ArtAujourdhui.Hebdo
N° 147 - du 15 octobre 2009 au 21 octobre 2009
L'AIR DU TEMPS
L’artiste et la mort
Excepté quelques cas emblématiques de sculptures qui s’autodétruisent ou d’installations qui se fondent dans la nature, les artistes ont l’ambition légitime de créer pour l’éternité. A la différence de Zeno, le héros du romancier Italo Svevo, qui n’arrêtait pas de fumer sa « dernière cigarette », les artistes ne peuvent pas tricher avec leur dernière œuvre. Sont-ils, à un moment donné, conscients d’y travailler ? Dans une époque qui prétend avoir surmonté bien des tabous, celui de la mort reste vigoureux. La dernière exposition d’envergure sur ce thème remonte à 1989 à la Fondation Maeght. Le musée d’Art moderne de la ville de Paris se penche à son tour sur ce problème funèbre. A travers les cas de Chen Zhen, Gonzales-Torres ou Robert Mapplethorpe, il examine le chant du cygne d’artistes qui savent que l’ultimatum est très proche. Si Gilles Aillaud libère ses animaux autrefois en cage, si Hans Hartung s’évade dans de grands formats, Mapplethorpe préfère multiplier, avec des crânes, les références à la Faucheuse, tandis que James Lee Byars scénographie sa propre disparition. On regrette l’absence de quelques vivants, comme Roman Opalka qui travaille depuis près d’un demi-siècle à une unique et ultime œuvre : la peinture d’une suite de nombres croissants qui s’éclaircissent au fil des ans. La plus impressionnante parabole sur le fini et l’infini…
EXPOSITIONS
Encres de Chine
BRUXELLES – En 353, un groupe de lettrés se réunit et produit un chef-d’œuvre de l’écriture à la main : la Préface du Pavillon des orchidées. Nous avons beau être au XXIe siècle, à l’époque du traitement de texte et d’internet, la calligraphie n’en demeure pas moins en Chine une discipline vivante. L’exposition organisée dans le cadre d’Europalia entend le prouver. Parmi les prêts du musée du Palais de Pékin et du musée des Arts de Chine, on trouve certes des documents très anciens, notamment ceux qui remontent à l’âge d’or de la dynastie Song mais également des œuvres contemporaines (la version de 1956 du Pavillon des orchidées par Fu Baoshi). L’organisation en sections permet de mieux comprendre le rôle de la calligraphie dans la religion, l’expression du pouvoir ou la création littéraire.
Maíno sort de l’ombre
MADRID – Les grandes expositions jouent parfois le rôle de révélateur – trop rarement. C’est le cas pour celle que le musée du Prado consacre à Juan Bautista Maíno (1581-1649). Cet artiste qui n’a laissé que quatre tableaux signés a pourtant accédé aux plus hautes fonctions à son époque : Philippe II l’avait nommé maître de dessin de son fils, le futur Philippe IV. Ce qui n’empêche pas sa biographie de comporter de nombreuses zones d’ombre. La rétrospective rassemble le fonds du Prado – avec son chef-d’œuvre, le monumental retable de Saint Pierre martyr, peint pour le monastère des Dominicains de Tolède, où il avait pris les ordres. Essentiellement religieuse, sa peinture compte également quelques portraits et scènes d’histoire. Une quarantaine de compositions permettent de la recomposer, tout en la confrontant à la production de certains de ses contemporains comme Vélasquez ou Guido Reni.
Lumière sur Soulages
PARIS – C’est le grand aîné de la peinture française : pour fêter ses 90 ans, le Centre Pompidou offre une ambitieuse rétrospective à Pierre Soulages, exposant de l’abstraction que certains projets (comme les vitraux de l’abbatiale de Conques) ont rapproché du grand public. On ne peut guère accuser l’institution d’opportunisme : en 1979 déjà, alors que Soulages commençait à peine sa série Outrenoir (de grandes compositions entièrement noires reflétant la lumière), elle lui consacrait une exposition. L’arc temporel est autrement plus large aujourd’hui, couvrant plus de 60 ans d’activité, des brous de noix de l’immédiat après-guerre aux goudrons sur verre, jusqu’aux derniers polyptyques, encore inédits.
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VENTES
Vérité bis
La première vente Vérité avait marqué les esprits : en 2006, cette dispersion d’objets primitifs avait connu à Paris un succès historique, avec un produit vendu supérieur à 40 millions d’euros. Comme à Hollywood, où l’on produit à la pelle des « sequels », voici une vente Vérité II. Celle-ci, concentrée sur l’art asiatique, n’a pas l’ambition de la précédente. Les estimations tablent sur un résultat de l’ordre de 2 à 3 millions d’euros pour une centaine de lots. On y compte une poignée de chefs-d’œuvre comme ce Shiva en bronze du Xe siècle de la culture khmère (300 000 euros). Il voisine avec une vingtaine de statues hindouistes – d’Inde celles-ci – et une trentaine de sculptures chinoises qui retracent l’évolution de l’art bouddhique jusqu’au XVIe siècle avec, entre autres, un impressionnant boddhisattva aux mille bras d’époque Ming.
