ArtAujourdhui.Hebdo
N° 128 - du 2 avril 2009 au 8 avril 2009
L'AIR DU TEMPS
Nudités irlandaises
DUBLIN - On a beau prévenir les politiques que censurer la dérision ne fait qu’augmenter son audience, rien n’y fait ! On l’a vu avec la poupée vaudou du président Sarkozy. En voici un autre exemple : jamais l’on n’aurait su qu’il existait un portrait du premier ministre irlandais en petite tenue s’il n’avait eu cette réaction hors de proportion. En envoyant la police effectuer des perquisitions d’ordinateur dans une station de radio, on a eu le bonheur d’avoir vent de cette histoire. Qui est toute simple : un peintre inconnu a fait deux portraits de Brian Cowen, l’un en slip, l’autre avec un rouleau de papier toilette à la main. Shocking ! Difficile de l’attaquer : la liberté d’expression est sacrée dans les pays anglo-saxons. Mais Conor Casby, l’audacieux artiste qui est aussi instituteur, a commis un impair : en accrochant ses tableaux dans les plus célèbres institutions de Dublin, la National Gallery et la Royal Hibernian Society, il a endommagé le mur avec de la colle, laissant libre prise à une plainte pour vandalisme…
MUSÉES
Le retour de la Whitechapel
LONDRES – C’est l’une des institutions culturelles emblématiques de l’East End londonien : la Whitechapel Gallery, dessinée par l’architecte Charles Harrison Townsend en 1901 avec une belle façade Arts & Crafts, devait amener l’art aux populations pauvres des quartiers ouvriers. Un siècle plus tard, après avoir accueilli Guernica de Picasso (en 1939), Gilbert & George mais aussi la Tuberculose dans l’art (en 1907) ou Images du cricket (en 1935) , elle prend un nouveau départ. Ayant phagocyté la bibliothèque voisine, elle double ses espaces grâce à un remodelage dû à l’agence d’architecture belge Robbrecht en Daem. Les espaces d’exposition sont largement accrus tout comme les « facilities » (un café, des archives, un centre éducatif). Plusieurs expositions inaugurales sont proposées, dont l’une est consacrée à l’artiste Iza Genzken, remarquée pour ses sculptures lors de la dernière Biennale de Venise, et une autre aux Whitechapel Boys, groupe d’artistes juifs qui donnèrent une impulsion fondamentale au mouvement moderniste anglais.
EXPOSITIONS
Monde baroques
LONDRES – Au départ, c’était, dit-on, une perle de forme irrégulière. A l’arrivée, c’est un style qui a marqué de façon indélébile l’Europe et peut-être encore davantage l’Amérique latine, avec sa profusion et son extravagance : le baroque. Le Victoria & Albert Museum lui consacre une rétrospective thématique, pleine d’écueils. En effet, il y a tant à embrasser : que choisir ? On y voit du Louis XIV et du Versailles à profusion, du Bernin et du Borromini (les plans pour Saint-Pierre et la chapelle Cornaro avec l’Extase de sainte Thérèse), du Rubens et du Tiepolo. L’intérêt vient de l’éclairage donné à des baroques moins souvent vus : celui de Bohème avec des décorations de théâtre de Cesky Krumlov, celui des îles Britanniques avec de l’argenterie, de Suède avec les costumes de la cour royale, voire d’Indonésie, des Philippines, d’Inde, du Brésil. Une exposition qui vaut apéritif avant visite : plus encore que d’autres courants artistiques, le baroque doit s’éprouver à la source…
L’image et son double
PARIS - Regardez. Que voyez-vous ? Une image ? Ou l’autre ? Dalí a été un maître de ces hallucinations visuelles. Dans l’une de ses toiles, on ne voit d’abord qu’une galerie de personnages. En observant mieux, on distingue un buste de Voltaire. Une autre, l’Enigme sans fin, peut être décryptée de six façons différentes. L’image double – un registre du trompe-l’œil - méritait bien une exposition. C’est chose faite au Grand Palais où l’on a réuni 250 œuvres pour l’explorer. De l’ancien avec Arcimboldo et ses portraits, que l’on peut lire dans les deux sens comme les images d’Epinal. Du très contemporain avec Markus Raetz et ses sculptures, qui reprennent la technique de l’anamorphose (l’image ne se découvre que si on la regarde sous un angle particulier). Du très grand public avec les images sans fin d’Escher, qui ont été reproduites en posters à des millions d’exemplaires. Mais aussi de la photo érotique, des miniatures persanes, des scènes de cinéma…
VENTES
La face cachée de Nan Goldin
PARIS – L’occasion est rare de voir passer aux enchères un cabinet de curiosités, qui plus est contemporain. L’intérêt de celui-ci ne tient pas tant à son contenu qu’à l’identité de celle qui l’a assemblé. Il s’agit de la photographe Nan Goldin, mémorialiste du New York underground des années 1980, marqué par la liberté sexuelle et les ravages du sida. « Ma collection est aussi éclectique que je suis » déclare Nan Goldin, qui y a consacré trente ans de recherche, notamment dans les marchés aux puces et les maisons de ventes. Il y a là une quarantaine de lots – reliquaires, ivoires sculptés, meubles excentriques et curiosités comme ces agneaux siamois naturalisés – généralement à tout petit prix. Si l’ensemble éclaire une personnalité, les objets ont-ils, séparément, un sens, une valeur esthétique, aptes à motiver les enchérisseurs ? La réponse n’est pas évidente.
