ArtAujourdhui.Hebdo
N° 375 - du 5 février 2015 au 11 février 2015
Paul Gauguin, Parau api, 1892 (Quelles nouvelles ?), huile sur toile, 67 x 91 cm, Gemäldegalerie neue Meister, Staatliche Kunstsammlungen Dresden. Photo: Jürgen Karpinski
L'AIR DU TEMPS
Gauguin, un misanthrope au paradis
BÂLE - L’ambition est exprimée sans détours dès le début : cette exposition, en préparation depuis six ans, est celle qui a demandé le plus d’investissement à la fondation Beyeler. Autant dire que la réunion d’une cinquantaine de chefs-d’œuvre de l’un des peintres les plus populaires de l’histoire de l’art devrait faire partie des « blockbusters » de l’année 2015. Le Gauguin introspectif des autoportraits est bien là, tout comme le prophète nabi de Pont-Aven. Mais c’est la période tahitienne, bénie des foules, mirage indémodable de l’exotisme heureux, qui est mise au premier plan avec des prêts remarquables provenant de treize (un chiffre de bon augure ?) pays différents – et même de Russie, en ces temps de rafraîchissement diplomatique. Celui qui ne réussit à vivre maigrement de son art qu’à 52 ans, en 1900, à la veille de sa mort aux Marquises, grâce à un contrat d’Ambroise Vollard, serait sans doute surpris de sa vogue posthume. Comment un déclassé, bourru syphilitique, asocial (plusieurs fois condamné pour coups ou injures à l’administration), solitaire (il abandonne sa femme et ses enfants en Europe et multiplie les compagnes aux antipodes), suicidaire (à l’arsenic) et alcoolique, en est-il venu à incarner l’éden ? C’est la toute puissance de l’art, capable du miracle de la transfiguration…
• Paul Gauguin à la fondation Beyeler, du 8 février au 28 mai 2015.
EXPOSITIONS
Esthétique de la déchirure
FRANCFORT - Il y eut, il y a longtemps, le collage. Puis vint le décollage. C’est ce à quoi s’attachèrent Jacques Villeglé et Raymond Hains un jour de 1949, lacérant les affiches parisiennes pour en emporter les lambeaux, matériau de leur propre œuvre. Ces iconoclastes ne sont plus considérés, depuis longtemps, comme des vandales mais comme des artistes à part entière (leur adoubement datant de la Biennale de Paris de 1959). Cette rétrospective s’attache à cinq d’entre eux : outre les deux précédents, le plus connu est Rotella, que l’on associe.immanquablement à l’atmosphère de la Dolce vita romaine des années soixante, avec les visages de Mastroianni ou Sofia Loren émergeant des posters lacérés. Volf Vostell et, surtout, le lettriste Dufrêne sont moins connus. Ce dernier est le plus impénétrable. Poète au fond de l’âme, préférant l’envers à l’endroit des affiches, il crée des palimpsestes, cousins des tablettes cunéiformes, véhiculant une nouvelle langue aux signes indéchiffrables.
• Poetry of the Métropole. The Affichistes au Schirn Kunsthalle, du 5 février au 25 mai 2015.
L’art a-t-il une odeur ?
BÂLE – Dans l’art du passé, impossible d’évoquer les odeurs autrement qu’en peinture : images de victuailles fraîches, de gibier pourrissant ou de bergère humant une fleur. L’art contemporain, avec ses installations, son recours à la technologie, a permis l’intrusion de ce sens dans nos émotions artistiques. Après les premières tentatives dada et surréalistes (la Belle Haleine de Marcel Duchamp et Man Ray), la pratique s’est complexifiée. De la Merda d’artista de Piero Manzoni (soigneusement scellée dans une boîte de conserve mais que des curieux millionnaires pourront toujours ouvrir un jour) aux œuvres de Dieter Roth, imprégnées d’urine et de pudding, on en est arrivé aux suspensions remplies d’épices d’Ernesto Neto ou aux vidéos de Bill Viola projetées dans une vapeur d’eucalyptus. L’exposition dresse un état des lieux, parfois dérangeant puisqu’il convoque l’intime ou l’insoutenable (l’évocation des chambres à gaz).
• Belle haleine, l’odeur de l’art, au musée Tinguely, du 11 février au 17 mai 2015.
