ArtAujourdhui.Hebdo
N° 411 - du 10 décembre 2015 au 16 décembre 2015
Caliche, Mes débuts dans la guerre, 2007 © Fondation Juan Manuel Echavarria.
L'AIR DU TEMPS
Colombie, une guerre
BORDEAUX – Peut-on établir un classement dans l’échelle d’horreur des guerres ? Celle qui a déchiré la Colombie pendant des décennies après le Bogotazo de 1948 (l’assassinat du leader libéral Gaitán) compte parmi les plus cruelles. Avec le développement des armes automatiques, la tradition de guérillas marxistes (M-19, ELN, FARC) et l’engagement de milices paramilitaires, elle a donné lieu à des épisodes insoutenables (dont des massacres à la tronçonneuse). Nombre d’artistes colombiens comme Doris Salcedo ou Oscar Muñoz en ont fait un axe de leur travail. L’un d’entre eux, Juan Manuel Echeverría, au sein de sa fondation Puntos de Encuentro, a mis à la question des acteurs de cette guerre – c’est-à-dire qu’il leur a tendu toiles et pinceaux pour qu’ils restituent leur vécu et leur interprétation. A mi-chemin entre témoignage brut et psychothérapie, ces 420 tableaux – dépeçages, fusillades, pendaisons, viols – montrent que la guerre n’est jamais belle, même en couleurs, mais que les hommes réussissent toujours à s’accommoder de l’horreur quotidienne…
• La guerre que nous n’avons pas vue au Musée d’Aquitaine, du 11 décembre 2015 au 6 mars 2016.
EXPOSITIONS
Francisco de Goya, La Balançoire ou L’Escarpolette, 1779, huile sur toile, Madrid, Museo del Prado © Madrid, Museo Nacional del Prado
Vive la galanterie !
LENS – Après les années tristes et bigotes de la fin de Louis XIV, qui meurt en 1715 sans héritier direct à part son arrière-petit-fils tout jeune (Louis XV, qui a 5 ans), la cour a soif de liberté et de plaisirs. Sous la régence de Philippe d’Orléans, on s’étourdit de concerts, de banquets, de danses. C’est le temps des fêtes galantes, incarnées par Watteau et Boucher, de cette fameuse légèreté française qui contamine toute l’Europe, de la peinture aux arts décoratifs (porcelaine de Meissen avec ses scènes de Joyeuse leçon, meubles en marqueterie, tabatières grivoises, etc.) L’exposition propose une tournée à travers cet art de vivre, ce goût du badin, cette fraîcheur des sentiments, qui nous seraient, aujourd’hui, fort avantageusement prescrits. Fragonard, Oudry, Gainsborough et même Goya, fêtes champêtres, après-midi de balançoire, confidences chuchotées entre pâtres et bergères… Sous un titre de chanson fixé par Madame de Pompadour, c’est une certaine forme de civilisation européenne qui aide à supporter les aléas du destin. On en reprendrait bien une dose…
• Dansez, embrassez qui vous voudrez au Louvre Lens, du 5 décembre 2015 au 27 février 2016.
Zao Wou-Ki, un bilan
MARTIGNY - Emigré chinois ayant connu bien des tribulations (l’émigration, son addiction au whisky qui le faisait surnommer « Zao Whisky », une épouse atteinte de troubles mentaux), il a pourtant connu la consécration. Artiste favori de Jacques Chirac, avec une cote dépassant allègrement le million d’euros, Zao Wou-Ki (1920-2013) a passé les trois quarts de sa vie dans le XIVe arrondissement de Paris (notamment près de l’atelier de Giacometti), où il était arrivé en 1948 et où il est désormais enterré, au cimetière du Montparnasse. Marqué par l’œuvre de Klee, Il s’éloigne vite de la figuration de ses débuts pour entrer dans un abstrait très personnel. L’exposition retrace 60 ans de sa carrière, de de 1955 jusqu’aux dessins au fusain ou à l’encre de Chine des années 2000.
• Zao Wou-Ki à la Fondation Gianadda, du 4 décembre 2015 au 12 juin 2016.