L'ARTISTE DE LA SEMAINE
Hugues Reip, Sans titre, dessin, 2009, courtesy Domaine de Chamarande
Hugues Reip à la découverte du monde
Il y a du cabinet de curiosités chez lui, une boulimie de collectionner des coquillages, des cailloux, des champignons, des fleurs séchées. Et de collectionner aussi les manières de les mettre en scène – collages, photographie, vidéo, dessin, inclusions de résine. Explorateur de mondes parallèles, Hugues Reip les retranscrit à la manière des découvreurs littéraires d’autrefois, qui faisaient rarement le voyage, préférant laisser travailler leur imagination. On pense évidemment à Jules Verne, à Swift ou aux plus anciens Hérodote et Pline, qui mêlaient faits avérés et légendes insensées, mesurant le monde et faisant parler les pierres. Le Cannois Reip, né en 1964, compose ainsi un patchwork coloré et lumineux, qui se nourrit du règne végétal, de la géologie, de l’ombre et du vent.
LIVRES
Bigarrures turques
Pour les opposants à son entrée dans l’Europe, la Turquie est un monolithe musulman. L’histoire nous apprend qu’il n’en était pas ainsi, Istanbul ayant longtemps été la ville la plus cosmopolite du monde. En feuilletant ce volume – fruit d’une quête de plusieurs années du photographe Attila Durak – on se convainc que la Turquie contemporaine demeure un véritable patchwork. Y cohabitent les représentants de minorités anciennes – les Arméniens, les Juifs, les Roms – qui ont certes vu leurs effectifs baisser, mais aussi des communautés moins connues en Occident – les Lazes, les Circassiens, les Pomaks, les Syriaques, les Zazas, les Molokans – jusqu’aux Grecs musulmans, aux Musulmans hellénophones et aux nomades sunnites… Les individus de tous âges, photographiés dans une pose documentaire, entendent rendre compte de cette diversité, que synthétise le titre : ebru est le nom du papier marbré sur lequel se juxtaposent formes et couleurs. On regrettera simplement que, dans les nombreux textes d’introduction, on ne synthétise pas assez clairement les particularités de ces différentes « nations ».
BRÈVES
BELGRADE – Le 50e Salon d’octobre de Belgrade, consacré à la création contemporaine, se tient dans cinq lieux de la capitale serbe jusqu’au 15 novembre 2009.
BIRZEIT (Palestine) – La 3e Biennale d’art contemporain de Riwaq se tient du 12 au 16 octobre 2009 sous une forme itinérante en traversant 50 villages, de Birzeit à Ramallah.
LONDRES – La foire d’art moderne et contemporain Frieze accueille 150 galeries internationales à Regent’s Park du 15 au 18 octobre 2009.
MONTPELLIER – Le 1er Salon du dessin contemporain se tient au Carré Sainte-Anne du 14 au 18 octobre 2009.
NEW YORK – Le Museo del Barrio, consacré à la diversité culturelle, rouvre le 17 octobre 2009 après une campagne de rénovation, et fête en même temps son 40e anniversaire.
PARIS – Le ministre français de la Culture a annoncé la restitution à l’Egypte de cinq fresques issues de tombeaux pharaoniques. Acquises en 2000 et 2003 sur le marché parisien par le musée du Louvre, elles étaient considérées comme sorties illégalement du pays par les autorités égyptiennes.
PARIS – La foire aux croûtes, une exposition de plein air organisée à Montmartre depuis 1921, se tient le 17 octobre 2009 place Constantin-Pecqueur.
UTRECHT – LA 3e biennale du design social, qui étudie les thématiques de l’architecture et de l’espace domestique, se tient jusqu’au 18 octobre 2009
VANCOUVER – Dans le cadre des Jeux olympiques d’hiver (du 12 au 28 février 2010), l’exposition « Développement durable et traditions vivantes » ouvre le 14 octobre 2009 avec l’inauguration d’un totem de l’artiste Jim Hart.
ZURICH – Le 11e salon d’art moderne et contemporain Art Zurich se tient du 15 au 18 octobre 2009 à la Maison des Congrès.
SUR ARTAUJOURDHUI.INFO
Cette semaine, ne manquez pas
ROBERT RAUSCHENBERG – JEAN TINGUELY. COLLABORATIONS
BÂLE - La collaboration fructueuse entre deux monstres sacrés de l'art du XXe siècle est exposée au musée Tinguely. Leur ambition de révolutionner l'art de leur temps en mêlant les genres et les matériaux a rapproché Jean Tinguely et Robert Rauschenberg tout au long des années soixante.
VOYAGE SENTIMENTAL 5
VALENCE - En attendant sa réouverture après agrandissement, le musée de Valence poursuit sa programmation hors les murs. C'est le thème du voyage sentimental, tel qu'il a été codifié par l'écrivain Laurence Sterne au XVIIIe siècle, qui inspire des créateurs aussi variés que Fiona Tan ou Richard Long.