VENTES
Sage Régine Deforges
PARIS - On la connaissait en grande prêtresse de la littérature érotique (compagne de Jean-Jacques Pauvert et éditrice elle-même, elle réimprime en 1968 le Con d’Irène d’Aragon, qui est immédiatement saisi) ou en romancière populaire (la Bicyclette bleue), moins en amatrice de peintres pompiers et de crochet. La dispersion de ses archives va permettre de se faire une image moins monolithique de Régine Deforges (1935-2014). A côté de lots qui illustrent ses goûts connus – les Chansons badines de Charles Colle, les Joyeusetés galantes et autres du vidame Bonaventure de la Braguette d’Albert Glatigny, des lettres autographes de Pierre Molinier ou Bellmer), voici donc d’inattendues broderies. Elles ne sont pas des œuvres de grand prix mais forment un bel ensemble d’art populaire, des abécédaires ou des Saintes Vierges en prière du XIXe siècle jusqu’aux canivets réalisés par Régine Deforges elle-même. Les jardins secrets des écrivains sont parfois pleins de mystère…
• Collection Régine Deforges les 10 et 11 février 2015 à l’hôtel Drouot (PBA Associés)
L'ARTISTE DE LA SEMAINE
Marlene Dumas : la vie et rien d’autre
Si elles n’ont rien à voir avec la provocation d’un Topor (qui publia en 1980 dans le Nouvel Observateur un dessin montrant le Christ s’apprêtant à forniquer avec une certaine Lacrimachristi), les représentations de Marie-Madeleine nue par Marlene Dumas sont susceptibles d’incommoder les ultras en cette période de crispation…Ces élégantes encres sur papier datant de 1996 ne forment pourtant qu’un pan de l’exposition rétrospective qui montre l’étendue des intérêts de l’artiste née en 1953 en Afrique du Sud. Les ravages de l’apartheid, les guerres et conflits, l’évocation de personnages célèbres (Lady Di, Ben Laden, Naomi Campbell), le regard de sa propre fille, la vie des sexclubs d’Amsterdam… Le tout, réinterprété à partir de cartes postales, de coupures de presse, d’images de films, constitue une véritable comédie humaine de notre temps.
• Marlene Dumas, The Image as Burden est présenté à la Tate Modern, du 5 février au 10 mai 2015.
LIVRES
WWI en BD
La Grande Guerre en bandes dessinées, c’est évidemment Tardi (Putain de guerre !). En réalité, comme le montre cet ouvrage de compilation, cela fait longtemps que les illustrateurs se sont emparés du thème : très exactement depuis le début du conflit. Certains illustrés comme la Croix d’honneur et la Jeune France sont même créés pour l’occasion par les plus puissants éditeurs du secteur, les frères Offenstadt, qui possèdent Cri-Cri et l’Épatant. Avec les Pieds nickelés s’en vont en guerre, le trio infernal prend les armes, le litron de picrate dans la poche et l’on voit même Bécassine mobilisée…Si, jusque dans les années soixante-dix, le ton reste plutôt patriotique (par exemple les récits héroïques et moralisateurs dans Tintin ou les Belles Histoires de l’oncle Paul parues dans Spirou), le discours se fait plus critique avec l’apparition des magazines de BD pour adultes après 1968. Cabu s’en donne à cœur joie dans A bas toutes les armées (1977) et Pat Mills crée un monument du genre avec Charley’s War (1979-86) qui décrit le quotidien d’un troufion britannique. L’histoire continue évidemment : les années les plus récentes voient de nouvelles audaces graphiques et scénaristiques et la vogue des adaptations de grands romans comme le Feu de Barbusse.
• La Grande Guerre dans la BD, par Luc Révillon, Beaux Arts éditions, 2014, 240 p., 29 €.
LES VERNISSAGES DE LA SEMAINE
Suzanne Lafont - SITUATIONS
6 février 2015 - NÎMES - Carré d'art
L'artiste (née en 1949) travaille sur le matériau inépuisable des banques d'images actuelles
BRÈVES
BARCELONE – Le nouveau Museu de Cultures del Món (musée des Cultures du monde) ouvre le 7 février 2015.
CAMBRIDGE – Selon l’avis concordant de plusieurs spécialistes, Michel-Ange, dont on ne connaissait pas d’œuvres en bronze, serait l’auteur de deux statuettes d’hommes nus chevauchant des panthères, présentées au Fitzwilliam Museum, à partir du 3 février 2015.
LONDRES – Le Grand Canal, un tableau de 1908 de Monet, a été adjugé 23,2 millions £ chez Sotheby’s le 3 février 2015.
MEXICO – La foire d’art moderne et contemporain Zona Maco se tient du 4 au 8 février 2015.