ArtAujourdhui.Hebdo
N° 93 - du 29 mai 2008 au 4 juin 2008
L'AIR DU TEMPS
Momie, n’te promène donc pas toute nue !
Qui a dit que notre époque était libérée, voire permissive ? Certes, le petit écran et internet nous valent des audaces rares. Big Sister, un travail fort intéressant de la photographe Hana Jakrlova, a pour thème un « bordel internet » de Prague, où les clients bénéficient de substantielles ristournes pourvu qu’ils acceptent que leurs ébats entrent ensuite dans le domaine public. Dans le même temps, voici qu’une nouvelle d’un tout autre genre nous arrive de Manchester. Les célèbres momies du musée, notamment celle de l’homme d’Asru, viennent de se voir signifier qu’elles étaient indécentes. Le public – en tout cas quelques visiteurs, qui ont suffi à inquiéter la direction – se sont plaint de leur nudité. Se retranchant derrière un argument tartufien – il s’est avéré urgent de défendre la dignité de ces très vieux Egyptiens, pourtant exposés depuis plus d’un siècle -, les conservateurs ont étendu un voile pudique sur leurs restes. L’image est cocasse (voir lien). La prochaine victime devrait logiquement être l’Homme de Lindow, un guerrier néolithique retrouvé dans une tourbière, qui est exposé dans la salle à côté avec son crâne fracassé et les membres mutilés par le supplice. A vrai dire, personne ne s’est encore dit indisposé par cette vision d’enfer. O tempora, o mores !
Une photo des momies couvertes sur le site du Manchester Evening News
MARCHÉ
Passage de relais à Art Basel
BÂLE – C’est l’année de la transition. Samuel Keller, qui a rendu indiscutable son leadership sur les manifestations concurrentes et qui en a aussi fait une success story de l’autre côté de l’Atlantique (avec Art Basel Miami Beach), quitte Art Basel pour la fondation Beyeler. A ses successeurs de confirmer la puissance de la foire suisse d’art moderne et contemporain. Les premiers pas semblent maladroits : la troïka appelée à prendre la barre est déjà bancale puisque l’un de ses membres, la directrice artistique Cay Sophie Rabinowitz, venue de la revue Parkett, a présenté sa démission quelques semaines avant l’ouverture de cette 39e édition. Peu de soucis, cependant, pour la marche des affaires : dans le sillage des excellents résultats des ventes de mai à New York, elles ont toutes les chances d’être florissantes. Près de trois cents galeries sont présentes dans la section principale et plusieurs sections parallèles permettent de segmenter davantage l’offre en fonction de l’âge des artistes (Art Statements pour les talents en ascension), du format (Art Unlimited pour les installations) ou encore, c’est une nouveauté, du lien des œuvres avec le spectacle vivant (Art on Stage).
MUSÉES
La Wallonie joue la carte de la photo
CHARLEROI – Possédant l’une des plus riches collections d’Europe avec plus de 80 000 images sur papier et trois millions de négatifs, le musée de la Photographie de la ville wallonne rouvre le 1er juin après d’importants travaux de restauration. La construction d’une nouvelle aile dans le parc de l’ancien couvent carmélite a permis d’agrandir la bibliothèque, de créer un café et d’accroître les surfaces d’exposition : le fonds permanent sera désormais accroché sur plus de 2000 m2. Bâtie en bois sur pilotis, et recouverte d’aluminium, la nouvelle structure tranche avec la brique rouge du bâtiment historique. Le musée, à la programmation variée (des stars comme Lee Miller ou des contemporains comme, en 2007, Hana Jakrlova et sa série « Big Sister », ci-dessus mentionnée) présente actuellement Hugues de Wurstemberger et Dave Anderson.