Istanbul multiple
ROME – De Hamra Abbas à Hasan Tur en passant par Sarkis, ils sont une quarantaine d’artistes à montrer la diversité de la création artistique à Istanbul. Les manifestations au parc Gezi en 2013, la menace intégriste, la pression urbaine ou la « gentrification » de certains quartiers de la ville : les thématiques abordées sont variées et les réponses montrent que les artistes sont des témoins essentiels - et souvent engagés - de leur temps.
• Istanbul. Passione, gioia, furore au MAXXI, du 11 décembre 2015 au 1er mai 2016.
César au Maroc
RABAT - Ouvert en 2014, le musée Mohammed VI d’Art moderne et contemporain est l’une des rares institutions neuves dans un Orient qui se fait plutôt remarquer par ses coups de boutoir contre la culture figurative… L’une de ses premières expositions est consacrée à César (1921-1998), figure emblématique du Méditerranéen ouvert à de multiples influences.
• César, une histoire méditerranéenne au musée MMVI, du 9 décembre 2015 au 14 mars 2016.
L'ARTISTE DE LA SEMAINE
Shadi Ghadirian, femme, Iranienne et photographe
Femmes de l’ère Qajar (1785-1925), de l’ère constitutionnelle (1905-1907) ou d’aujourd’hui ? Elles transparaissent toutes dans le regard de Shadi Ghadirian, née en 1974. Représentante de la jeune photographie iranienne, elle a connu la Révolution, le conflit Iran-Irak, la censure absolue et la relative libéralisation actuelle. Ses images, en faveur des droits de la femme iranienne, sont d’une étonnante audace, posant la question du voile, de la couleur, du genre. Certaines sont devenues des classiques : l’auteur a eu la surprise d’en découvrir dans des manuels d’histoire français... D’autres séries ont suivi, dont plusieurs sur la guerre, qui a traumatisé une génération. Si l’Iran s’ouvre effectivement, Shadi Ghadirian pourrait en être l’un des symboles, pionnière parmi les femmes photographes, une profession quasiment « impensable » il y a un quart de siècle…
• Shadi Ghadirian est exposée à la Bibliothèque municipale de Lyon jusqu’au 9 janvier 2016.
LES VERNISSAGES DE LA SEMAINE
Ernest Pignon-Ernest & Bruno Paccard - DANS LES PRISONS DE LYON
10 décembre 2015 - LYON - Galerie Anne-Marie et Roland Pallade
Deux visions sur la prison Saint-Paul avant sa démolition (dessin Ernest Pignon-Ernest)
LIVRES
La pub, un art ?
Andy Warhol avait dessiné des escarpins dorés, Salvador Dalí le logo des sucettes Chupa Chups et, avant eux, John Everett Millais avait accepté en 1886 de voir un de ses tableaux (un enfant faisant des bulles) détourné par les fabricants de savon Pears. Les rapports entre les artistes et la publicité ne datent pas d’aujourd’hui. Et sont, comme le montre ce livre, à double sens. D’un côté, le marketing se sert de l’art pour vendre – Nestlé s’approprie la Laitière de Vermeer pour ses yaourts et Manpower l’homme de Vitruve de Léonard de Vinci. Et les emprunts continuent, d’Arcimboldo pour la liqueur Malibu au David de Michel-Ange pour les jeans Levi’s. Qu’en auraient pensé les intéressés ? Dans l’autre sens, depuis Braque et Picasso qui instillaient du Pernod et du bouillon Kub dans leurs toiles, les artistes continuent de détourner les symboles de la société de consommation. Barbara Kruger, Erró, Wim Delvoye et Ai Weiwei (avec sa jarre chinoise estampillée Coca-Cola) sont quelques-uns de ces trublions...
• Art & Pub, par Mélanie Gentil, éditions Palette, 2015, 24,50 €
EN BREF
BRUXELLES – l’ADAM (Atomium Design and Art Museum), rassemblant une collection de design des années 1960 à aujourd’hui, ouvre au public le 11 décembre 2015.
LONDRES – Le Turner Prize 2015 a été attribué au groupe d’architectes Assemble.
PARIS – SOON, le Salon de l’œuvre originale numérotée, se tient du 11 au 13 décembre 2015 au Bastille Design Center.
PARIS – Les ministres français, allemand et italien de la Culture ont demandé à la Commission européenne la création d’un instrument juridique pour lutter contre l’importation illicite de biens culturels, qui permettrait de tarir une des sources de financement des organisations terroristes.