ArtAujourdhui.Hebdo
N° 89 - du 1 mai 2008 au 7 mai 2008
L'AIR DU TEMPS
On a déverni la Joconde
PARIS – On sait qu’elle est vernie (la Joconde). Ce vernis, en vieillissant, a jauni et altéré les couleurs d’origine. Comment retrouver l’aspect initial de Mona Lisa ? Des chercheurs du CNRS ont peut-être trouvé la solution. En utilisant des techniques avancées d’optique, grâce à une caméra multi-spectrale, ils ont analysé la composition de la couleur renvoyée par la surface du tableau, en cent millions de points différents. Ils ont effectué la même mesure sur des échantillons de pigments de l’époque. En comparant les deux séries, ils ont démêlé la part respective des trois composantes de la Joconde : le vernis, la couche superficielle et la sous-couche. Les conclusions techniques sur la sous-couche montrent qu’elle est constituée d’une terre d’ombre – mélange de 1% de vermillon et de 99% de blanc de plomb. Plus intéressant pour les néophytes : pour donner une telle intensité à ses couleurs, Léonard semble être le premier peintre italien à avoir utilisé un glacis (une multiplicité de couches diluées d’un même pigment). Ce n’est là qu’une confirmation de son talent novateur, ici inspiré par les progrès flamands. Cette nouvelle technique devrait permettre de voir d’un œil neuf - virtuellement en tout cas - d’autres chefs-d’œuvre.
EXPOSITIONS
Un siècle de Coppola
MADRID – « Les années les plus difficiles, ce sont les cent premières » disait un humoriste. A 101 ans, l’Argentin Horacio Coppola est sans doute le doyen des grands photographes de la planète. Pour fêter son entrée dans un second siècle, la Fondation Telefónica lui consacre une rétrospective ambitieuse de plus de 150 images. Elle comprend quelques-unes de ses natures mortes de l’époque où il suivait les cours du Bauhaus – accumulations d’objets métalliques, reflets dans l’eau, poupées - et des essais plus récents des années 1990. L’essentiel des photographies exposées sont cependant celles qui ont fait sa réputation : les ambiances urbaines et souvent nocturnes du Buenos Aires des années trente. Des librairies et des théâtres de la calle Corrientes aux néons de l’avenida Florida, de l’hippodrome de la Plata aux trafics portuaires de la Boca, c’est le portrait réussi d’une grande métropole sud-américaine qui ne dort jamais, hybride du New York de Walker Evans et du Paris de Brassaï.
Le sacré fait de la résistance
PARIS - Jusqu’où peut aller la sécularisation de la société ? Dieu est-il mort dans l’art ? Le Centre Pompidou, dans une ambitieuse exposition pluridisciplinaire réunissant plus de 350 œuvres, s’essaie à montrer que les artistes du XXe siècle n’ont jamais interrompu leur quête de spiritualité. Les avancées de la science, le recul de l’inconnu et de l’inexplicable, la libération progressive des contraintes matérielles n’ont pas empêché Malevitch ou Bill Viola de se poser la question déjà énoncée par Gauguin « Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? » Les 200 artistes convoqués sont réunis en plusieurs sections aux appellations poétiques : les Grands Initiés (Gallen Kallela, Duchamp et Alesteir Crowley), Révélations cosmiques (avec Johannes Itten ou Sigmar Polke), Homo novus (Chagall, Boccioni et Abdessemed), Doors of perception (Michaux, Burroughs et consorts) ou Sacrifice (où apparaissent Herman Nitsch et Marina Abramovic). De quoi prouver que le « désenchantement du monde » tant annoncé par Max Weber n’en est pas un…
Les sixties à l’italienne
STOCKHOLM - Le Moderna Museet célèbre cette année son cinquantième anniversaire d’une façon originale. Plutôt que de montrer l’accroissement des collections sur la période (ce que fait actuellement le Getty Center pour fêter sa première décennie), l’institution suédoise d’art moderne et contemporain a préféré organiser une série d’expositions rétrospectives. Chacune rappelle la vitalité d’un foyer artistique au début des années soixante. Après Rio (en janvier dernier) et avant Los Angeles (en octobre prochain), ce sont Milan et Turin qui passent sous la loupe. C’est l’époque du miracle économique, les Brigades rouges n’ont pas encore frappé et la création reflète un enthousiasme et une diversité impressionnants. Des monochromes et du conceptuel (les Merdes d’artiste) de Piero Manzoni, jusqu’à l’Arte povera de Merz et Penone, en passant par Lucio Fontana, Fausto Melotti et Enrico Baj, l’Italie redevient ce qu’elle avait été au moment du futurisme et de la peinture métaphysique : un centre majeur de l’art contemporain.
MARCHÉ
La course aux millions
NEW YORK – La hausse continue du marché de l’art s’arrêtera bien un jour : tout le monde est prêt à en convenir même si personne ne le souhaite. En tout cas, les grandes maisons de ventes font comme si rien ne venait troubler la sérénité des temps. Tous les six mois, elles annoncent l’arrivée du « dernier tableau en mains privées » de tel ou tel maître, démentant le cliché d’un assèchement des réserves, et font du volume d’affaires un de leurs arguments majeurs. Christie’s annonce ainsi pour la seule session d’art moderne et impressionniste du 6 mai un volume mirobolant compris entre 287 et 405 millions de dollars. Un beau Monet, le Pont du chemin de fer à Argenteuil, une Grande Femme debout de Giacometti, un lumineux Matisse (Portrait au manteau bleu) devraient chacun aligner les dollars par dizaines de milions. Sotheby’s suit dans la roue avec la dispersion de la collection Raymond et Patsy Nasher, soit un millier d’œuvres (Picasso, Dubuffet, Lichtenstein, etc), dont le revenu ira au jardin de sculptures créé à Dallas par ces grands amateurs d’art moderne.
