ArtAujourdhui.Hebdo
N° 83 - du 20 mars 2008 au 26 mars 2008
L'AIR DU TEMPS
L’art de mon pays
Les petites nations semblent s’interroger dernièrement sur les contours de leur culture et, par conséquent sur les fondements de leur identité. On l’a vu avec la France qui a réagi tout rouge lorsque Time a lancé sa pique sur la fin de la culture française. La manifestation « La force de l’art » au Grand-Palais, qui se tient tous les trois ans, peut aussi être lue dans cette optique – prouver absolument qu’en France aussi on crée donc que l’on existe (même si l’on coûte moins cher aux enchères…). A Zurich, le Kunsthaus s’essaie à définir ce qu’est l’art suisse. Pour montrer l’ambition du propos, l’exposition, avec installations, performances, vidéo déborde dans le centre de la ville et même à l’aéroport. Plus au nord, une démarche comparable aborde une réalité encore plus brûlante, celle de la Wallonie dans une Belgique prise de ferments séparatistes. Sous un titre amusant et énigmatique, Ce curieux pays curieux, elle rassemble œuvres contemporaines, retables de la Renaissance, tapisseries et orfèvrerie. Beaucoup ont été créées à une époque où le concept de Wallonie n’existait pas, ou par des artistes qui ont allègrement chevauché les frontières. Une excellente démonstration de la difficulté qu’il y a à donner une nationalité à l’art…
EXPOSITIONS
Dites-le avec des couleurs
LOS ANGELES – Le beau titre du livre de Le Corbusier est resté dans les mémoires : Quand les cathédrales étaient blanches. Mais il est trompeur et Alain Erlande-Brandebourg et Jean Jenger se sont amusés à le pasticher avec Quand les cathédrales étaient peintes (Gallimard, 2004). L’art ancien était riche en couleurs, parfois même « kitsch », et non point sobre comme on a voulu le croire. C’est le temps qui nous a privés de ces arcs-en-ciel qui couvraient aussi bien les églises gothiques que les temples grecs ou les statues antiques. La Villa Getty, récemment rouverte au public, passe en revue quatre millénaires d’histoire de l’art pour nous le confirmer. Des têtes de dieux grecs à la barbe bleue aux camées d’or et de calcédoine, des reconstructions de bustes romains aux teintes criardes jusqu’aux outrances des Nazaréens, des préraphaélites ou du groupe Cobra, le goût de l’homme pour la polychromie n’a guère connu de temps mort.
Les beaux antipodes de Barbier-Mueller
PARIS – Certains ont feuilleté le catalogue, publié l’an dernier, d’autres ont pu voir l’exposition à Genève. La présentation des chefs-d’œuvres de la collection Barbier-Mueller arrive enfin à Paris. Il s’agit d’une centaine de pièces des arts d’Afrique et d’Océanie, qui résument le fonds rassemblé depuis 1907 par trois générations de collectionneurs : Josef Mueller (qui commença par acheter un tableau du peintre suisse Cuno Amiet) puis sa fille Monique et son beau-fils Jean-Paul Barbier, désormais imités par leurs enfants. Quatre pièces majeures sont mises en avant : un sceptre au cavalier (Nigéria, XIIe siècle), considéré par Jean-Paul Barbier-Mueller comme le fleuron de sa collection, un masque Kwélé du Gabon (XIXe siècle) qui appartint à Tristan Tzara, une coupe anthropomorphe pour libations, d’une stylisation très moderne, une statue malagan (Nouvelle-Irlande) montrant un personnage dont le foie est dévoré par un poisson. Des cimiers aux effigies ancestrales, des bâtons de danse aux poulies de métier à tisser, chacun est cependant libre de se constituer son hit-parade.
L’esprit de Team 10
PARIS – C’est une agréable surprise que de voir le nom de Team 10 sortir de l’oubli. Ce groupe informel d’architectes, né du IXe Congrès international d’architecture moderne à Aix-en-Provence en 1953, autour d’une réflexion sur une « Charte de l’habitat » a perduré jusqu’en 1981. Ses membres, néerlandais (Jaap Bakema et Aldo van Eyck), anglais (Allison et Peter Smithson), français (Georges Candilis) ou italiens (Giancarlo de Carlo) sont davantage connus pour leur réflexion théorique que pour leurs constructions. Remettant en cause les préceptes modernistes et fonctionnalistes, ils voulaient réintroduire une dimension sociale dans la ville, et mettre en avant les idées de mobilité, de transformation continue, voire « organique », du tissu urbain. L’exposition a patiemment rassemblé maquettes, dessins, photographies, venus de plusieurs centres européens – Venise, Stockholm, Rotterdam. Elle est renforcée par une deuxième présentation, consacrée à l’Atelier de Montrouge.
