ArtAujourdhui.Hebdo
N° 52 - du 14 juin 2007 au 20 juin 2007
L'AIR DU TEMPS
Artistes sans frontières
Robert Storr, commissaire général de la Biennale de Venise, indiquait récemment, dans une interview au "Giornale dell'Arte", le pavillon français comme modèle du cosmopolitisme artistique d'aujourd'hui. Adel Abdessemed est né en Algérie mais travaille en France, Yto Barrada est né en France mais travaille au Maroc, Tatiana Trouvé a des parents italien et sénégalais, Marina Hugonnier est généralement en Angleterre, etc. C'est l'effacement des frontières ! Un artiste a d'ailleurs pensé qu'il était temps de donner naissance à une nouvelle nation, qui rendrait caduques les actuelles : Peter Kees a créé l'Arcadie, riche de réminiscences antiques et poussinesques, qui se signale par son ministère de l'Anti-guerre. Il a déjà ouvert une ambassade en Allemagne et projette d'autres représentations diplomatiques. La parabole n'est pas du goût de tout le monde. Mardi 12 juin, Peter Kees était à Naples pour introniser son consul en Campanie. De "vrais" consulats ont protesté et la cérémonie prévue au Palazzo delle Arti a du être annulée. Comme dans toute crise internationale qui se respecte, des tractations fiévreuses avec les pays en rébellion ont permis de rétablir in extremis l'événement. On dit parfois qu'en art - figuratif ou conceptuel - plus rien ne choque. Jusqu'à preuve du contraire...
EXPOSITIONS
Freud en Irlande
DUBLIN – Le petit-fils du fondateur de la psychanalyse, né à Berlin en 1922 mais émigré en Angleterre avec sa famille à l’arrivée d’Hitler au pouvoir, est considéré comme le plus grand artiste britannique vivant. C’est l’ensemble de sa carrière, depuis les années quarante, qui est présentée au Musée irlandais d’art moderne, avec des choix qui visent à souligner son rapport avec Dublin et l’Eire. Des têtes de coq vues sur les étals des bouchers dublinois – Dead Cock’s Head (1951) - au portrait d’un moderne businessman - The Donegal Man (2006), représentatif d’une Irlande devenue le plus riche pays d’Europe - ses intérêts locaux comprennent également le monde des courses de chevaux et les quartiers populaires de la capitale. Les autoportraits et les grands nus, qui ont constitué l’essentiel de sa production à partir des années quatre-vingt, sont en nombre, avec notamment Leigh under the skylight (1994 ou le récent Irishwoman on a Bed (2004). On pourra profiter du passage à Dublin pour voir l’atelier de son contemporain, Francis Bacon, récemment reconstitué à la superbe Hugh Lane Gallery.
André Derain Londres : le quai Victoria, c. 1906, détail
Saint Ambroise de l’art moderne
PARIS – Ses faits d’armes sont époustouflants : il a organisé les premières expositions personnelles de Cézanne, Picasso et Matisse. En bref, la trilogie fondatrice des grands mouvements du XXe siècle. Ambroise Vollard, mort à la veille de la Seconde Guerre mondiale, fait partie de ces marchands, comme Durand-Ruel ou Kahnweiler, qui ont joué le rôle de « kingmakers » de l’art moderne. L’exposition du musée d’Orsay rend hommage à ses talents de découvreur en exposant des tableaux révélés chez lui, de Van Gogh à Derain, qu’il poussa par exemple à réaliser des vues de Londres. Elle montre aussi ses pouvoirs d’inspirateur (il incita les peintres à diversifier leur création en sculptant ou en faisant de la céramique). Elle fait enfin le tour de ses multiples activités : il fut également éditeur (la célèbre Suite Vollard des gravures de Picasso) et auteur de monographies. Les portraits que l’on a de lui, comme cette tête de Vollard au turban par Renoir montre l’étroitesse des liens qu’il sut tisser avec ses artistes.
Photographes arméniens en Ethiopie
PARIS – C’est, à nos yeux, de l’exotisme au carré : un studio de photographes arméniens immortalisant la vie politique (ou ce qui en faisait office : l’existence et les fastes du Négus) de l’Ethiopie du début du XXe siècle. C’est dans le cadre de l’année de l’Arménie que ces clichés déroutants nous sont proposés. Si nombre d’Arméniens se choisissent l’Ethiopie comme nouvelle demeure après le génocide initié en 1909, le clan Boyadjian y est installé depuis 1905. Le pater familias, Bedros, y est le portraitiste officiel de Ménélik dès 1906. De père en fils, de Ménélik à Hailé Sélassié, on s’y transmettra l’art de chambre noire et, surtout, de la retouche et de la mise en couleur, pour mieux faire apparaître les symboles de la religion (la croix copte) et du pouvoir (costumes, colliers), dans la capitale ou lors des déplacements en province. La vie de la communauté arménienne est également saisie par les Boyadjian. Il s’agit d’une histoire doublement révolue : l’invasion italienne puis la chute du Négus en 1974 entraînent des départs en masse et la fermeture du studio des Boyadjian.
