ArtAujourdhui.Hebdo
N° 165 - du 4 mars 2010 au 10 mars 2010
Extrait du film d' Ariane Michel, Les Oiseaux de Céleste. © Galerie Xippas, Ariane Michel et Céleste Boursier-Mougenot, 2008
L'AIR DU TEMPS
Emprunts russes
La France continue de regarder à l’Est : après l’Année de la Turquie, c’est l’Année de la Russie qui s’ouvre, avec un programme ambitieux de manifestations, un peu timoré, semble-t-il, sur le volet contemporain. Les organisateurs savent par expérience que les ennuis et les casse-tête diplomatiques arrivent facilement de ce côté-là… Pour le reste, les nombreuses expositions vont permettre de faire voir en France des pièces remarquables des institutions russes. La plus ambitieuse d’entre elles est probablement « Sainte Russie » au Louvre, qui trace en 400 objets un bilan de dix siècles de Russie chrétienne, incluant évidemment manuscrits et icônes, prêtés par musées, bibliothèques et monastères. A suivre aussi : les maîtres de l’affiche au festival de Chaumont (fin mai) ou les collections du musée de Perm, à Lyon (musée de Fourvière) fin septembre. La passion russe prend aussi à Amsterdam où l’antenne du musée de l’Ermitage connaît un succès inattendu (plus de 600 000 visiteurs pour « Trésors de la cour russe », rétrospective inaugurale, de juin 2009 à janvier 2010). Un succès qui devrait être bissé pour la deuxième exposition, qui fait venir de Saint-Pétersbourg les trésors des collections Chtchoukine et Morozov, grands découvreurs de l’art moderne.
EXPOSITIONS
Jacopo Bassano, Vierge en trône avec l'Enfant, saint François et saint Bassian, 1545, fresque, 112x128 cm (provenant du cloître de l'église San Francesco), Museo Civico, Bassano del Grappa
Fous de Bassano
BASSANO – La semaine dernière, l’Italie nous offrait une redécouverte de Cima da Conegliano. Cette fois, dans ces expositions « provinciales » qui font toute la richesse du Bel Paese, c’est Jacopo Bassano, patriarche d’une lignée de peintres vénitiens, que l’empereur Rodolphe II tenta d’attirer à Prague, qui est mis à l’honneur pour le 500e anniversaire de sa naissance. Bassano est plus connu que Cima – ses ciels agités et violacés, ses réunions de bergers aux formes maniéristes ont connu une grande diffusion. On les retrouve évidemment, à côté de choses moins connues, comme ce Marchands chassés du temple, provenant d’une collection privée et exposé pour la première fois, ou ce Saint Christophe, en exil tropical à La Havane. D’autres expositions sont prévues jusqu’à fin 2012, les célébrations jouant habilement sur le flou qui entoure la date de naissance exacte du peintre : 1510 ou 1512 ?
•Jacopo Bassano e lo stupendo inganno dell’occhio au Museo Civico, du 6 mars au 2010
Beautés d’Ifé
LONDRES – Au sud-ouest de l’actuel Nigéria fleurit, entre les XIIe et XVe siècles, la civilisation d’Ifé. Elle s’exprime dans une sculpture figurative – essentiellement des têtes, parfois recouvertes de stries - d’une qualité rare, en pierre, en terre cuite, en cuivre mais surtout en bronze, fondu à la cire perdue. Le British Museum trace un bilan de cet art mal connu en se fondant essentiellement sur les collections nigérianes qui font pour l’occasion le voyage européen, coïncidant avec le cinquantenaire de l’indépendance du pays. La cité-État d’Ife, autrefois au cœur d’un réseau commercial local et international, est restée une référence obligée du peuple Yoruba et certaines des représentations montrées à Londres sont encore utilisées dans des cérémonies de culte locales.
