ArtAujourdhui.Hebdo
N° 80 - du 28 février 2008 au 5 mars 2008
L'AIR DU TEMPS
Où l’on reparle des réserves des musées
Les échos du rapport de Jacques Rigaud sur l’aliénabilité des collections publiques se sont à peine atténués qu’un nouveau pavé est lancé dans la mare pour prôner une circulation vigoureuse des pièces qui dorment dans les réserves des musées. Et il ne vient pas de n’importe quelle source : c’est la respectable Museums Association (MA), réunissant les principaux musées anglais, qui la recommande. Les termes du constat, exprimé par Mark Taylor, directeur de la MA, sont sans ambiguïté : « Les musées collectionnent mille fois plus d’objets qu’ils n’en cèdent. De merveilleuses collections peuvent devenir un fardeau si elles ne sont pas libérées des pièces inutilisées. » Certes, la destruction ou la vente sont considérées comme l’ultime ressort. En revanche, le don à d’autres institutions, l’échange entre musées, voire la restitution au donateur, sont des pistes recommandées. Fidèles à leur pragmatisme, les cousins anglais de la MA viennent de publier un « disposal kit ». Ce « kit d’aliénation » est téléchargeable sur internet. La version française n’est pas encore en ligne.
Télécharger le « kit d’aliénation » sur le site de la Museums Association
MARCHÉ
Morosité française
Si Drouot a fourni un compte-rendu plutôt optimiste de l’année écoulée, il n’en va pas de même du côté du Conseil des ventes volontaires (CVV). L’autorité de tutelle des ventes aux enchères publiques utilise des couleurs beaucoup plus sombres dans son bilan, comuniqué fin février. Un seul secteur semble échapper à la stagnation : les ventes de… chevaux, qui ont progressé de 11 % en 2007. Mais elles ne représentent qu’un vingtième du montant total des enchères, lequel s’établit à 2,154 milliards €, en recul de 2%. Le noyau dur - le mobilier et les objets d’art, qui comptent pour plus de la moitié – ne progresse pas. Martelant son souhait d’une législation plus favorable, le CVV estime d’ailleurs qu’un objet sur deux, en valeur, quitte le territoire national pour être vendu à l’étranger. A côté des taux de croissance que l’on observe en Asie ou au Proche-Orient, le marché français fait donc du surplace. Il ne bénéficie même pas de l’explosion des transactions sur internet : aucun opérateur significatif n’est français…
EXPOSITIONS
Théâtre à la Klee
BRUXELLES - « C’est un fait que nous sommes vraiment deux fous de théâtre. Tout ce qui évoque des planches et des décors saisit profondément notre âme et j’étais à nouveau submergé par ce sentiment aujourd’hui » écrit Paul Klee de Rome à sa fiancée Lily Stumpf pendant l’hiver 1901. L’exposition du Palais des Beaux-Arts explore cette attraction du peintre suisse. Elle s’exprime par ses dessins et toiles d’acrobates, de clowns et de danseurs (Klee était fasciné par le cirque et par les chorégraphies d’Isadora Duncan et de Loïe Fuller) et par son goût pour les masques. Elle s’exprime aussi, d’une façon plus générale, par sa façon de voir le monde comme une scène où le réel et l’imaginaire s’entremêlent. Les commissaires meublent leur démonstration avec des œuvres – notamment des vidéos - d’artistes suisses contemporains pour souligner combien l’esprit de Klee a survécu dans les générations qui lui ont succédé.
Daumier, maître de l’estampe
PARIS – Mieux que Plantu ou Jacques Faizant : pendant quarante ans, Daumier (1808-1879) a fourni des images au Charivari, un journal de 4 pages à l’indépendance d’esprit marquée. A l’époque, il ne faisait pas bon critiquer le pouvoir : en début de carrière, Daumier passa six mois en prison pour incompatibilité de points de vue avec la censure… Face à un artiste polymorphe – il a été peintre, sculpteur (admiré par Rodin) et dessinateur – la Bibliothèque nationale a décidé de privilégier son fonds qui est, il est vrai, exceptionnel : la loi sur le dépôt légal de 1817 obligeait en effet les journaux à y déposer un exemplaire de chaque parution. La BNF possède donc l’intégralité de ses 4000 planches lithographiques, dont les 3500 qu’il réalisa pour le Charivari. Né dix ans après l’invention de la lithographie, Daumier en fera un large usage dans la caricature politique (de la « poire » Louis-Philippe au massacre de la rue Transnonain). Après 1835, année du rétablissement de la censure, il s’orientera vers le tableau de mœurs avec des séries sur les Locataires, les Gens de justice ou l’inénarrable Ratapoil. Les planches de la BNF sont d’excellente qualité puisqu’il s’agit des épreuves dites « avant la lettre » (avant le légendage) sur papier blanc et non papier journal. Plus de 200 d’entre elles sont exposées, couvrant toutes les périodes et toutes les thématiques chères à Daumier.
