ArtAujourdhui.Hebdo
N° 94 - du 5 juin 2008 au 11 juin 2008
L'AIR DU TEMPS
Une biennale dans une valise
On a beaucoup glosé sur la multiplication des biennales. A travers le monde, elles mobilisent des énergies importantes, imposent d’innombrables déplacements, attirent parfois un vaste public. Agréablement distillées dans le temps, Venise, Lyon, Liverpool, Dakar, Istanbul, Sao Paulo dessinent une belle géographie pour les esthètes globe-trotters. La dernière en date est comme un pied de nez à ces valeurs établies. La Biennale de Téhéran a ouvert le 30 mai sur le thème de la « jalousie urbaine », le mot de jalousie étant à prendre dans ses deux acceptions : « envie » et « fenêtre d’où l’on ne peut être vu ». Si vous n’allez pas à elle, cette biennale vient à vous. Ses commissaires Serhat Koksai et Amiral Ghasemi ont en effet voulu qu’elle tienne dans une valise – à l’intérieur, il y a textes, vidéos, photos démontrant la vitalité de la scène iranienne. Sa première étape est Istanbul, elle voguera ensuite au gré des vols internationaux. C’est la biennale qui aurait plu à Duchamp – on se souvient de sa boîte-en-valise – et c’est une biennale économe en CO2. De quoi lui attirer bien des sympathies.
MUSÉES
Un musée Juif en forme de diamant
SAN FRANCISCO – Il fera parler de lui, ne serait-ce que pour son architecture. Le Contemporary Jewish Museum inaugure le 8 juin son nouveau bâtiment, un objet sombre à facettes, dessiné par David Libeskind, dont les propositions ne font pas toujours l’unanimité en termes de muséographie (voir le nouveau musée de Denver). Se greffant sur une ancienne sous-station électrique en brique rouge, qui ouvre pour la première fois au public depuis un siècle, ce grand diamant recouvert de 3000 plaques de métal, sera probablement un réceptacle idéal pour les environnements musicaux de John Zorn mais s’adaptera moins facilement à des accrochages traditionnels. Outre Zorn, l’inauguration se fait avec une exposition consacrée à la représentation de la genèse chez les jeunes artistes (avec, en contrepoint, des œuvres classiques, de Tiepolo à Chagall). Et avec une rétrospective William Steig (1907-2003), le dessinateur qui détient le record de longévité au New Yorker avec 73 ans de vignettes…
EXPOSITIONS
Klimt le Viennois
LIVERPOOL – Une fois n’est pas coutume : la Tate présente sa grande exposition d’été dans un siège périphérique. Le choix de Liverpool n’est pas fortuit puisque la ville des Beatles est « capitale européenne de la culturelle 2008 ». Pour attirer les foules, on n’a pas pris de risque inconsidéré : Klimt, l’un des peintres favoris de notre temps, fait l’objet d’une rétrospective qui s’offre un sous-titre tout aussi en vogue : « Vienne 1900 ». Outre d’importants tableaux de Klimt (dont le Portrait d’Hermine Gallia), l’exposition met en relief le rôle moteur de l’artiste au sein de la Sécession viennoise et son interaction avec Josef Hoffman et le groupe des Wiener Werkstätte. Des objets décoratifs, du mobilier, de la joaillerie, du design graphique ou des créations de mode voisinent avec les œuvres de Klimt pour restituer une ambiance de création tous azimuths, qui prendra brutalement fin avec la Première Guerre mondiale.
Piero della Francesca Sigismondo Pandolfo Malatesta huile sur toile, 44 x 34 cm Paris, Musée du Louvre
Portrait, un âge d’or
MADRID – Le Prado, qui a inauguré à l’automne ses nouvelles salles d’exposition (dans le cloître recomposé de San Jerónimo), semble vouloir démontrer son intention de monter des rétrospectives ambitieuses. La plus récente, dédiée au portrait à la Renaissance (1400-1600), accumule les chefs-d’œuvre, prêtés par les grands musées du monde (et notamment la National Gallery de Londres, où la rétrospective tiendra sa seconde étape à l’automne). Van Eyck, Léonard, Dürer, Holbein, Lotto, Rubens : ils sont tous là et d’autres qui n’avaient jamais été vus en Espagne comme Piero della Francesca. Montrant en 130 œuvres l’évolution du genre, de l’objet rare et de petite dimension conservé dans un coffre (début du XVe siècle, dans les Flandres et en Italie) au tableau à suspendre au mur pour le faire voir de tous (ceux de Titien sont les plus imposants), l’exposition le segmente aussi en thématiques : le portrait de cour, le portrait de famille, l’autoportrait…
Quand Zao gravait
PARIS - Je ne crains pas de vieillir ni de mourir. Tant que je saurai me servir d'un pinceau ou d'un tube de couleur, il ne pourra rien m'arriver… À 88 ans, Zao Wou-Ki est une gloire nationale aussi bien en France qu’en Chine. Il est loin le temps où il n'était qu'un jeune étranger, tentant de se faire une place parmi ses collègues de la galerie Loeb, parfois tenté de noyer ses angoisses dans la boisson (on le surnomma un temps « Zao whisky »). Les pans de son œuvre ont fait l’objet de divers éclairages, notamment dans une rétrospective au Jeu de paume : ses grandes huiles abstraites, ses dessins à l’encre de Chine, ainsi que ses compositions figuratives des années trente. La Bibliothèque nationale aborde cette fois-ci le domaine de l’estampe, dans lequel l’artiste n’a pas été moins prolifique. Il a illustré une cinquantaine d’ouvrages en 60 ans de pratique de la taille douce ou de la lithographie. La plupart des 120 feuilles exposées proviennent des collections de la BnF, à laquelle le peintre a accordé deux donations importantes en 1979 et 2007. On y retrouve tous les aspects de son travail, de la figuration à l'abstraction lyrique jusqu'au retour à l'encre de Chine, et autant de passerelles vers ses autres pratiques. Un film et quelques matrices initient le visiteur à son travail de superposition des couleurs.