EXPOSITIONS
Deux femmes tenant des fleurs,1954 © 2008, ProLitteris, Zürich
Léger l’Américain
BÂLE - Il a connu récemment une croissance hyperbolique de sa valeur marchande : en ventes publiques, Fernand Léger a atteint la barre des 35 millions $ (avec Femme en bleu, le 7 mai 2008 chez Sotheby’s New York), qui le place parmi les stars du XXe siècle. A ce prix, ses acheteurs se recrutent essentiellement dans les pays anglo-saxons. L’exposition que lui consacre la fondation Beyeler permet de creuser cette filière puisqu’elle s’attache aux influences réciproques entre l’artiste et les Etats-Unis. Léger s’y était rendu plusieurs fois dans les années trente avant de s’y installer pendant la guerre, de 1940 à 1945. Il était à l’époque déjà séxagénaire et fort introduit dans le cercle des grands mécènes. Outre les tableaux peints aux Etats-Unis, l’exposition montre notamment des projets pour l’appartement de Nelson Rockefeller et une peinture murale de 10 mètres de long réalisée pour l’architecte Wallace Harrison. La seconde partie étudie, en montrant certaine de leurs œuvres, l’influence que Léger a pu avoir sur les créateurs américains. La liste est longue, d’Ellsworth Kelly à Warhol, de Lichtenstein à Rauschenberg.
Sur les terres des Médicis
FLORENCE - Comme chaque année pour l’été, l’Italie a le don de tirer de son chapeau des expositions bien senties. Plutôt que la cavalerie des grosses rétrospectives, il s’agit de mettre en avant l’interaction entre un territoire et ses artistes. On l’avait vu pour Mantegna autour de Padoue ou pour une famille de collectionneurs comme les Della Rovere dans les Marches. Cette fois, c’est le rôle du Mugello toscan au début de la Renaissance qui est explicité. Le Mugello ? Cette partie nord-est de la Toscane, peu connue des touristes, a pourtant été la terre d’élection de nombreux artistes comme Giotto, Fra Angelico ou Andrea del Castagno (à voir au musée d’art sacré de Vicchio). Pour une raison simple : elle a été le berceau de la dynastie des Médicis. Le duel célèbre entre Brunelleschi et Donatello, mené par l’intermédiaire d’une Crucifixion, est restitué à San Piero a Sieve. La saga des Médicis et de leurs villas est reconstituée à Borgo San Lorenzo et à Scarperia. Une étape à Florence sera obligée, ne serait-ce que pour voir ou revoir le Cortège des Rois mages de Benozzo Gozzoli, au palais Medici-Riccardi : le paysage en toile de fond est celui du Mugello.
LIVRES
Photos à problèmes
Pour rester dans la veine du licite et de l’illicite, abordée en début de lettre, voici un ouvrage qui apporte un éclairage détaillé. Accompagnant l’exposition du musée de l’Elysée à Lausanne, il recense 75 photographies, la plupart très connues, dont la carrière a été mouvementée. Photomontages, photos faussement spontanées ou photos abusivement interprétées : chacune a marqué son époque. Le 20 juillet 1969, pourquoi le drapeau américain à côté de Buzz Aldrin flotte-il au vent alors qu’il n’y a pas de vent sur la Lune ? Pourquoi ces têtes coupées, brandies par des soldats espagnols, ont-elles été tour à tour républicaines, franquistes ou marocaines ? Pourquoi, sur un cliché de Khaldei, a-t-on enlevé l’une des deux montres que portait le fantassin plantant la bannière russe sur le toit du Reischtag en 1945 ? Comment la presse mondiale a-t-elle pu se laisser abuser par la mise en scène des massacres de Timisoara en 1989 ? Au passage, on remarque que le scandale qui touchait autrefois l’intrusion dans l’intimité des puissants (Bismarck sur son lit de mort), le non-respect du droit à l’image (Chaplin plagié) ou le détournement de sens à des fins de propagande, se concentre de plus en plus sur des questions d’ordre sexuel : un corps nu d’enfant semble être devenu automatiquement à vocation pédophile.
