un périmètre compris entre Mantes-la-Jolie, Conflans-Sainte-Honorine et Poissy, où se trouve la célèbre villa Savoye de Le Corbusier. Les cinq sélectionnés pour cette première édition sont le Chinois Wang Shu, l’Allemand Stefan Behnisch, l’Indien Balkrishna Doshi, la Française Marie-Hélène Jourda et l’Autrichien Hermann Kaufmann.
VENTES
Cézanne contre Gris
NEW YORK – Les 8 et 9 mai, le pouls du marché de l’art va brutalement s’accélérer à l’occasion des grandes ventes semestrielles d’art impressionniste et moderne chez Christie’s et Sotheby’s. On annonce chaque année que les sources d’approvisionnement se tarissent, les chefs-d’œuvre entrant inéluctablement dans les grands musées pour ne plus en sortir. Et chaque année, c’est donc la même surprise rituelle de voir des tableaux de qualité, rares, resurgir. Cette année, c’est une Nature morte au melon vert, soi-disant la plus importante aquarelle de Cézanne encore en mains privées, qui tient le haut du pavé (Sotheby’s, le 8). Peinte à la fin de sa carrière, elle provient de la collection de Giuseppe Eskenazi, grand marchand milanais de tapis. Le lendemain, Christie’s réplique avec un Juan Gris de 1915, Pot de géranium, portant la même estimation : 14 millions €. Deux portraits – un d’Olga par le Picasso de la période néoclassique (1921) et un de Madame Menier par Modigliani (1918) pourraient atteindre les mêmes cotations.
L'ARTISTE DE LA SEMAINE
Philippe Pasqua : l’appel de la chair
Un artiste français jeune (41 ans), qui fait « du figuratif » et qui s’exporte bien (en 2006, ce fut le triple saut américain avec une exposition personnelle à la Spike Gallery de New York, une autre chez Patrick Painter à Los Angeles et une collective chez Cheim & Read New York, où les élus se mesuraient à Soutine) ? C’est l’équation à laquelle répond Philippe Pasqua, dont la cote monte également sur le second marché : aux enchères, il est passé de 15 000 € en 2000 à 47 000 € au début 2007. Le corps de l’humain, ses replis, sa nudité, ses imperfections, sa décadence aussi. Il y a chez Pasqua de l’expressionnisme mais aussi des liens avec ces inlassables scrutateurs du corps que sont, selon des modalités diverses, Lucian Freud ou Rustin. Il a consacré des ensembles à des femmes, des enfants mais aussi à des séquences d’opérations chirurgicales. La galerie RX présente ses derniers tableaux, toujours de grandes dimensions (des portraits de plus de 2 mètres de côté) et crayons sur papier, en deux séries, dont l’une, « Pulsions », comporte des images crues.
LIVRES
Lalique dans l’intimité
Monstre sacré, ami de Sarah Bernhardt, bijoutier des tsars et de la reine d’Angleterre, comment René Lalique était-il dans la vie quotidienne ? Un recueil de lettres aide à se donner une idée de l’existence trépidante du créateur. Elles sont datées entre 1890 et 1908 – il a entre 30 et 48 ans – et passe une bonne partie de son existence en voyage : à Londres (pour voir Garrard, le bijoutier de la Couronne), en Amérique (pour l’exposition internationale de Saint-Louis en 1904), à Genève, à Saint-Pétersbourg (on a droit au récit amusant d’une mésaventure à la douane : le très organisé Lalique a oublié son passeport). La jeune Alice – sa deuxième épouse - se plaint de son absence. Elle ronge son frein à Paris, tente de se distraire à Saint-Amand-les-Eaux, se demande si elle va oser faire de la bicyclette. On sent venir le drame : minée par la dépression, elle se suicidera en 1909. Transparaissent également toutes les amitiés artistiques, de long terme ou sur des projets précis : le peintre orientaliste Jean-Léon Gérôme, le jeune Gallé ou l’écrivain Jules Claretie qui lui commande un encrier «avec beaucoup d’encre»…
BRÈVES
AMSTERDAM – Art Amsterdam, un salon d’art contemporain réunissant 120 galerie hollandaises et internationales, se tient du 9 au 13 mai.
MADRID – L’extension du musée du Prado, due à Rafael Moneo, vient d’être présentée au public. Elle est visitable les week-ends (sans œuvres d’art) jusqu’à son inauguration en octobre.
PHILADELPHIE – La fondation Barnes a annoncé les noms des six cabinets d’architectes appelés à concourir pour le nouveau bâtiment du musée. Il s’agit de Tadao Ando, Diller Scofidio & Renfro, Kengo Kuma, Thom Mayne/Morphosis, Rafael Moneo, Todd Williams & Billie Tsien.
SAN SEBASTIAN – La 4e édition du festival DFOTO de photographie et vidéo se tient du 3 au 6 mai et accueille 41 galeries.
SEATTLE – Après son jardin de sculptures en janvier dernier, le musée d’Art de Seattle vient d’inaugurer un nouveau bâtiment qui double quasiment ses espaces d’exposition.