ArtAujourdhui.Hebdo
N° 103 - du 25 septembre 2008 au 1 octobre 2008
L'AIR DU TEMPS
Vous prendrez bien un peu de Guerre froide
LONDRES – Dans l'art difficile des rétrospectives "transversales", le Victoria & Albert Museum est un exemple à suivre. Il réussit à attirer, avec des sujets pourtant abscons, presque autant de visiteurs que les guerriers chinois ou les impressionnistes. Poursuivant sa série d’expositions chronologiques sur le design, il s’attaque à la période 1945-1970. Sous le titre « Design et Guerre froide », ce cours d'histoire d'un autre genre montre que les deux superpuissances ne limitaient pas leur course-poursuite à l’armement atomique ou à la conquête spatiale. Dans le cadre de l’environnement quotidien, elles devaient aussi prouver qu’elles étaient capables de transformer les utopies en réalités. Fauteuils en polyuréthane de l’Est contre chaises en fibre de verre de l’Ouest, Trabant P70 en plastique contre micro-voiture Messerchmitt : chaque produit d’avant-garde avait une dimension politique. Plus de 300 de ces objets de toute nature, du transistor Braun aux habitations gonflables des Autrichiens Haus-Rucker-Co, jusqu’aux capsules de la NASA, sont présentés. On en deviendrait presque nostalgique d’une période qui a donné naissance au plus surréaliste des débats, le « Kitchen Debate » de 1959. Cette discussion à bâtons rompus, où l’on parla réfrigérateurs, machines à laver et télévisions couleur, mit aux prises Kroutchev et Nixon lorsque ce dernier vint inaugurer à Moscou l’ Exposition nationale américaine…
EXPOSITIONS
Rothko façon Seagram
LONDRES – On sait que c’est désormais l’un des artistes les plus cotés au monde : certaines de ses œuvres ont dépassé les 70 millions de dollars aux enchères. Si cette spéculation avait eu lieu de son vivant, aurait-elle adouci le mal-être profond de Mark Rothko (1903-1970), qui acheva son existence par un suicide ? Probablement pas : cette toute-puissance du marché n’aurait sans doute que conforté sa désillusion générale sur le monde des humains… On a vu il y a peu une rétrospective romaine fort nourrie. Celle-ci part d’un socle différent : les Seagram Paintings, des décorations murales réalisées à partir de 1958 pour un restaurant new-yorkais, dans le gratte-ciel de Mies van der Rohe et Philip Johnson. Neuf de ces grandes toiles sont en résidence permanente à la Tate : sept autres viennent exceptionnellement les rejoindre, du Japon et d’Amérique. Les œuvres restantes documentent l’activité des dernières années du peintre, des « Black Form » jusqu’à l’ultime série des « Black on Grey ».
Mantegna, humaniste du pinceau
PARIS - Il est des peintres intuitifs et des peintres savants : Andrea Mantegna (1431-1506), beau-frère de Giovanni Bellini, fait partie du second groupe : cet «employé» des marquis de Mantoue était passionné d’archéologie et fréquentait les cercles humanistes de la ville. Sa peinture est elle-même le reflet d’une curiosité sans bornes, qui mêle l’observation minutieuse de la nature, les expérimentations audacieuses en matière de perspective et l’adaptation des techniques flamandes de peinture à l’huile, alors à l’avant-garde européenne. Le nombre d’œuvres exposées au Louvre pour cette rétrospective est impressionnant – 190 -, des toiles aux dessins, manuscrits et estampes. Cela tient aux nombreux prêts de l’étranger (notamment les Triomphes de César venus d’Hampton Court), mais aussi à la forte présence de Mantegna dans les collections françaises – la faute à l’admiration précoce qu’il suscita en France, à Napoléon qui se servit abondamment en Italie et à l’existence d’une branche française des Gonzague, cousine de celle de Mantoue … L’exposition est un complément intéressant à celle organisée il y a deux ans à Padoue, autour de la restauration de la chapelle des Ovetari, dont les fresques avait été bombardées pendant la guerre.
L’appel de Venise
VENISE – Peu de villes ont autant excité l’imagination des artistes que la cité des Doges. Tout le monde connaît les vues précises de Canaletto et les atmosphères brouillées de Turner. Renoir et Signac s’en sont donné à cœur joie et, plus près de nous, Yves Brayer et Zoran Music y ont aussi trouvé l’inspiration. Dans ces lieux où chaque vue, reproduite à l’infini par les appareils photo numériques, ressemble désormais à une carte postale, difficile de montrer du neuf. Ce n’est d’ailleurs pas le propos de l’exposition de la fondation Beyeler, qui entend plutôt tirer, en 150 œuvres, un bilan historique dont les étapes se nomment Guardi, Whistler, Redon et Monet. De ce dernier, on peut voir un ensemble majeur : le tiers des 36 toiles qu’il y réalisa en 1908.