GALERIES
Le retour de Berri
PARIS – On l’a connu grâce à Jean de Florette et Manon des Sources. Plus récemment, il a été à l’honneur pour avoir produit la Graine et le Mulet, d’Abdellatif Kechiche, qui vient de recevoir le César du meilleur film français. Le cinéaste et producteur, mais aussi collectionneur, Claude Berri inaugure le 20 mars un nouvel espace d’exposition dans le Marais. Après avoir déjà eu une galerie (Espace Renn) pendant plus d’une décennie, Berri « rempile ». Dans ce lieu, redessiné par Jean Nouvel, il souhaite fonctionner par approche monographique. L’exposition inaugurale, montée en collaboration avec la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, est consacrée à Gilles Barbier (voir ci-dessous). Dans un récent entretien à Beaux Arts Magazine, Claude Berri annonçait des expositions sur les artistes indiens contemporains et sur l’arbre. Le plus grand collectionneur français de Ryman, qui a aussi eu des liens forts avec Dubuffet, Bacon et Man Ray, concluait avec une franchise désarmante : « Dans ce nouveau lieu, je veux montrer des artistes que je ne connaissais pas avant »
L'ARTISTE DE LA SEMAINE
Gilles Barbier, Sans Titre (Refreshing Filter), 2006, épreuve chromogène, 112 x 105,2 cm, courtesy Galerie GP & N Vallois, Paris
Gilles Barbier : entre orgue à pets et dictionnaire
Il a le même patronyme que Jean-Paul Barbier, dont il est question plus haut, et a comme lui un lien avec les cultures d’Océanie (il est né à Vanuatu, en 1965). Là s’arrêtent les ressemblances : Gilles Barbier s’est créé un univers tout à fait contemporain, peuplé de figures récurrentes et disparates comme le ver de terre, le fromage à trous, les circuits imprimés, les clones et les peaux de banane. Le mixage peut donner alternativement un orgue à pets, la "Révolution à l’envers", avec ses personnages pendus au plafond, la "Manifestation", avec ses manifestants qui sont des figurines pour enfant, ou la copie artisanale et consciencieuse du dictionnaire. La "Méga-maquette", installation évolutive qui
réunit plusieurs de ses œuvres et que l’on voit à intervalles réguliers (fin 2006 au Carré d’art de Nîmes), fonctionne comme un résumé actualisé de son « corpus ».
LIVRES
Buffet froid
Le jeu de mots a été prononcé, bien avant sa mort, par Salvador Dali, qui le tenait en piètre estime. Bernard Buffet, né en 1928, lancé comme un météore à 20 ans, adulé à 25 ans (en 1955, une enquête de « Connaissance des arts » le classe plus important peintre français de l’après-guerre, loin devant Mathieu ou Soulages), honni à 40 ans : son parcours est atypique… tout comme les opinions qu’il a cristallisées. Malraux et Picasso le détestaient, Dufy et Warhol le tenaient pour un génie. La biographie de Jean-Claude Lamy aborde avec un a priori favorable ce peintre farouchement figuratif en insistant sur le personnage plutôt que sur le contenu de sa peinture. Passe à la barre une riche comédie humaine où les premiers plans sont tenus par Pierre Bergé (amant et pygmalion de Buffet avant de l’abandonner pour Yves Saint Laurent), le critique Pierre Descargues, Jean Giono ou Annabel, égérie de Saint-Germain-des-Prés (sur une fameuse photo, elle est dans le même lit que Juliette Greco). Derrière l’argent et la gloire (qui se maintient au Japon et en Russie), se dessine un destin tragique, clos sur un suicide par étouffement.
BRÈVES
LONDRES – L’artiste française Dominique Gonzalez-Foester a été choisie pour la prochaine installation dans le Turbine Hall de la Tate Modern, qui sera dévoilée en octobre 2008. Elle succède, entre autres, à Louise Bourgeois, Anish Kapoor, Oliafur Eliasson et Doris Salcedo.
LOS ANGELES – Le Getty Museum annonce l’acquisition auprès d’un collectionneur privé d’un tableau de Gauguin, Ari Matamoe, peint en 1892, qui représente la tête d’un décapité.
PARIS – Sotheby’s présente à la galerie Charpentier, jusqu'au 20 mars, les lots phares de sa vente londonienne d’art russe du 30 juin.
PARIS – L’exposition Eros au secret, sur l’Enfer de la Bibliothèque nationale, est prolongée jusqu’au 30 mars.
PARIS – Lors d’une vente chez Piasa le 11 mars, un nouveau record mondial a été établi pour une Boîte-en-valise de Marcel Duchamp à 98 870 €.
ROME – Une installation commune de l’artiste Mimmo Paladino et du musicien Brian Eno, Opera per l’Ara Pacis, a été inaugurée le 11 mars à l’Ara Pacis. Elle est visible jusqu’au 11 mai.
TOULOUSE – Manifesto – festival d’images lance un appel à candidatures pour sa 6e édition, qui se tiendra du 18 septembre au 18 octobre (photo, vidéo, performance).
SUR ARTAUJOURDHUI.INFO
Cette semaine, ne manquez pas
PIERRE ALECHINSKY - LES AFFICHES
ARLES - En quelque 200 planches originales, l'Espace Van Gogh montre la totalité des affiches produites par Alechinsky depuis 1949. Organisée par le musée Réattu, fermé pour travaux jusqu'au 17 mai, cette rétrospective illustre le goût de l'artiste pour ce support, du festival d'Avignon jusqu'à la Coupe du monde de football.
PAS LA COULEUR, RIEN QUE LA NUANCE
TOULOUSE - Le musée des Augustins s'intéresse à une technique très répandue dans l'histoire de l'art mais fort peu étudiée : la grisaille. La soixantaine d'œuvres réunies, de Rubens à Carpeaux et Toulouse-Lautrec, montre qu'il s'agit d'un instrument privilégié d'expression de la virtuosité et des états d'âme de l'artiste.