ArtAujourdhui.Hebdo
N° 92 - du 22 mai 2008 au 28 mai 2008
L'AIR DU TEMPS
Sur le divan de Freud
NEW YORK – Un nouveau cap est franchi dans le segment de l’art moderne et contemporain. En deux sessions de ventes, les 13 et 14 mai, Christie’s et Sotheby’s ont écoulé pour 710 millions de dollars d'œuvres, la seconde prenant pour une fois l’ascendant. Bacon a crevé une nouvelle fois son plafond à 86 millions $ pour un triptyque de 1976 (par l'intermédiaire, semble-t-il, du milliardaire russe Roman Abramovitch), le jeune Murakami – qui a fait des vagues pour sa relation consubstantielle avec Louis Vuitton – a vu son Lonesome Cowboy bondir à 15 millions $. M69, un monochrome doré d’Yves Klein, a dépassé 23 millions $. Dans ce palmarès impressionnant, Lucian Freud s’est imposé (pour combien de temps ?) comme l’artiste vivant le plus cher : Benefits Supervisor Sleeping est parti à 33 millions $. Sue Tilley, la personne bien en chair portraiturée il y a douze ans par l’artiste anglais, vient de faire savoir à The Observer que ce record lui a valu des propositions variées. Un tabloïd lui a proposé de la rephotographier, nue, dans la même pose. Tarif proposé : 500 £. N’est-il pas pénible de voir sa contribution à une grande œuvre, qui lui a coûté des centaines d’heures de pose, ravalée à quelques coupures d’argent de poche ? A l’heure où l’on parle tant du droit de suite (qui assure aux héritiers d’un artiste un pourcentage sur ses œuvres vendues), ne serait-il pas bon d’en imaginer un pour les modèles méritants ?
MUSÉES
Du nouveau dans le Haut-Adige
BOLZANO – Il a pris le nom du père de tous les musées, celui d’Alexandrie sous les Ptolémées. Là s’arrêtent les ressemblances : le Museion qui est inauguré le 24 mai dans la région italienne du Haut-Adige est une institution tout à fait contemporaine, menée par Corinne Diserens, ancien directrice du musée des Beaux-Arts de Nantes, qu’elle a quitté en 2006. Son architecture, un grand cube, est l’œuvre du cabinet berlinois KSV. Ses collections sont encore embryonnaires. Elles ont vocation à se développer parallèlement à la programmation, chaque exposition donnant lieu à des commandes spécifiques. Sont annoncées « Regard périphérique et corps collectif » (pour l’ouverture) et une rétrospective consacrée à Mike Kelley (le 14 novembre). Le Museion se veut un musée de territoire, avec des conférences, des soirées, des performances dans toute la province de Bolzano et la région. Il aura une antenne originale dans la ville (via Sassari), le Micro Museion, dessiné par Alberto Garutti, pièce de verre éclairée la nuit, où le musée délocalisera certaines de ses œuvres.
Bons bijoux de Londres
LONDRES – Année après année, le Victoria & Albert distille ses rénovations. Ce printemps, c’est l’ouverture de la galerie des bijoux, qui prendra le nom de William et Judith Bollinger, les mécènes ayant assuré son financement. Dans une longue galerie enrichie de mezzanines, on trouve une chronologie complète de l’ornement essentiel de l’homme, des productions (en or) de l’âge du Bronze jusqu’aux créations contemporaines – un tiers des 3500 pièces correspond à des créations postérieures à 1945. Parmi les chefs-d’œuvre, le diadème tutti frutti de Cartier en style indien, qui appartint à Lady Mountbatten, est en bonne place, à côté de la parure d’émeraude offerte par Napoléon à sa fille adoptive Stéphanie ou du bracelet de Froment-Meurice, premier bijou à être entré dans le fonds du V & A (il fut acquis à l’Exposition universelle de Londres en 1851). Boucles d’oreille étrusques, bijoux de dévotion du Moyen Age ou ornements de corsage du XVIIe siècle complètent la sélection. Un espace multimédia permet de comprendre les secrets de fabrication de 35 bijoux.