VENTES
L’Art déco selon Catteau
PARIS - Charles Catteau (1880-1966) a connu son heure de gloire à l’Exposition internationale des arts décoratifs de 1925 à Paris, y décrochant un grand prix. Celui-ci honorait un quart de siècle de créations céramiques haut de gamme, à Sèvres d’abord (où il est né) puis à La Louvière, en Belgique, où il sera actif jusqu’à sa retraite. Ses décors, sur des récipients en grès ou en faïence de toutes sortes (émaillée, craquelée, vernissée, satinée) pullulent d’animaux – biches, pingouins, ours, singes, pélicans et volatiles variés – encadrés de lignes stylisées. La collection qui est offerte aux enchères le 1er octobre permet de faire le tour de sa production, avec des estimations très douces (des vases en faïence fine à partir de quelques centaines d’euros) qui montent pour des pièces exceptionnelles comme ce vase en grès de forme tonneau avec col à trois paliers, de 26 centimètres de haut (lot 107, estimé 50 000 à 55 000 €). Les humains sont assez rares : à côté de baigneuses cézaniennes ou de tyroliens jouant de l’accordéon, on remarque un curieux vase balustre avec quatre footballeurs (lot 128, estimé 5500 €).
LES ARTISTES DE LA SEMAINE
Fred Deux, Le travail quotidien, courtesy Halle Saint-Pierre
Deux et Reims : 60 ans de visions communes
Ils sont comme deux doigts de la main et il est difficile de parler de l’un sans mentionner l’autre. Le premier est Fred Deux (né en 1924) et la deuxième est sa compagne, Cécile Reims (née en 1927). La rencontre de l’ouvrier de la banlieue parisienne, résistant puis garçon de librairie à Marseille, et de la survivante d’une famille juive de Lituanie s’est faite en 1951. Depuis plus d’un demi-siècle, elle s’exprime dans un univers de créatures étranges, finement ciselées, mi-animales mi-humaines, installées dans des végétations luxuriantes ou des fonds nus, qui appelle spontanément le qualificatif de « visionnaire ». La gravure y tient une grande place – Cécile Reims étant une buriniste d’exception qui grava pendant dix ans les dessins de Bellmer avant de faire de même avec ceux de son mari. Le couple – déjà exposé séparément au Centre Pompidou – est enfin réuni à la Halle Saint-Pierre, dans une rétrospective de quelque 250 pièces incluant des œuvres d’amis - Victor Brauner, Henri Michaux, Matta – et des objets d’arts primitifs qui les ont largement inspirés.
LIVRES
Araki à découvert
Avec ses femmes nues et impudemment offertes, que l’on classerait plus volontiers dans la pornographie que dans l’érotisme, le photographe Araki sent le soufre. Derrière cette obsession pour le sexe de la femme, on peut trouver une blessure intime (la mort de son épouse) ou des racines anciennes (« J’ai pris ma première photo en me retournant lorsque je suis sorti du ventre de ma mère », a-t-il coutume de dire). Le personnage - né en 1940 à Tokyo - est en tout cas étonnant, qui a commencé par une carrière de publicitaire, pour s’essayer à la photographie sociale avec des images de gamins de quartiers populaires avant de connaître une notoriété mondiale pour sa série Tokyo Lucky Hole. Cette biographie distanciée, qui convoque pêle-mêle les haikus japonais et Mishima, Roland Barthes, de Sica et Andy Warhol, explique pourquoi Araki a produit un « Autoportrait en forme de planche à pain ». Et bien d’autres choses… Illustré – et pas seulement de photos crues – l’ouvrage est une introduction excentrique à une œuvre-fleuve : plusieurs dizaines de milliers de clichés, dont la publication occupait déjà 20 volumes en 1996.
BRÈVES
GETTYSBURG (Etats-Unis) – Le cyclorama de Gettysburg, une gigantesque évocation de la bataille de la Guerre de Sécession, longue de plus de 100 mètres, peinte en 1884 par Paul Philippoteaux, a rouvert au public après une restauration de cinq ans qui a coûté 15 millions $.
HARLEM (Pays-Bas) - Cinq tableaux de maîtres flamands (dont un Jan Steen et deux Adrien van Ostade), volés en 2002 au musée Frans Hals, ont été retrouvés par la police et sont présentés au public, avant leur restauration, jusqu'au 28 septembre.
PARIS - Les Journées du patrimoine, qui se sont tenues les 20 et 21 septembre, ont attiré en France 12 millions de visiteurs sur environ 15 000 sites.
TOULOUSE - Le Printemps de septembre, manifestation pluridisciplinaire qui attire près de 120 000 visiteurs par an, se tient du 26 septembre au 19 octobre dans une trentaine de lieux différents. Cette édition a été coordonnée par Christian Bernard, le directeur du Mamco de Genève.
VENISE – Sous le titre « Italics », le palazzo Grassi présente à partir du 27 septembre deux cents œuvres de la collection Pinault illustrant quatre décennies d’art italien, de l’Arte povera aux provocations de Maurizio Cattelan.
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Cette semaine, ne manquez pas
FRANCE/JAPON : UN SIÈCLE ET DEMI DU REGARD CROISÉ
PARIS - Dans le cadre du 150e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre la France et le Japon, le parcours symétrique de deux artistes partis observer un pays lointain : Mathurin Méheut (1882-1958) et Kojiro Akagi (né en 1936), installé à Paris depuis un demi-siècle.