L'ARTISTE DE LA SEMAINE
Rainier Lericolais, Japanese Electronic Music (de la série Prospective du XXIe siècle), 2009, peinture sur procédé Héliophore, 35 x 35 cm, courtesy galerie Frank Elbaz, Paris
Rainier Lericolais : une certaine idée du son
Il y a du beau monde dans l’exposition du Castelroussin Rainier Lericolais : Mallarmé, Marcel Broodthaers et force inspirateurs surréalistes, on suppose. On ne les voit pas, on ne les entend pas mais c’est tout comme. Lericolais a ainsi produit une partition, qui est une transcription de ce que Broodthaers avait lui-même fait à partir du célèbre « Un coup de dés jamais n’abolira le hasard »… Les installations de l’artiste convoquent souvent le son ou l’idée de son car il est lui-même un musicien expérimental reconnu. Il y a là des sculptures-rouleaux comme celles qui alimentent les orgues de Barbarie et beaucoup de « tentatives » : tentative d’explosion en porcelaine, tentative de moulage d’eau ou tentative d’un disque : des empreintes dans l’aluminium de vieux microsillons en vinyle. Impossible, au fond, de résumer l’œuvre de cet artiste qui, de plus, préfère, les matériaux qui se dégradent rapidement : colle, eau, vieilles images et références au passé. Toutes choses appelées à s’effacer, à ne pas laisser de traces durables. Une petite géographie de l’éphémère.
LIVRES
Le deuxième sexe
« Pourquoi n’y a-t-il pas eu de grands artistes femmes ? » se demandait Linda Nochlin dans un essai paru en 1970. C’est que l’histoire de l’art, notamment à travers les grands mythes, a cantonné la femme dans un rôle passif d’objet sexué. Comme le montre l’auteur, les créatrices contemporaines ont empoigné à bras le corps cette problématique. Elles ont rattrapé les siècles perdus en travaillant sur l’idée de féminin, généralement au moyen de performances ou d’installations. Quelques exemples choisis illustrent un discours parfois complexe : Rebecca Horn se transformant en licorne, Ana Mendieta jouant, au moyen de plumes et de sang de poulet, sur les thèmes du sacrifice et de la virginité, Mona Hatoum mettant en scène, avec des vidéos, l’idée du viol, Ghada Amer brodant – activité éminemment féminine – des images de playmates, tirées de revues pornographiques… Pour les artistes femmes d’aujourd’hui, la question du genre reste un thème fondamental.
BRÈVES
ANVERS – Deux lettres autographes de Victor Hugo, décrivant la situation politique de son temps, ont été découvertes à la bibliothèque Hendrik Conscience.
BRUXELLES – La collection Rosendor, ensemble de décors architecturaux bruxellois des XIXe et XXe siècles, récupérés pendant trois décennies par l’entrepreneur Max Rosendor, est exposée et mise en vente (90 rue Navez) du 3 au 13 avril 2009.
LILLE – La 2e édition de la Lille Art Fair, foire européenne d’art contemporain, se tient à Lille Grand Palais, du 3 au 6 juin 2009, avec 65 galeries européennes.
NEW YORK – Le galeriste Lawrence Salander, dont la galerie a été fermée il y a un an et demi, a été arrêté le 26 mars. Il est accusé d’avoir extorqué 80 millions de dollars à ses clients en vendant plusieurs fois le même tableau.
PARIS – Le 120 Salon des artistes indépendants se tient du 4 au 9 avril 2009 à l’Espace Champerret. Salvador Dali et le Canard Enchaîné, par l’intermédiaire de 13 de ses dessinateurs, bénéficient d’un éclairage particulier.
PARIS – Le musée Guimet, la Bibliothèque nationale de France et la British Library lancent le projet Dunhuang : la mise en ligne des manuscrits trouvés par Paul Pelliot en Chine en 2008.
TOKYO – Art Fair Tokyo tient sa 5e édition du 3 au 5 avril 2009 avec près de 150 galeries d’art contemporain, dont une forte représentation du continent asiatique.
VERSAILLES – La VIIe Biennale internationale de la gravure d’Ile-de-France, qui se tient au Domaine de Madame Elisabeth, du 2 avril au 12 juillet 2009, présente des œuvres de près de cinquante artistes indiens.
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VEGETAL CITY
BRUXELLES - Comment remédier à la dégradation de notre environnement tout en imaginant des solutions innovantes de vie en société ? C'est le défi que relève au musée du Cinquantenaire l'architecte Luc Schuiten au moyen d'utopies réalisables qui s'inspirent de la feuille de lotus ou des ailes de libellule.
KOJIRO AKAGI CONNU ET INCONNU
PARIS - C'est un remarquable piéton de Paris : depuis quatre décennies, le peintre japonais Akagi parcourt en tous sens la capitale pour en immortaliser la vie quotidienne et les monuments. Cette rétrospective à la Mairie du Ve arrondissement montre aussi une partie moins connue de son travail : les nus.
RONAN BARROT
SAINT-LOUIS - En une soixantaine de tableaux, l'Espace Fernet Branca donne un aperçu complet de l'œuvre de l'un des artistes marquants de la jeune génération. Ronan Barrot puise son inspiration aussi bien du côté de Tintoret et Courbet que de Picasso et Rebeyrolle.