ArtAujourdhui.Hebdo
N° 108 - du 30 octobre 2008 au 5 novembre 2008
L'AIR DU TEMPS
Sauvons les cabinets de curiosités !
On pensait que la tendance actuelle - des musées à la pointe du design et de l’interactivité, avec vitrines épurées, écrans tactiles, vidéos d’accompagnement – ferait disparaître toute trace du passé. On se préparait à un requiem sur les musées de grand-père, aux planchers qui craquent, aux étagères passées à l’encaustique, avec leurs objets en surnombre aux étiquettes décolorées. On se résignait à ne découvrir ces rescapés que lors de voyages exotiques – au musée d’Agriculture du Caire ou au Musée national de Tirana. On s’était trompé : les cabinets de curiosités font de la résistance ! En 2007, c’était le musée d’Anatomie humaine et le musée du Fruit, à Turin, qui étaient rénovés en respectant l’ambiance du XIXe siècle. Cette semaine, c’est le musée de l’Ecole vétérinaire de Maisons-Alfort qui rouvre après avoir connu le même destin. Le cavalier de l’Apocalypse d’Honoré Fragonard, cet effrayant écorché, est toujours entouré d’un veau à deux têtes, de crânes colorés, d’un estomac séché de chien, de calculs salivaires de mules et même d’une « sirène humaine », née à Maisons-Alfort en 1907. Qui a dit que la nostalgie n'est plus ce qu'elle était ?
EXPOSITIONS
Klee revient à Berlin
BERLIN - En 1923, Klee, passeur original entre le figuratif et l’abstrait, est célébré dans une exposition mémorable à Berlin au palais du Kronprinz. Depuis, l’artiste suisse n’avait pas fait l’objet d’un événement comparable dans la capitale allemande. L’oubli est réparé à la Neue Nationalgalerie, dans le cadre du cycle consacré au culte de l’artiste au XXe siècle. Les 250 œuvres sont déclinées en plusieurs sections, dont l’une, centrale, examine les rapports de Klee avec dix de ses contemporains, d’Ensor à Kubin, de Kandinsky à Picasso. Toutes les thématiques abordées au cours de sa vie sont ensuite recensées, de la nature au paysage, de la famille à l’érotisme, du spectacle à la noirceur d’un monde en guerre dans lequel Klee vécut ses dernières années, jusqu’à sa mort en 1940.
Henri Martin, star de la Troisième République
BORDEAUX - Il a connu la gloire dans l’entre-deux-guerres. Mais son nom est surtout connu aujourd’hui pour être celui d’une avenue cotée du jeu de Monopoly. Henri Martin (1860-1943) fut l’un des spécialistes du grand décor pour mairies, préfectures et autres chambres de commerce. Il en a laissé maints exemples (le Capitole de Toulouse, le Conseil d’Etat, la Chambre de Commerce de Béziers, qui a été vendu chez Christie’s en juin dernier). L’exposition qui le statufia, en 1935, choisit aussi l’hyperbole : on lui accorda tout un étage du Petit Palais. La rétrospective bordelaise, après une escale à Cahors, évoque ces décors par de nombreuses esquisses. Symboliste, pointilliste, interprète de scènes allégoriques et littéraires, Henri Martin a aussi peint des scènes plus intimes – couture dans le jardin ou après-midi sous la pergola – et des paysages. Ses vues du port de Collioure rencontrent un succès sans faille dans les pays anglo-saxons.
VENTES
Sotheby’s à quitte ou double
NEW YORK - Une maxime dit que l’art de qualité se vend toujours, en période de croissance comme en période de crise. Les responsables de Sotheby’s doivent croiser les doigts pour que le dicton s’avère… Le plateau qu’ils proposent pour leur vente du 3 novembre est en effet flamboyant et aurait sans doute donné lieu il y a un an, en pleine euphorie, à une cascade de records. Les choses ont changé et l’arme pourrait se révéler à double tranchant. En fonction des garanties accordées aux vendeurs, si la vacation piétine, elle pourrait être d’un coût exorbitant pour Sotheby’s. Trois ou quatre tableaux suffiront à faire pencher la balance : un Arlequin de Picasso (30 millions $) ; un Vampire de Munch, dont la cote a doublé il y a six mois à peine (estimé plus de 35 millions $); une Danseuse au repos de Degas que le financier américain Henry Kravis remet sur le marché moins de dix ans après l’avoir achetée (estimation : 40 millions $) ; et une Composition suprématiste de Malévitch, l’inventeur du Carré noir sur fond noir pour laquelle a été avancé un prix supérieur à 60 millions $. La soirée promet d’être électrique… P.S. : A l'heure où nous écrivons ces lignes, le 28 octobre, nous apprenons que l'Arlequin de Picasso a été abruptement retiré de la vente.
Armand Rassenfosse (1862-1934), Elégante assise, huile sur carton signée en bas à gauche et datée 19, 48 x 40 cm © Eve SVV
Du côté du plat pays
PARIS - De l’art belge, on se limite généralement à quelques icônes comme Ensor, Spilliaert ou, plus récemment, Alechinsky. La société de ventes Eve montre la diversité qui se cache derrière ces têtes d’affiche en organisant une vacation spécialisée à Paris et non à Bruxelles. On y voit des paysages humides ou neigeux des Ardennes, la mise en silo des betteraves (Jan Stobbaerts), de grands fusains d’Armand Paulis, des crayons et lavis de Xavier Mellery à moins de 2000 €. Les prix montent pour un nu de George Morren (30 000 €) ou une élégante d’Arthur Navez (15 000 €) mais restent sages pour des artistes qui viennent de bénéficier d’importantes rétrospectives comme Armand Rassenfosse. Quelques dessins de Félicien Rops ou Théo Van Rysselberghe sont estimés autour de 1000 € et ceux qui souffrent du mal d’Afrique pourront se rassasier avec les scènes villageoises d’Arthur Dupagne, Paul Daxhelet ou Floris Jespers.
