ArtAujourdhui.Hebdo
N° 358 - du 25 septembre 2014 au 1 octobre 2014
Pierre Paul Rubens, Pan et Syrinx, 1617, huile sur panneau, 40 x 61 cm, Staatliche Museen, Kassel. Photo Ute Brunzel
L'AIR DU TEMPS
Rubens, le patron
BRUXELLES – On se souvient du succès de la rétrospective «Picasso et les maîtres», qui allait chercher les racines historiques dans l’art de Picasso. C’est un principe inverse qui régit cette exposition : étudier (comme cela a été fait récemment pour Greco au Prado) l’influence d’un maître ancien sur les générations qui le suivent. Pas de risque de pénurie dans le cas de Rubens : sa trace se retrouve bien sûr chez son élève Van Dyck mais aussi chez Watteau, Delacroix, Carpeaux et même Kokoschka. En proclamant que « Rubens était le Quentin Tarantino de son époque », les organisateurs donnent un coup de pied dans la fourmilière d’un baroque trop sage. Le pouvoir, la poésie sont des thématiques explorées parmi les 160 œuvres sans oublier, évidemment, la luxure – Rubens est un peintre de la chair qui a conditionné quatre siècles de nu et d’érotisme.
• Sensation et sensualité, Rubens et son héritage à Bozar, du 25 septembre 2014 au 4 janvier 2015.
EXPOSITIONS
Duchamp, fossoyeur de la peinture ?
PARIS – Son nom est resté à jamais attaché aux « ready-made », et on a fait de lui l’ancêtre de l’art conceptuel, donc une divinité tutélaire de l’art contemporain. Entre jeux de mots et dérision (ses « élevages de poussière », ses « nus vites », sa Joconde L.H.O.O.Q), expérimentations optiques et contamination des sciences pures, sa production serait purement intellectuelle – son goût forcené des échecs renforçant cette image. En réalité, Duchamp a bien été peintre et sa vocation d’artiste s’est même révélée lors de la visite du Salon d’Automne 1905 (l’année de la rétrospective Manet et de la « cage aux fauves » de Matisse). Pendant plusieurs années, au début de sa carrière, il a peint des portraits (notamment de sa famille), des paysages dans une veine cézannienne, des personnages à la sauce cubiste. Et ce n’est qu’après le refus de son Nu descendant un escalier (qui lui vaudra sa célébrité américaine à l’Armory Show de New York, en 1913) qu’il prend d’autres chemins. L’exposition du Centre Pompidou montre cette distanciation progressive… et jamais complète : son œuvre ultime, son Grand Verre en interminable gestation, tient encore beaucoup de l’univers pictural. Duchamp est contre la peinture de même façon que Guitry était contre les femmes : tout contre…
• Marcel Duchamp. La peinture, même au Centre Pompidou, du 24 octobre 2014 au 5 janvier 2015.
Hokusai, Longue vue, série «Sept manies des jeunes femmes sans élégance», estampe nishiki-e, format oban, 1801-1804, 36,5x25,4 cm, coll. part. © Galerie Sebastian Izzard LLC
Hokusai, roi du manga
PARIS - Hokusai (1760-1849) nous semble issu des brumes de l’histoire. Mais si l’on associe à son nom le terme devenu tendance de « manga », il nous semble éminemment contemporain. L’auteur des célèbres Trente-six vues du mont Fuji, influence déterminante sur le courant japoniste en Europe (notamment par l’intermédiaire de Van Gogh et du verrier Emile Gallé), passa en effet sa vie à noircir des carnets de croquis. Ces quinze volumes, riches de milliers de dessins à visée didactique, contiennent des portraits d’artisans et de lutteurs, des animaux et végétaux en gros plan, et d’innombrables paysages de montagnes et d’eau qui ont nourri toute son œuvre. Outre ces ouvrages fondateurs, l’abondance de sa production est représentée dans l’exposition par quelque 500 pièces – dessins, estampes et peintures.
• Hokusai, au Grand Palais, du 1er octobre 2014 au 18 janvier 2015.
L’ARTISTE DE LA SEMAINE
Gilles Clément, une certaine idée du jardin
Gilles Clément, qui s’est fait connaître par le jardin Citroën à Paris mais aussi par celui du musée du quai Branly, a un discours volontiers iconoclaste : il aime montrer, par exemple, que la mondialisation n’a rien de nouveau et qu’elle a modelé notre environnement végétal. Quinze ans après l’exposition « Le Jardin planétaire » qui fit date à la Villette, il développe une nouvelle fois les concepts qui lui sont chers comme le « jardin en mouvement » ou « l’homme symbiotique », qui posent notamment les questions de la friche, de l’aléa, du temps – valeurs peu prisées dans notre monde organisé et pressé. Outre des dessins, des photos, des maquettes, le parcours comprend un salon de lecture et un cabinet de curiosités : l’univers de Gilles Clément s’est nourri d’incessants voyages, proches et lointains, par les moyens les plus variés : à pied, en moto, en cargo…
• Toujours la vie invente, carte blanche à Gilles Clément, à l’Ecole nationale d’architecture Paris-Val de Seine, du 30 septembre au 25 octobre 2014.
LES VERNISSAGES DE LA SEMAINE
NATURA LAPSA
26 septembre 2014 - POITIERS - Le Confort moderne
Des artistes contemporains voient la nature telle qu'elle fut longtemps perçue : un espace mystérieux, parfois hostile (photo : Mark Handforth)
LIVRES
Enquête sur Duchamp
L’influence de Marcel Duchamp a-t-elle envoyé sur de mauvaises pistes toute une branche de l’art contemporain ? A-t-elle véhiculé l’idée que l’on peut promouvoir du « n’importe quoi » au rang d’œuvre d’art à condition d’avoir une bonne stratégie de « spéculation » ? C’est en tout cas ce que l’on en retient généralement. L’auteur, dans ce petit essai, démontre qu’elle a une tout autre cohérence, en décortiquant notamment la portée du ready-made, les Boîtes-en valise, qui sont comme des auto-commentaires, ou le fameux Grand Verre, qui ne fut dévoilé qu’après sa mort. L’une des sections les plus intéressantes est celle où l’auteur réunit des témoignages à propos de Duchamp, recueillis juste après sa mort, auprès de Warhol, Tinguely ou Jean Clair. Tout ce que l’art duchampien peut avoir d’hermétique est éclairé par des anecdotes révélatrices - comme celle de ce chèque très particulier : Duchamp paya un jour son dentiste avec un chèque dessiné sur du papier… puis racheta le chèque pour un montant supérieur.
• L’énigme Marcel Duchamp par Philippe Sers, Hazan, 2014, 160 p., 16 €.