MUSÉES
Une Pinacothèque du côté de chez Fauchon
PARIS - Il y a 4 ans, une nouvelle institution culturelle s'inscrivait avec fougue dans le panorama parisien. Sobrement baptisée Pinacothèque, elle entendait révolutionner les habitudes en proposant des expositions "blackbuster" susceptibles d'attirer un large public. Après une rétrospective "Picasso intime", la Pinacothèque, installée dans l'ancien siège de Baccarat, rue de Paradis, fermait abruptement ses portes. Voici donc qu'elle renaît de ses cendres, pilotée par le même homme, Marc Restellini, qui fut un temps derrière les expositions à succès du musée du Luxembourg. Décidé à faire aussi bien, il a convaincu le Crédit Agricole, qui met à sa disposition dans cet édifice du 28, place de la Madeleine 2000 m2 répartis sur trois niveaux. Le premier rendez-vous, à partir du 15 juin, est consacré à Roy Lichtenstein : 97 œuvres détaillant 30 ans de carrière, de 1966 à 1997. Les co-organisateurs sont prestigieux - fondation Lichtenstein et fondation March à Madrid. Pour octobre, une rétrospective Soutine est annoncée, en collaboration avec le Kunstmuseum de Bâle. Un programme alléchant, à condition que cette Pinacothèque seconde époque ait une existence moins éphémère que sa devancière.
L’ARTISTE DE LA SEMAINE
Commandement, Hommage à Claude Monet, 2007 (détail), béton coloré, 45 éléments, 43 x 30 x 30 cm, collection de l'artiste
Alain Kirili : la sculpture comme signe
Marqué par l’art américain, et notamment par le sculpteur David Smith, Alain Kirili, né en 1946 à Paris, a initié sa grande série des Commandements en 1980. Ils rythment sa production de sculptures depuis maintenant un quart de siècle. Ce sont des installations monumentales composées de pièces individuelles, formes géométriques stylisées que l’artiste assimile à des signes, des lettres d’un alphabet plastique, et dont l’inspiration provient aussi bien de la calligraphie chinoise, de l’art minimaliste que des caractères tracés par les scribes de la Torah. Habitué des confrontations avec l’œuvre d’artistes antérieurs (face à Rodin en 1985 ou face à Carpeaux au musée de Valenciennes en 2002), il se mesure aujourd’hui aux Nymphéas de Monet, l’un de ses grands modèles. Son Commandement, à Claude Monet utilise pour la première fois le béton, coloré dans la masse, pour donner un « jeu de deux ou trois couleurs irrégulières ayant des effets de nuages ou de reflets ». D’autres interventions ponctuent les salles de l’Orangerie mais l’on pourra aussi déambuler dans le jardin des Tuileries : les sculptures de créateurs du XXe siècle qui y sont installées depuis quelques années ont été choisies par Kirili à la demande du ministère de la Culture.
LIVRES
Tableaux de guerre
Il y a quelques années, un documentaire espagnol assez saisissant, Las cajas españolas d'Alberto Porlan, racontait le destin épique des tableaux du Prado, exilés sur les routes d’Europe pendant la Guerre civile. Un historien amateur (au sens noble du mot) a passé vingt ans de sa vie à fouiller le même thème dans toutes les archives disponibles pour montrer les errances des œuvres d’art (essentiellement des musées de France mais pas uniquement) pendant les années 1939-1945. La mise en sécurité, dans des dizaines de caches (souvent des abbayes comme Loc-Dieu ou des châteaux comme Chambord, Sully-sur-Loire, Valençay qui reçoit par exemple la Victoire de Samothrace) est un travail titanesque orchestré par Jacques Jaujard, sous-directeur des musées nationaux. Pas toujours suffisant pour juguler l’avidité de l’occupant : le retable du Tableau mystique des frères Van Eyck, confié par les autorités belges et déposé en zone libre, à Pau, est ainsi enlevé par les Allemands. Quant à la tapisserie de Bayeux, elle n’échappe que de peu à l’appétit de Himmler. L’ouvrage se présente sous forme de chronologie : un découpage qui ne facilite pas le recul mais qui imprime une tension certaine au grand pillage des années de guerre en faisant ressortir des personnages héroïques, à l’image de Rose Valland, adjointe du directeur du Jeu de paume, auxquels nous devons la survie d’un inestimable patrimoine.