L'ARTISTE DE LA SEMAINE
Germes de pomme de terre, gravure 1987 signée, 154 x 97,5 cm Epreuve d'Artiste (tirage de 16 exemplaires + 4 EA) Courtesy galerie Lucie Weill & Seligmann
Barceló dans l’intimité des estampes
C’est assurément l’un des artistes les plus en vogue aujourd’hui et ses huiles sur toile sont inaccessibles. Mais Miquel Barceló (né en 1957) étant un artiste polymorphe, on peut jouir de sa créativité de bien d’autres manières, par exemple en visitant la cathédrale de Majorque où il a créé un grand mur de céramique sur la multiplication des pains et des poissons, ou encore en assistant (en 2006 au festival d’Avignon), à son mano a mano avec Josef Nadj sur une scène pleine de glaise. Barceló a aussi produit de nombreux dessins (qui peuvent facilement atteindre 50 000 €) ainsi que des estampes. Ces dernières, évidemment plus abordables, sont généralement des tirages de 16, 26 ou 34 exemplaires, aux thématiques inspirées par la nature. A part quelques humains, on y trouve un bestiaire composé d’animaux d’Afrique, d’anguilles ou de chiens ainsi que des fruits et des plantes banals de nos jardins, comme la cerise ou la pomme de terre en fleur.
BRÈVES
BUENOS AIRES – La 17e édition de la foire d’art contemporain ArteBA se tient du 29 mai au 2 juin, avec la présence de plus de 80 galeries dz l'hémisphère Sud.
DELFT – L’incendie qui a touché le 13 mai l’Institut de technologie de l’université de Delft a provoqué la destruction de milliers d’ouvrages théoriques des XVIIe et XVIIIe siècles. Quelques pièces essentielles de créateurs du XXe siècle comme Rietveld ou Le Corbusier ont pu être sauvées.
GENÈVE - Le Sans papiers, une sculpture en bronze commandée à Ousmane Sow par le maire de Genève, Patrice Mugny, est installée le 30 mai devant la gare.
ISSY-LES-MOULINEAUX – Le Cube Festival, dédié aux arts numériques, tient sa 3e édition du 3 au 18 juin au Cube et dans toute la ville. Il propose des expositions d’art numérique, des parcours sonores, des soirées « hybrides », etc.
LOS ANGELES – Malgré sa dotation pharaonique (plus de 6 milliards $), le Getty Museum va procéder à une centaine de licenciements. En effet, son résultat d’exploitation a été largement négatif en 2007 (- 49,3 millions $ soit 15% du budget). Le président de l’institution, James Wood, a fait part de son souhait de la recentrer sur ses missions de base : le musée, la recherche et la bibliothèque.
PARIS –La holding Artémis de François Pinault (déjà propriétaire de Christie’s), qui détenait la société de ventes volontaires Piasa, en a cédé le contrôle à un groupe d’investisseurs parmi lesquels figurent Laurent Fabius, Louis Schweitzer, Serge Weinberg et Jérôme Clément.
PARIS – L’Affordable Art Fair, concept anglais de salon d’art contemporain à très bas prix (œuvres vendues entre 100 et 5000 €), tient sa première édition française à l’Espace Champerret, du 29 mai au 1er juin.
PARIS – Rendez-vous aux jardins, manifestation annuelle qui permet d’ouvrir au public de nombreux jardins privés, se tient les 30, 31 mai et 1er juin, sur le thème du voyage des plantes.
PARIS – Le 6e Parcours Saint-Germain-des-Prés se tient du 29 mai au 19 juin : des artistes contemporains sont exposés dans des boutiques du quartier (Claude Lévêque chez Vuitton, Catherine Baÿ chez Sonia Rykiel, Françoise Pétrovitch chez Zadig & Voltaire, etc). Le Carré Rive Gauche, réunissant une centaine d’antiquaires présentant des objets choisis, se tient, lui, du 30 mai au 1er juin.
VÉRONE – L’exposition annoncée des trésors du Louvre, qui devait avoir lieu à l’automne au palazzo della Gran Guardia et qui avait suscité la polémique pour sa dimension « locative » (la cession temporaire se faisait moyennant une somme estimée à 4 millions €), a été annulée en raison de « délais de réalisation trop courts ».
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UN SIÈCLE D'ART RUSSE ET SOVIÉTIQUE
MONTBELIARD - Le Musée du Château des Ducs de Wurtemberg présente une riche collection privée entièrement consacrée à l'art russe et soviétique, de la fin du XIXe siècle jusqu'à la perestroika. Jamais montrée en France, elle comprend des œuvres des Ambulants (Benois, Répine), des avant-gardes (Larionov, Tatline), jusqu'à l'art inspiré par la propagande stalinienne.