•Kingdom of Ife au British Museum du 4 mars au 6 juin 2010
Homme contraignant une femme à lui pratiquer une fellation, céramique mochica, Museo Larco, Lima, Pérou. © photo Daniel Giannoni et Steve Bourget
Sexe précolombien
PARIS - « L’iconographie attachée à cet ensemble de vases mochica n’a rien d’érotique » prévient le dossier de presse, car « son naturalisme n’est que de surface, les actes sexuels minutieusement figurés mettant en scène des choses et des êtres imaginaires ». Pas sûr que le visiteur de cette surprenante exposition voie les choses de la même manière. Ces 134 céramiques provenant du musée Larco de Lima ont été produites entre le Ier et le IXe siècle, dans le nord du Pérou, et avaient une fonction rituelle : elles favorisaient notamment le passage vers l’au-delà. Le réalisme des positions de cette sexualité volontairement « non-procréative » – scènes de masturbation, de fellation, de sodomie – est dérangeant. Mais comme il y a du voyeur en chacun de nous, on est content de savoir que les vitrines ont été conçues « pour présenter les œuvres comme sur une scène de théâtre ». De cette façon, certaines pièces majeures « sont visibles à 360°pour en apprécier toute la richesse et les détails »…
•Sexe, mort et sacrifice dans la religion mochica au musée du Quai Branly du 9 mars au 23 mai 2010
Artaujourdhui vous conseille aussi…
•Comment filmer l’horreur de la Solution finale ? C’est la question que pose l’exposition du Mémorial de la Shoah à Paris, Filmer les camps, en étudiant les cas de John Ford et George Stevens, qui ont filmé la libération des camps, et de Samuel Fuller, qui a transposé cette expérience dans le domaine de la fiction. Du 10 mars au 31 août 2010.
•Pour le bicentenaire de sa naissance, la Cité de la musique présente dans Chopin à Paris, des tableaux, manuscrits et instruments qui évoquent les années du compositeur dans la capitale française. Du 9 mars au 6 juin 2010.
•A Porto, la fondation Serralves dédie une exposition rétrospective à Lourdes Castro (née en 1930) et à Manuel Zimbro (1940-2003), compagnons et collaborateurs, en particulier à leurs « théâtres d’ombres ». Du 6 mars au 13 juin 2010.
VENTES
Lot 19, Remarquable clef dite des Doges en fer forgé damasquiné d'argent. Italie XVIe siècle. L : 12,8 cm. Estimation : 20 000 - 30 000 €. Courtesy Fraysse & Associés.
L‘art de la fermeture
PARIS - Emporter la clé passe-partout qui ouvrait les portes du château de Saint-Cloud au XVIIIe siècle (lot 35) pour seulement 3000 € ? C’est une occasion à ne pas manquer tout comme, pour les anglophiles, obtenir la clé qui ouvrait le 11 St James Place, demeure de Guillaume IV d’Angleterre avant son accession au trône en 1830 (lot 40, 300 €). Le buste en bronze de Frédéric Spitzer (lot 66, 2000 €), collectionneur émérite, créateur d’un des derniers cabinets de curiosités des temps modernes, plane de manière tutélaire au-dessus de cette vente de la collection de Michel Rullier, expert en ferronnerie et dinanderie. Clés à dôme, de sacristie, épiscopales, clavandiers (porte-clés) en platine, coffrets à résille, en chêne, en fer forgé, en cuir gaufré : on entre de plain-pied dans l’univers de la serrurerie d’antan, parfois illustré par des pièces exceptionnelles, comme cette clé des Doges, damasquiné d’argent (lot 19), estimée plus de 20 000 €. Une série de lots - heurtoirs de monastères, moufles d’arbalètes, étuis à dague, mortiers, casse-noisettes ou poignées d’espagnolettes – devraient permettre aux passionnés de s’en sortir à moindre prix.
•Collection Rullier à Richelieu-Drouot (étude Fraysse) le 10 mars 2010.