BRÈVES
COLOGNE - Rhein Design, dont la première édition se tient du 20 au 24 juin, est une manifestation à l'air libre associant art, architecture et design.
LONDRES - Sotheby's propose des Nymphéas (1904) de Monet le 19 juin. L'œuvre est estimée 15-20 millions €. Pour faire bonne mesure, Christie's répond avec Arceaux de roses, Giverny (1913), estimé à la même valeur, au programme du jour précédent.
LONDRES - L'International Ceramics Fair, fondée il y a 25 ans, est organisée du 14 au 17 juin au Park Lane Hotel de Piccadilly.
NEW YORK - La vente d'une partie de sa collection par le musée Albright-Knox à Buffalo, a soulevé les polémiques mais lui a en tout cas permis de remplir ses caisses. Une statue du Ier siècle av. J.-C., Artémis et le cerf, a multiplié par 4 l'estimation de départ pour s'envoler à 28,6 millions $, établissant un nouveau record pour une œuvre de l'Antiquité.
NOTO - La cathédrale de la cité baroque sicilienne, détruite lors d'un tremblement de terre le 13 mars 1996, a été totalement reconstruite. Elle est officiellement inaugurée le 16 juin.
PARIS - Les Designer's Days, rendez-vous habituel des show-rooms parisiens à la fin du printemps, ouvre cette année le 14 juin.
SALZBOURG – Dans la ville qui accueille chaque année un célèbre festival de musique, le Salzburg Museum, restauré et rénové, a rouvert ses portes le 1er juin.
SCHWARZENBERG (Autriche) – Pour le 200e anniversaire de sa mort, le peintre Angelika Kauffmann (1741-1807), l’une des artistes les plus fêtées du XVIIIe siècle pour ses peintures d’histoire, fait l’objet d’une exposition d’hommage au musée qui porte son nom, dans la ville où elle a grandi.
STRASBOURG - Le parcours du design, manifestation biennale, coïncide cette année (du 14 au 30 juin) avec l'inauguration du TGV Est.
VERSAILLES – Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la Culture et actuel patron du Palazzo Grassi à Venise, a été appelé à la direction de l’établissement public du Domaine de Versailles par Christine Albanel, qui occupait ce poste avant d’être nommée elle-même ministre de la Culture.
SUR ARTAUJOURDHUI.INFO
Cette semaine ne manquez pas
A.R. PENCK RETROSPECTIVE
FRANCFORT - La Schirn Kunsthalle consacre la première grande rétrospective allemande de l'œuvre de Penck. Le créateur des "hommes en bâtons d'allumettes" et autres formes graphiques inspirées par la communication de masse y est présent avec toutes ses époques et toutes ses obsessions, Guerre froide comprise (Penck a quitté l'Allemagne de l'Est en 1980).
L'ENVERS ET L'ENDROIT
LAUSANNE - Travaux d'aiguille, ennuyeux travaux de femme ? La Collection de l'Art Brut renverse la perspective et montre des créations extraordinaires. Robe pour un mariage qui ne viendra jamais ou habits de gala pour parader en ville, elles sont l'œuvre d'artistes hors norme, au destin difficile, marqué par la guerre ou l'internement psychatrique, et utilisent des matériaux simples.
BRASILIA CHANDIGARH LE HAVRE Portraits de villes
LE HAVRE - Trois grandes créations urbaines et architecturales du XXe siècle passnt sous le regard de différents photographes : Lucien Hervé, d'abord, qui fut le collaborateur attitré de Le Corbusier, mais aussi des créateurs contemporains, de Stéphane Couturier à Jordi Colomer.
CORRESPONDANCES
PARIS - Le Musée d'Orsay poursuit sa série de confrontations entre les artistes du XIXe siècle et ceux d'aujourd'hui selon un même principe : les créateurs contemporains sont libres de choisir, dans les collections du musée, l'œuvre qui les inspire. John Chamberlain, avec Van Gogh, et Claude Rutault avec Puvis de Chavannes et Seurat, sont les invités de cette nouvelle session.
SO WATT ! du design dans l'énergie
PARIS - Des radios qui produisent leur propre énergie ? Des stores qui changent de couleur et d'opacité en fonction de la luminosité ? Ces solutions pour une utilisation responsable de l'électricité sont issues de l'imagination de designers d'avant-garde. L'exposition montre combien leur rôle est essentiel dans un rapport plus respectueux de l'environnement et des ressources énergétiques.