ArtAujourdhui.Hebdo
N° 339 - du 20 mars 2014 au 26 mars 2014
Yoko Ono, Sky Piece to Jesus Christ, 1965 Performance pour orchestre. Par Yoko Ono, La Monte Young (chef d’orchestre) et le Fluxus Symphony Orchestra, Carnegie Recital Hall, New York, 25 septembre 1965. Photo Peter Moore © Barbara Moore/Licensed by VAGA, NY.
L'AIR DU TEMPS
Yoko Ono : pas seulement Madame Lennon…
BILBAO - Elle est universellement connue pour avoir été la femme de John Lennon. Cette notoriété a été à double tranchant pour son activité propre d’artiste : dans l’esprit de beaucoup, Yoko Ono n’est qu’une dilettante de la performance. En réalité, née au Japon en 1933, installée aux Etats-Unis en 1952, elle a mené dix ans d’activité artistique intense – happenings et expositions en galerie – avant de croiser la route de John Lennon. C’est d’ailleurs l’une de ses œuvres qui servit de déclencheur. Touché par Ceiling Painting, vu en 1966 à la galerie Indica de Londres, le Beatle demanda à rencontrer l’artiste. Dans le corpus de cette artiste conceptuelle, poète, cinéaste, musicienne, aux créations parfois dérangeantes (comme la vidéo Fly où une mouche explore le corps d’une femme nue), le Guggenheim a retenu quelque 200 œuvres, dont certaines sont sans cesse renouvelées. C’est le cas des Air Dispensers ou de Water Event, créée en 1971 et présentée dans une version « actualisée ». Après Andy Warhol ou Jack Nicholson, ce sont Olafur Eliasson, Pilar Albarracín et Christian Marclay qui ont apporté les contenants que Yoko Ono a « sculptés » en les remplissant d’eau…
• Yoko Ono, Half a Wing Show au Guggenheim Bilbao, du 14 mars au 1er septembre 2014.
EXPOSITIONS
Cai Guo Qiang, Black-Fireworks, projet pour Hiroshima
L’art au péril de la guerre
LOUVAIN – Le sous-titre est clair : « Art et culture en temps de conflit ». On se souvient des dessins de Grosz et Dix réalisés pendant la Première Guerre mondiale, ou de l’opéra monté dans le camp de concentration de Teresin. De Michael Sweerts, qui peint au XVIIe siècle le dieu Mars écrasant une sculpture, à Mona Hatoum synthétisant dans la figure du blockhaus cette attaque éternellement renouvelée contre l’art, voici un large panorama de cette activité favorite des armées. Le port d’accueil de la rétrospective ne doit rien au hasard : en août 1914, l’incendie de la bibliothèque de Louvain par les troupes allemandes provoqua une commotion mondiale… qui n’empêcha pas un autre siècle de saccages. L’être humain changera-t-il un jour ? Les artistes sont en tout cas des vigies attentives et, à côté de Turner ou Pietro da Cortona, l’exposition laisse la parole à nos contemporains comme Sven Augustijnen (qui se penche sur l’histoire du Congo belge) ou Fernando Bryce (qui revient sur le cas de Louvain).
• Ravage au M – Museum Leuven, du 20 mars au 1er septembre 2014
Paolo Veronese (1528-1588), Portrait d'un gentilhomme, vers 1555, huile sur toile, 104.5×108 cm. Galleria Palatina, Palazzo Pitti, Florence (216) © Soprintendenza Speciale per il Polo Museale Fiorentino
Véronèse le Magnifique
LONDRES - La National Gallery avait un sacré atout dans ce projet de rétrospective Véronèse : elle possède dix tableaux du peintre vénitien (dont la Famille de Darius devant Alexandre ou l’Adoration des rois). Mais il fallait réunir les quarante autres et l’on sait que les musées sont toujours réticents à se séparer de chefs-d’œuvre. S’il était impensable de déplacer les Noces de Cana du Louvre, les fresques du palais des Doges ou de l’église des Frari, ce qui a été rassemblé à Londres est néanmoins un choix de tout premier ordre… De celui qui s’appelait en réalité Paolo Caliari (1528-1588), grand rival de Tintoret, on verra, entre autres, le Mariage mystique de sainte Catherine (Accademia, Venise), la Bella Nani du Louvre et deux portraits d’homme, provenant du Palazzo Pitti et du Getty Center. Les œuvres d’un peintre aussi célèbre ont été dispersées à travers le globe et les retrouvailles ont parfois un goût particulier. Ainsi, deux panneaux d’un retable de la petite ville de San Benedetto Po, séparés depuis le XVIIIe siècle, vont brièvement refaire vie commune…
• Veronese, Magnificence in Renaissance Venice à la National Gallery, du 19 mars au 15 juin 2014.