L'ARTISTE DE LA SEMAINE
Colonne, 2008, résine polyester floquée polyamide blanc, résine polyester chromée, édition 5 ex + 1 AP, 290 x 80 x 85 cm, courtesy Blancpain Art contemporain, Genève
Les paysages rêvés de Didier Marcel
Il est de la génération des Mayaux, Ramette, Sorin, Fauguet. Abondamment récompensé (prix Ricard en 1999, prix international d’art contemporain de la fondation Prince Pierre de Monaco en 2008), Didier Marcel, né en 1961, poursuit un travail patient sur le paysage. Le paysage, c’est-à-dire notre environnement, dans lequel coexistent les empreintes de l’homme (souvent des voitures, comme la Citroën GS verte de la Biennale de Lyon de 2003, ou des bâtiments, parfois réduits à leur représentation symbolique sous forme de maquettes) et des éléments naturels comme les arbres. Marcel traite ces derniers de façon tout aussi allégorique, les façonnant dans le tissu ou dans la résine polyester. Dans son exposition actuelle chez Blancpain, les troncs blancs semblent davantage tenir du règne minéral que végétal, des forêts pétrifiées du Nouveau-Mexique que de nos sous-bois moussus. C’est évidemment voulu : ce qui importe, c’est l’idée d’arbre davantage que l’arbre lui-même. Il n’y a là rien de nouveau, le paysage ayant toujours été, pour paraphraser Léonard, « cosa mentale ».
LIVRES
Enchères, mode d’emploi
Droit de suite, TVA à l’importation, ventes judiciaires ou ventes volontaires : il y a de quoi s’y perdre si l’on n’est pas du métier (et même, parfois, quand on est du métier). Pour se retrouver dans le fonctionnement des ventes aux enchères (et pas seulement d’art), dont la législation a été bouleversée en profondeur depuis la loi du 10 juillet 2000, voici un vademecum inattendu. Il s’agit d’un rapport du Conseil économique et social, présenté par Pierre Simon. Nourri de nombreux entretiens, il associe une analyse bien sentie de la faiblesse persistante du marché français par rapport aux concurrents anglo-saxons, une centaine de pages de textes juridiques (articles des codes civil, forestier, du commerce, de la propriété intellectuelle, etc) et un avis pour que la transposition obligatoire avant le 31 décembre 2009 de la directive Services dans la législation française soit l’occasion de dynamiser le marché des enchères en le rendant plus transparent et plus uniforme, et en simplifiant sa fiscalité. Le temps presse…
BRÈVES
BROCÉLIANDE – La 5e édition d’Etangs d’art réunit du 7 juin au 15 septembre une quinzaine d’artistes français et étrangers qui exposent leurs œuvres sur l’eau des étangs, des lavoirs et des rivières de la forêt bretonne.
LE HAVRE – La 2e biennale du Havre se tient du 7 au 30 juin au musée Malraux et dans la ville avec des œuvres et installations d’une cinquantaine d’artistes dont Jan Dibbets, Olivier Mosset, Giuseppe Penone et Martial Raysse.
LYNCHBURG (VIRGINIE) – Dans un nouvel épisode de vente de tableaux de collections publiques, le Trovador de Rufino Tamayo, confié par le Maier Museum of Art à Christie’s, a été adjugé le 28 mai pour 7,2 millions $ (pour une estimation de 2 millions $).
MADRID – Le festival Photo España se tient du 4 juin au 27 juillet dans la capitale espagnole. Il propose près de 70 expositions, d’Ignasi Aballi à Javier Vallhonrat, en passant par Roni Horn et Eugene W. Smith.
MILAN – Le spectacle son et lumière conçu par Peter Greenaway pour la Cène, dans l’église Santa Maria delle Grazie, a été reporté sine die par le maire de la ville, Letizia Moratti, en raison des dangers qu’il ferait courir à l’œuvre de Léonard de Vinci.
NICE - Les services de police judiciaire de Nice et Marseille ont saisi le 4 juin au matin les quatre tableaux volés l'été dernier au musée des Beaux-Arts de Nice: l'Allégorie de l'eau et l'Allégorie de la terre de Bruegel (appartenant à la ville de Nice), l'Allée des peupliers de Sisley et la Falaise bleue de Monet (en dépôt, propriété du musée d'Orsay).
STOCKHOLM – La Pontus Hulten Study Gallery a ouvert le 3 juin au Moderna Museet, dont Hulten fut le directeur jusqu’en 1973. Destinée aux chercheurs, elle prend la forme de réserves visitables et automatisées où les œuvres sont déplacées par des bras mécaniques.
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Cette semaine, ne manquez pas
RÉOUVERTURE DE LA PORTE DE HAL
BRUXELLES - Ultime vestige de la seconde enceinte fortifiée de la ville, la porte de Hal, qui remonte à la fin du XIVe siècle, a eu une histoire riche - successivement ouvrage défensif, silo à grains, prison. Entièrement restaurée, elle rouvre au public le 6 juin comme centre d'exposition. Sa programmation aura une dimension multiculturelle et populaire.
HUMANITÉS - le(s) corps d'une collection
SORÈZE - L'abbaye-école de Sorèze inaugure ses espaces d'exposition temporaire en présentant la collection personnelle de Jean-Claude Volot, abritée dans une autre abbaye, celle d'Auberive, en Haute-Marne. Les artistes privilégiés par le collectionneur - Rustin, Gillet, Nitkowski ou Petit - ont un regard personnel et souvent dérangeant sur la condition humaine.