L'ARTISTE DE LA SEMAINE
La musique de Céleste
Une seule installation a « boosté » sa carrière, From here to ear. Elle a été montrée dans les caves Pommery à Reims, l’an dernier, et reçoit maintenant les honneurs du Barbican Centre, à Londres. Des passereaux chinois volètent et se posent sur des guitares électriques. Avec leurs petites griffes, les oiseaux créent une symphonie aléatoire, qui plaît à tout le monde : enfants, critiques, philosophes (sauf peut-être aux écologistes, qui regretteront l’état captif des volatiles). Chez Céleste Boursier-Mougenot (né en 1961), le recours aux amplificateurs, aux télécommandes, aux instruments sans fil, n’est pas nouveau : en 1997, il produisait déjà des Keyboardchairs. La musique aussi le travaille depuis longtemps : on se souvient de ses bols musicaux dans un bassin à Chamarande, que le courant faisait s’entrechoquer, créant une sorte de carillon. On en revient aux mêmes prémices : le hasard comme facteur de poésie. Encore faut-il donner un coup de pouce au hasard : c’est le rôle de l’artiste…
•Céleste Boursier-Mougenot est représenté par la galerie Xippas. Il fait partie des artistes sélectionnés pour le prix Marcel Duchamp 2010. Il est exposé à la Maison rouge (Paris) jusqu’au 16 mai 2010 et à la Barbican Art Gallery (Londres) jusqu’au 23 mai 2010.
LIVRES
Génération Lurçat
Madeleine Castaing, Serge Mouille, Mathieu Matégot, Roger Tallon, Pierre Paulin : quel est le point commun entre ces décorateurs ? D’avoir été actifs au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, lorsque la France était à reconstruire et que l’architecture intérieure avait son rôle à jouer pour redonner le goût du beau. Cet annuaire illustré présente les plus connus de ces designers mais aussi ceux que l’histoire a un peu effacés – jusqu’à leur prochaine redécouverte. Les fers forgés de Poillerat, les céramiques de Madoura, les tapisseries de Jean Lurçat, les meubles de Charlotte Perriand voisinent ainsi avec les papiers peints de Colette Pettier, les couverts de François Raty et les verres de Jean Sala pour produire un « best of » de 350 créateurs dont certains sont encore vivants.
•Création en France, Arts décoratifs 1945-1965, ouvrage collectif sous la direction de Côme Rémy, Gourcuff-Gradenigo, 2010, 49 €.
BRÈVES
BÂLE – Ernst Beyeler, l’un des plus grands galeristes du XXe siècle et créateur de la Fondation Beyeler, est mort le 25 février 2010, à l’âge de 88 ans.
BOULOGNE-BILLANCOURT – Pour le 150e anniversaire de la naissance d’Albert Kahn, fondateur des Archives de la planète, le nouveau site internet www.albert-kahn.fr met 1000 autochromes en ligne.
BRUXELLES – La 3e édition de la Museum Night Fever (ouverture nocturne des musées) se tient dans la nuit du 6 au 7 mars 2010.
LONDRES – Selon des informations publiées sur le site d’informations financières Bloomberg, l’acheteur de L’homme qui marche I d’Alberto Giacometti, qui a battu le record de l’œuvre d’art la plus chère du monde aux enchères le 3 février dernier chez Sotheby's (65 millions £), serait Lily Safra, veuve du banquier Edmond Safra, mort en 1999.
NEW YORK – L’Armory Show, foire d’art moderne et contemporain, se tient du 4 au 7 mars 2010 au Pier 94. Pulse et Scope, foires d’art contemporain, se tiennent aux mêmes dates au 330 West Street et au Lincoln Center.
NEW YORK - Après huit mois de rénovation, le Metropolitan Museum of Art a rouvert le 2 mars sa galerie d'instruments de musique européens, qui comprend notamment deux violons Stradivarius.
SUR ARTAUJOURDHUI.INFO
Cette semaine, ne manquez pas
L’ART DU POUVOIR L'Armurerie royale et le portrait de cour
MADRID - La collection d'armures et d'armes du Patrimonio Nacional - conservée à l'Armurerie royale est l'une des plus riches au monde. Le musée du Prado en présente certaines des plus belles pièces, en les confrontant aux portraits de cour de l'époque, signés Titien, Vélasquez ou Rubens.