Saint Janvier, âme de Naples
PARIS – Que son sang ne se liquéfie pas et c’est l’annonce de catastrophes imminentes… Depuis cinq siècles et un contrat original, le sang de ce martyr de Dioclétien sert de baromètre à la ville de Naples. Les dons et œuvres d’art qu’a suscités sa dévotion sortent exceptionnellement de sa chapelle dans la cathédrale, quittent le Pausilippe pour la Seine. Bien évidemment, les fameuses ampoules ne sont pas du voyage : la prochaine liquéfaction est prévue pour le samedi 3 mai et il faudra être à Naples pour y assister…
• Le Trésor de Naples, les joyaux de San Gennaro au musée Maillol, du 19 mars au 20 juillet 2014.
Auguste, centre du monde
PARIS – Le malingre Octave devint l’homme le plus puissant de la Terre après la mort de son beau-père César. Il assit la puissance de Rome et joua un rôle important dans la colonisation de la Gaule. Cette version adaptée d’une exposition déjà montrée au Colisée réunit statues, bas-reliefs, tombes gallo-romaines et lieux de vie reconstitués.
• Moi Auguste, empereur de Rome au Grand Palais, du 19 mars au 13 juillet 2014.
VENTES
Le goût de Kikoïne
Que pouvait bien collectionner un peintre de l’Ecole de Paris, un Juif russe ballotté par les vents de l’histoire, collègue de Soutine à l’école de commerce de Minsk, puis ami de Krémègne et de Chagall à la Ruche à Paris ? C’est ce que va montrer la vente de la succession Michel Kikoïne (1892-1968). S’il n’a jamais atteint la notoriété de ses compagnons, l’artiste illustre parfaitement ce milieu cosmopolite et fragile de l’entre-deux-guerres, où les liens étaient d’autant plus forts qu’ils étaient menacés par les guerres et les exils. Fernand Léger, Roger Bissière, Fernando Bores, Alfred Manessier sont quelques-unes de ces amitiés qu’il matérialisa par des huiles et des dessins au mur de sa maison, et qui resurgissent en forme de souvenir. Le lot le plus recherché sera une gouache de Léger (lot 53, estimée 30 000 €). La cote très médiocre de Kikoïne connaîtra-t-elle un petit sursaut ? Ses aquarelles et gouaches sont évaluées à quelques centaines d’euros et seule sa belle Femme aux tulipes jaunes de 1913 pourrait dépasser les 10 000 euros.
• Succession Maratier-Kikoïne à l’hôtel Drouot, le 21 mars 2014 (Boisgirard-Antonini).
LIVRES
Manuel de l’installateur
Qu’y a-t-il de commun entre le Jardin d’hiver de Dubuffet, les « pénétrables » de Soto, les brouillards artificiels d’Olafur Eliasson ou les invasions de branchages de Ludwika Ogorzelec ? Ce sont toutes des installations, c’est-à-dire des œuvres d’art hybrides, sollicitant plusieurs sens, invitant souvent à l’interactivité, brouillant les repères traditionnels entre ce qui est du domaine du musée et ce qui ne l’est pas. L’ouvrage retrace la genèse d’un concept indissociable du XXe siècle, qui se nourrit de créations pionnières comme le premier Merzbau (maison-objet emplie d’objets trouvés et de fétiches, en évolution permanente entre 1919 et 1933) de Kurt Schwitters ou la Boîte en valise de Duchamp (1938), avant l’apogée des années 1950-70 qui voit s’imposer les noms de Beuys, Tinguely, Kienholz, Nam June Paik, Walter de Maria… Un intéressant cas d’étude clôt le panorama : les installations liées au conflit israélo-palestinien, dont est emblématique Touching the Border de Pinchas Cohen Gan en 1974, qui interrogeait la notion de frontière. On regrette assurément l’absence d’un index pour se retrouver dans un domaine aussi luxuriant…
• Installations, par Itzhak Goldberg, CNRS Editions, 2014, 320 p., 25 €.