EXPOSITIONS
Caro de métal
ANGERS – C’est l’un des monstres sacrés de la sculpture monumentale abstraite. Anthony Caro, né en 1924, a appris la fonte du bronze chez Henry Moore, où il fut assistant de 1951 à 1953. Mais il s’est rapidement affranchi de ce matériau classique pour produire de grands assemblages de pièces de métal rouillé ou peint, dans lesquels se fondent les influences des mégalithes de Carnac ou des sculptures de Julio Gonzalez et David Smith. Le musée des Beaux-Arts d’Angers lui consacre la plus grande rétrospective française à ce jour en réunissant 18 pièces, dont plus de la moitié proviennent de la collection personnelle de l’artiste. Les petites ont au moins la dimension d’un homme assis et Fathom se déploie sur près de 8 mètres. Cette exposition est une bonne introduction au second semestre 2008, qui sera une véritable saison Caro. La sculpture qui lui a été commandée pour le chœur de l’église Saint-Jean-Baptiste à Bourbourg (Nord), incendiée pendant la guerre par la chute d’un avion de la Royal Air Force, sera installée en octobre. Et des expositions à Dunkerque, Gravelines et Calais permettront de mieux faire le tour de son œuvre.
Affiches militantes
CHAUMONT-EN-BASSIGNY– En cet anniversaire de mai 68, le Festival international de l’affiche, qui en est à sa 19e édition, ne pouvait manquer de proposer une édition un peu engagée. A côté de l’inévitable section sur les événements d’il y a quarante ans (ici enrichie d’une mise en parallèle avec des pièces du fonds Dutailly, caricatures et tracts légués à la ville en 1905 par son député), on pourra voir combien l’affiche demeure un vecteur efficace pour donner une forme aux frustrations socio-politiques. A Oaxaca, au Mexique, la révolte de la population contre la corruption du gouverneur Ruiz a été écrasée en 2006 dans la brutalité. Alors que les échos s’en sont tus – tant il est vrai que les médias ne se nourrissent que de malheurs frais – un atelier populaire a fait perdurer l’engagement des habitants, en 26 images, comme les lettres de l’alphabet. Une installation de Paul Cox, un éclairage sur la création zurichoise contemporaine ou historique (Josef Müller-Brockmann) et une intervention de Pierre di Sciullo (N’importenawak) permettent d’élargir le panorama.
L'ARTISTE DE LA SEMAINE
Les jeux de construction de Pedro Cabrita Reis
On l’a vu à la Biennale de Venise 2003, où il représentait le Portugal, et il demeure très présent sur la scène européenne. Alors qu’une exposition vient tout juste de s’achever au Kunsthaus de Graz, en Autriche, une nouvelle ouvre à la galerie Nelson. On n’y voit que deux œuvres mais il est vrai qu’il s’agit d’installations, Pedro Cabrita Reis opérant à la lisière de l’architecture. Avec des matériaux de rebut - tubes
de néon, portes ou briques - il reconstruit des formes, fermées ou ouvertes, qui se lisent comme des interrogations sur nos façons de vivre et de délimiter notre espace vital. The Leaning Paintings 5 et It is never about balance 2 mettent en jeu des miroirs, une grande poutre métallique, des fils électriques pour un jeu de construction à la portée toute symbolique. Un ensemble de photographies – où l’on voit l’artiste tenant en main, un par un, ses matériaux de prédilection – complète l’exposition.
LIVRES
Au fil du temps
« Postuler le passage d’une chronophobie, manifesté par une attirance pour l’éternité ». A lire l’introduction, où sont maniés des concepts comme opérationnalité ou antidualisme, on prend plus d’une fois peur. Heureusement, la suite est bien plus lisible. Pour étudier combien le thème du temps qui passe peut être central chez les artistes contemporains, Christine Macel, commissaire d’exposition au Centre Pompidou, en a choisi dix. Pour eux, pas question de le matérialiser par la vitesse de la lumière dans le vide (sauf pour Cerith Wyn Evans, qui l’inscrit sur un néon). De Gabriel Orozco, qui construit un observatoire copié des anciens Indiens, à Roman Signer, qui fait se consumer des fusées, d’Anri Sala, qui réinvente la bande-son d’un vieux film familial, à Philippe Parreno, qui crée des personnages doués du pouvoir de rajeunir, chacun a ses méthodes pour prouver que seul le passé et le futur existent, le présent n’en étant qu’un avatar. Le livre dispense anecdotes et exemples concrets d’œuvres, les plus savoureuses concernant Raymond Hains, « ministre de sa propre culture », qui accumulait ses souvenirs sur des fiches et jetait chaque jour sa chemise.