Plongée dans l'Ottocento
ROME - Citez un artiste italien : facile pour la Renaissance, le XVIIIe ou le XXe siècle. Mais pour le XIXe, l’Ottocento comme disent les Transalpins, c’est une autre affaire… Hormis Canova au début et, peut-être, le mondain Boldini à la fin, bien peu de noms s’imposent spontanément à l’observateur étranger. L’exposition montée aux Scuderie del Quirinale veut montrer que les peintres n’ont pas déserté inopinément la patrie de l’art. S’ils ont perdu leur aura, dans un pays en pleine crise d’unification, ils ont continué à travailler, regroupés en écoles régionales : les romantiques lombards avec Hayez et son célèbre Baiser, les Macchiaiaioli toscans, avec Fattori et Lega, attentifs à la vie quotidienne, les paysagistes napolitains du Pausilippe avec Morelli. Sur la centaine de tableaux qui retranscrivent la période, il en est d’ailleurs un qui a acquis une véritable célébrité même si son auteur est demeuré méconnu : c’est le Quart-Etat de Pelizza da Volpedo, couverture classique des manuels d’histoire…
L’ARTISTE DE LA SEMAINE
Mihael Milunovic : un monde de logos
LYON – Inaugurer un nouvel espace avec Buren, c’est à la mode : Kamel Mennour l’a fait à Paris, Georges Verney-Carron (qui suit, il faut le dire, le plasticien du Palais-Royal depuis plus d’un quart de siècle) l’a imité à Lyon… Dans ce dernier lieu, c’est un artiste nettement moins connu qui prend la suite. Mihael Milunovic est à cheval sur deux cultures : la serbe (il est né à Belgrade en 1967) et la française (il vit à Paris). Sa production, qui emploie toutes les
techniques à disposition, de la vidéo à la toile peinte, a une dimension socio-politique. Depuis quelques années, il est entièrement occupé par son travail sur les logos et les symboles de notre société capitaliste, consommatrice et guerrière. Des images siphonnées dans les médias, les publicités, les multinationales sont juxtaposées, mises en relief (au sens figuré comme au sens propre) pour donner naissance à des pots-pourris que le regardeur est libre d’interpréter à sa manière.
LIVRES
Le petit théâtre d’Atlan
Si toute l’œuvre de Klee peut être lue à travers le prisme du théâtre (voir ci-dessus), dans le cas de Jean-Michel Atlan, le théâtre a plutôt servi de baisser de rideau. Un an avant sa mort précoce (à 47 ans, en 1960), cet esprit libre, qui a côtoyé les membres de Cobra, exécute une série de 27 pastels. Il le fait à la demande de son beau-frère, le metteur en scène Jacques Polieri pour Le Voyage, dialogue entre un sédentaire et un poète voyageur. Ces compositions géométriques, cernées de gros traits noirs, peuvent être combinées en d’innombrables triptyques, comme des dominos. Tant pis pour la reliure… mais l’attitude la plus respectueuse consisterait à dégrafer le livre pour s’amuser à les reconstituer de façon aléatoire.
BRÈVES
AARHUS (Danemark) – A partir du 1er mars, le musée d’art contemporain ARoS présente en première mondiale la nouvelle vidéo de Shirin Neshat Women without Men.
ATHÈNES – La Fondation Stavros Niarchos a annoncé que Renzo Piano serait l’architecte chargé de construire le futur opéra national financé par l’institution.
KARLSRUHE – La 5e édition de la foire Art Karlsruhe se tient du 28 février au 2 mai avec la participation de 165 galeries internationales.
PARIS – La Galerie de France, après un intermède d’une année où elle a servi d’antenne parisienne au marchand allemand Michael Werner, prend un nouveau départ. La New Galerie de France (54 rue de la Verrerie, 75004), fruit d’une collaboration entre sa directrice historique, Catherine Thieck, et Marion Dana, venue de Sotheby’s, a été inaugurée le 23 février avec une exposition de photographies de Chris Marker.
PARIS - la 50e exposition de "Pointe et Burin" est ouverte du 29 février au 22 mars (vernissage le 28 février) à la fondation Taylor (1 rue La Bruyère, 75009). L’invité d’honneur est Mikio Watanabe, virtuose de la « manière noire ».
ROME – La foire d’art contemporain Roma Contemporary se tient du 28 février au 2 mars. Les galeries participantes exposent dans des monuments historiques du centre : palais Wedekind, palais Ferrajoli, thermes de Dioclétien, etc.
SUR ARTAUJOURDHUI.INFO
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ART ET MACHINES
BÂLE - Le musée Tinguely se transforme en usine : y sont rassemblées un grand nombre de machines à produire de l'art. Quelle place demeure à l'artiste dans ce processus ? Un voyage dépaysant au milieu de mécaniques conçues par Jean Tinguely, Damien Hirst et leurs pairs.
ART ANCIEN DU VIETNAM
GENÈVE - L'art du Vietnam est moins souvent mis en avant que ses homologues chinois ou japonais. L'exposition présentée aux Collections Baur permet de parcourir quinze siècles de production artistique, autour de l'ensemble exceptionnel de bronzes et de céramiques rassemblé par l'archéologue suédois Olov Janse.
GUIDETTE CARBONELL
ROUEN - La rétrospective du musée de la Céramique rend hommage à l'une des personnalités les plus inventives du XXe siècle dans ce domaine. Guidette Carbonell (née en 1910) a créé un monde marqué par l'univers animalier et la mythologie, où les petits objets émaillés voisinent avec les grandes compositions murales.
TERRE, TRACES ET DÉFILEMENT - Photographies de Sophie Deballe
LEWARDE - Symbole absolu de l'industrie minière dans la région Nord-Pas de Calais, le terril acquiert une autre dimension sous l'œil de Sophie Deballe. L'ancienne montagne de rejets devient, par la grâce de gros plans déstabilisants, un écosystème inattendu.