L'ARTISTE DE LA SEMAINE
Tom Sachs : entre Hello Kitty et Goethe
Grande saison Tom Sachs à Paris. L’artiste américain se déploie sur les trois étages de la galerie Thaddaeus Ropac mais également, honneur qui n’est pas donné à tous, sur le parvis du Trocadéro. On peut y voir ses sculptures monumentales qui reproduisent à une échelle colossale des icônes de dessins animés enfantins, comme Hello Kitty. Ces personnages qui paraissent à peine achevés, avec des jointures mal ficelées à la colle, ne sont pas en mousse de polyuréthane, comme il semblerait, mais bel et bien en bronze. Le tout est recouvert de peinture blanche pour donner l’illusion d’un produit « cheap ». Ou comment faire ce qui a déjà été fait – donner le statut d’œuvre d’art à des symboles de la société de consommation, en les extrayant de leur contexte. Mais l’art de Tom Sachs (né en 1966) a plusieurs facettes : chez Ropac, on peut aussi voir des planches de contreplaqué doré, pyrogravées de motifs animaux tirées d’un ouvrage de Goethe. Ce que l’on appelle le grand écart…
LIVRES
Mingei, éloge de l’art pauvre
« L’esprit mingei », voilà une appellation ésotérique pour beaucoup. Le catalogue qui accompagne l’exposition du musée du Quai Branly défriche un peu le sujet. Le mingei – néologisme formé par Soetsu Yanagi (1889-1961) à partir des mots « minshu » (peuple) et « kogei » (artisanat) - est un mouvement de pensée et de design qui entendait réévaluer l’objet d’usage quotidien, non luxueux, de matrice artisanale. Le mingei, c’est un objet utile, durable et esthétique, un objet « honnête » selon les mots de Yanagi dans son texte fondateur. Le livre en donne quelques exemples, aussi bien dans le passé japonais et des peuples voisins (récipients, plateaux, coussins, bouilloires en fonte de fer, habits aïnu en fibres d’orme) que dans la création contemporaine. Plusieurs designers d’exception venus se mesurer à la tradition japonaise bénéficient d’un éclairage particulier : le Suisse Bruno Taut (1880-1938), l’Américain Isamu Noguchi (1904-1988), célèbre pour ses lampes en papier, le potier anglais Bernard Leach (1889-1979) et Charlotte Perriand (1903-1999), dont la chaise longue en bambou est une variation européenne autour de ce mouvement japonais.
BRÈVES
BERLIN – La 13e édition de la foire d’art contemporain Artforum se tient du 30 octobre au 3 novembre 2008.
LAS PALMAS (Canaries) – Le festival Canarias Mediafest, consacré à l’art numérique, se tient jusqu’au 1er novembre 2008.
LOS ANGELES - Le Faune dansant et la Vénus Médicis, deux bronzes du Florentin Pietro Cipriani, réalisés en 1724 et autrefois dans les collections du comte de Macclesfiedl, ont été acquis par le Getty Museum pour un prix estimé à 10 millions $.
MADRID – Estampa 08, la 16e foire internationale dédiée à l’estampe, se tient du 29 octobre au 2 novembre 2008 au Recinto ferial Juan Carlos I.
NEW YORK – Après Renzo Piano, qui était intervenu sur la Morgan Library, c’est Norman Foster qui a été choisi pour la rénovation de la New York Library, sur la 5e Avenue.
PARIS – A l’occasion de la FIAC, l’artiste Laurent Grasso (né en 1972) a reçu le prix Marcel Duchamp, décerné par l’Association pour la diffusion internationale de l’art français.
TURIN – Le Parco Arte vivente, conçu sous la supervision de l’artiste Piero Gilardi pour explorer les rapports entre la nature et l’art, ouvre le 1er novembre 2008.
VENISE – Carlo Cardazzo (1908-1963), l’un des grands galeristes italiens de l’après-guerre (animateur de la galerie du Cavallino), est célébré par une exposition à la Collection Guggenheim à partir du 1er novembre 2008.
SUR ARTAUJOURDHUI.INFO
Cette semaine, ne manquez pas
NOUVELLES SALLES OCÉANIE ET ÎLE DE PÂQUES
BRUXELLES - Le Musée du Cinquantenaire ouvre ses nouvelles salles permanentes consacrées à l'Océanie et à l'île de Pâques. Cette dernière est particulièrement bien représentée avec, entre autres, une exceptionnelle statue rapportée de la mission scientifique de 1934-1935.
COBRA
BRUXELLES - Né en 1948, le mouvement CoBrA a fédéré des artistes de Copenhague, Bruxelles et Amsterdam. L'expérience n'a duré que trois ans mais a eu une influence notable sur l'art européen de l'après-guerre. Une grande exposition rétrospective aux Musées royaux des Beaux-Arts la fait revivre.