L'ARTISTE DE LA SEMAINE
Pushkin Girl, courtesy galerie Sadie Coles
John Currin : des femmes sans voiles
Mort de la peinture figurative ? On l’a longtemps annoncée mais elle n’est plus à l’ordre du jour. Au milieu de l’avalanche conceptuelle des Young British Artists, Jenny Savile s’est imposée comme l’une de plus cotées du groupe avec des personnages aux chairs abondantes. Botero, Hockney et Freud ne se sont jamais aussi bien vendus. Et l’une des nouvelles coqueluches de l’Amérique est John Currin, qui renouvelle la peinture académique avec une technique à l’huile sans défaut. Né en 1962, il a « explosé » en quelques années, ses toiles tutoyant désormais le million de dollars. Ses hommes aux yeux vides respirent un ennui et une bêtise touchants. Ses femmes ont des têtes d’écervelées. Dans sa dernière série, elles se sont dénudées
et sont souvent figées dans des scènes pornographiques, que l’artiste voudrait bien voir rattachées à une grande tradition illustrée par Fragonard ou Courbet. La validité de cette filiation n’est pas encore assurée…
LIVRES
Bons motifs du Pérou
Elle fut une collaboratrice appréciée du couturier Worth mais cela fait longtemps que le souvenir d’Elena Izcue (1889-1970) s’est effacée des mémoires parisiennes. Diplômée au début des années 1920 de la toute neuve école des Beaux-Arts de Lima, elle participe à sa façon à l’affirmation d’une identité artistique péruvienne. Hiram Bingham, à la tête d’une expédition de l’université de Yale, vient de révéler l’existence de Macchu Picchu. On a découvert coup sur coup les cultures Moche et Chavin et les extraordinaires tissus Paracas, avec leurs couleurs vives et leurs motifs stylisés. C’est ce pan de la civilisation précolombienne qui fascine Elena Izcue : elle retravaille ces frises, ces grecques, ces animaux schématiques aux gros yeux et aux gros becs. Après une introduction historique, qui rappelle notamment son rôle dans le mouvement pédagogique péruvien, l’ouvrage propose une reproduction de ses planches, aquarelles, dessins ou tissus de soie naturelle imprimés à la main. Le second conflit mondial interrompt l’activité d’Elena Izcue à Paris. De retour au Pérou, elle y anime des ateliers d’arts graphiques mais ne retrouvera jamais l’influence qui fut la sienne avant-guerre.
BRÈVES
AMSTERDAM – Le Stedelijk pourra conserver la plupart de ses Malévitch. Le conflit avec les héritiers qui réclamaient les tableaux cédés par un ami du peintre en 1958 vient d’être résolu à l’amiable : le musée hollandais a restitué cinq œuvres et pourra garder les autres.
BAGDAD – L’Irak a récupéré la semaine dernière plus de 700 objets volés au musée national d’Archéologie. Ils ont été saisis et restitués par les autorités syriennes.
LONDRES – L’église Saint-Martin-in-the-Fields, sur Trafalgar Square, vient de rouvrir au public après deux ans de restauration. Le bâtiment du XVIIIe siècle a été notamment enrichi de vitraux contemporains de l’artiste Shiraz Houshiary.
MADRID – Dans le cadre des célébrations du 200e anniversaire de l’insurrection anti-française, les 1er et 2 mai seront consacrés à recréer, en danse, musique ou théâtre, six célèbres tableaux de Goya sur autant de places de la ville.
MADRID – Manuel Borja-Villel, directeur du musée Reina Sofia a annoncé que la salle du Guernica serait prochainement réaménagée pour permettre une vision frontale du célèbre tableau de Picasso. Il sera désormais accompagné d’une maquette du pavillon espagnol de l’Exposition internationale de Paris en 1937.
PARIS – Un groupe d’artistes et d’ayants droits ont fait parvenir à la ministre de la Culture une pétition demandant que le droit de suite soit maintenu dans son état actuel et non limité aux artistes vivants et à la commission perçue par le vendeur. Cette modification de la législation a été préconisée dans le rapport Bethenod pour le développement du marché de l’art.
VIENNE – La Cour suprême autrichienne vient de rejeter un appel des héritiers de Ferdinand Bloch-Bauer pour la restitution d’un 6e tableau de Klimt. Ce faisant, elle modifie la jurisprudence, faisant peser la charge de la preuve sur les famille spoliées par les nazis.
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Cette semaine, ne manquez pas
LA COLLECTION YVONNE ET MAURICE ALLEMAND
BEAUVAIS - Grands promoteurs de l'art de leur temps, l'ancien conservateur du musée d'Art et d'Industrie de Saint-Etienne, Maurice Allemand (1906-1979) et son épouse Yvonne (1909-2001) ont constitué une riche collection. Donnée par leurs enfants au Musée départemental de l'Oise, elle est désormais exposée au public.
LA FONDATION MUSÉE D'ART MODERNE GRAND-DUC JEAN, MUDAM LUXEMBOURG, RECRUTE SON DIRECTEUR GÉNÉRAL
LUXEMBOURG - Diplômé en art ou gestion culturelle, spécialiste confirmé dans le domaine de l'art moderne et contemporain, le futur Directeur devra aussi avoir fait ses preuves dans un poste de direction au sein d'un grand musée.