BRÈVES
ARLES – Les pièces exceptionnelles trouvées dans le lit du Rhône à la fin de l’année 2007, dont un buste de César âgé, plus ancienne représentation connue de l’empereur, ont été présentées le 21 mai. Elles seront prochainement exposées au musée de l’Arles antique.
ATHÈNES – La seconde édition de la foire Art Athina se tient du 23 au 25 mai à l’Helexpo, avec la participation d’une quarantaine de galeries internationales d’art contemporain. Plusieurs expositions sont organisées, notamment sur la collection Costakis d’art russe et sur les jeunes créateurs de Téhéran.
BUCAREST – La 3e biennale de Bucarest se tient du 23 mai au 21 juin, sous l’intitulé « Cartographier le contemporain ». Elle fait intervenir des créateurs de différentes disciplines, de l’artiste conceptuelle palestinienne Mona Hatoum jusqu’au cartographe du Monde diplomatique, Philippe Rekacewicz.
MONTPELLIER – Les Boutographies, rencontres photographiques de Montpellier, se tiennent du 24 mai au 8 juin, avec une quinzaine d’expositions.
PARIS - Les 9 manuscrits d'André Breton, incluant le Manifeste du surréalisme, qui étaient le clou de la vente surréaliste de Sotheby's, le 21 mai, ont été adjugés 3,6 millions €, le plus haut prix jamais atteint par un manuscrit du XXe siècle. Ils ont été acquis par le musée des Lettres et Manuscrits à Paris.
atelierandrebreton.com, un site avec les manuscrits numérisés d'André Breton
PARIS – Le conflit entre la société SvO, qui gère la programmation du musée du Luxembourg, et la commissaire italienne Patrizia Nitti, a conduit à l’annulation de la grande exposition prévue à l’automne 2008 sur les trésors des Médicis. Elle sera remplacée par une présentation de la collection Berardo d’art moderne.
PARIS – La 9e édition d’Artsénat réunit 41 artistes dans l’Orangerie et le Jardin du Luxembourg sur le thème « Du vent dans les branches ».
PARIS – Le BHV, qui n’en est pas à ses premières armes avec l’art contemporain (c’est ici que Marcel Duchamp achetait certain de ses ready-made) offre à Erro, peintre de la figuration narrative, 30 mètres de façade, du 26 mai au 18 juin.
RIVOLI – « Trucioli d’artista », le concours de sculpture à ciel ouvert, tient sa 13e édition du 23 au 25 mai dans le centre de la ville piémontaise qui abrite le musée d’art contemporain Castello di Rivoli.
VILLEURBANNE – L’Institut d’art contemporain fête son 30e anniversaire avec une exposition « Ambition d’art » qui rassemble onze artistes, d’Alighiero Boetti à Lawrence Weiner, chacun occupant une salle du musée.
SUR ARTAUJOURDHUI.INFO
Cette semaine, ne manquez pas
MOSCOW WORLD FINE ART FAIR
MOSCOU - En cinq ans d'existence, la Moscow World Fine Art Fair, s'est calée dans le calendrier des foires internationales. Installée dans l'édifice historique du Manège, construit pour commémorer la défaite de Napoléon et victime d'un incendie il y a quelques années, elle réunit plus de 80 marchands couvrant tout le spectre du marché de l'art, de la peinture à la joaillerie.
HOKUSAI, L'AFFOLÉ DE SON ART
PARIS - C'est l'un des artistes japonais les plus connus en Occident et l'un de ceux qui a le plus durablement influencé ses collègues européens, de Van Gogh à Manet. Hokusai, interprète du mont Fuji ou de la vie de plaisirs des courtisanes et des acteurs, fait l'objet d'une importante rétrospective au musée Guimet, qui n'avait jamais exposé dans sa totalité le fonds très complet qu'il possède.