ArtAujourdhui.Hebdo
N° 422 - du 10 mars 2016 au 16 mars 2016
L'AIR DU TEMPS
Picasso, ce grand sculpteur
PARIS – Un titre en forme de paraphrase de Marguerite Yourcenar pour se demander : Picasso n’a t-il pas été sculpteur avant que d’être peintre d’exception ? Il veillait jalousement sur cette partie de son œuvre : à part un livre de Wildenstein en 1949 et des photographies de Brassaï, et quelques présentations, son importance ne fut véritablement appréciée que lors de l’inventaire après décès mené par les équipes de Maurice Rheims. Depuis, elle continue de stupéfier par sa variété. Cette exposition en présente un florilège complet, depuis les premiers essais connus de 1902 jusqu’aux tôles des années soixante. On sent en Picasso un boulimique : lorsqu’il travaille le bois, il prend tout ce qui lui tombe sous la main : chêne, hêtre, buis, tilleul ou sapin. Il peut faire du très grand – par exemples ses Baigneurs des dernières années – ou du très petit – ses étonnants découpages de paquets de cigarettes Celtique pendant la guerre. Du très compliqué ou du très simple (les galets incisés). Du figuratif (les têtes futuristes de Fernande (1909) ou de l’abstrait, des pièces uniques ou des multiples (la série pour la première fois rassemblée des six verres à absinthe de 1914), des jaillissements immédiats ou de longues recherches (les essais infructueux pour le monument à Apollinaire). Picasso modèle, taille, cloue, assemble, soude avec une inventivité qui ne se relâche jamais : sa Grue de 1953 est un pot-pourri hétéroclite : pelle, fourchette et robinet de gaz. Mais c’est avant tout une grue !
• Picasso. Sculptures au Musée national Picasso, du 8 mars au 28 août 2016.
EXPOSITIONS
Hubert Robert, L’Ancien Portique de l’empereur Marc-Aurèle, 1784, huile sur toile, 161x117 cm, Paris, musée du Louvre, dépôt à l’ambassade de France à Londres © musée du Louvre (dist. RMN-GP) / Todd-White Art Photography.
Hubert Robert, au-delà des ruines
PARIS – On l’a vite liquidé d’un qualificatif définitif : le « peintre des ruines ». En réalité, le parcours d’Hubert Robert (1733-1808) est bien plus riche qu’il n’y paraît. Cette première rétrospective depuis celle de 1933 montre un surdoué du dessin (on en connaît trois mille de sa main), qui se forme dans la fascination de l’Italie, où il accompagne à l’âge de 20 ans son protecteur, le comte de Stainville. Capable d’égaler Fragonard dans les paysages avec cascades ou d’inventer de faux reliefs étrusques, il peut brosser de petits lavis délicieux et, dans le même temps, construire des compositions de plusieurs mètres carrés sur les grands monuments de la France. Inventeur de jardins (il contribue à ceux de Versailles et de Méréville), il conçoit à ses heures perdues du mobilier pour la Laiterie de Rambouillet (une de ses tables vient d’être retrouvée au château de Pau) voire de la vaisselle (on peut voir son étonnante Jatte téton, en forme de sein). Après avoir évité de peu la guillotine pour son « incivisme reconnu », Robert sera l’un des animateurs du nouveau Louvre à la fin du siècle. Il en sera conservateur, y aura un atelier jusqu’en 1805 et laissera de mémorables images du musée. Sa Grande Galerie en ruine est une permanente mise en garde contre les vandalismes de tout crin…
• Hubert Robert, un peintre visionnaire au musée du Louvre, du 9 mars au 30 mai 2016.
Hélène Hoppenot, Jeune fille au puits, lac Atitlán, Guatemala, 1953. Épreuve gélatino argentique, 59,6 × 49,9 cm. Paris, musée d’Art moderne de la Ville de Paris.
Hoppenot, les photos de l’ambassadrice
MONTPELLIER – Epouse d’un grand diplomate, Hélène Hoppenot (1894-1990) a parcouru la planète pendant plus d’un demi-siècle, côtoyant Saint-John Perse, Paul Claudel, Darius Milhaud, mais aussi les foules du Brésil, de Syrie ou du Vietnam, où son mari fut nommé haut-commissaire après les accords de Genève (1955). Elle a retiré de ces années fécondes un journal personnel en cours de publication aux éditions Claire Paulhan mais aussi une moisson de photographies mal connues, de Pékin à New York en passant par La Courneuve. Si elle a traversé les remous d’un siècle brutal, ses images, qui bénéficient pour la première fois d’une rétrospective, sous un titre à la Stefan Zweig, sont plutôt une élégie à la paix, à la vie quotidienne, à la beauté des paysages.
• Hélène Hoppenot. Le monde d’hier, 1933-1956 au Pavillon Populaire, du 16 mars au 29 mai 2016.
ET AUSSI
Günter Brus: Vienna Walk, 5/7/65. Inner City, 1010 Vienna © BRUSEUM/Neue Galerie Graz, Universalmuseum Joanneum; photo Ludwig Hoffenreich.
Scandaleux Brus
BERLIN – Il fut parmi les plus virulents des actionnistes viennois, un groupe d’artistes contemporains, adeptes de formes extrêmes d’intervention dans l’espace public et sur leur propre corps, incluant peintures, ligatures, mutilations. Le Martin-Gropius-Bau étudie l’ensemble de l’œuvre de Günter Brus (né en 1938), qui fut le créateur du mythique restaurant Exil à Berlin, en incluant bien sûr la fameuse promenade viennoise (Vienna Walk) de 1965. Du 12 mars au 6 juin 2016.
Le démon de la géographie
CASSEL – Avec leurs cartes et atlas, inventeurs de nouvelles projections et représentations, ils furent à l’origine de la cartographie moderne. Mercator et Ortelius, deux amis flamands du XVIe siècle, sont réunis au musée de Flandre. Du 12 mars au 12 juin 2016.
Héritage celte
EDIMBOURG – Le National Museum of Scotland prend la suite du British Museum pour montrer la saga des Celtes, tronquée par la puissance romaine. Elle comprend de superbes pièces en métal (torques, chaudron de Gundestrup) mais aussi de la sculpture raffinée sur pierre et des objets de la vie quotidienne (peignes, épingles). Du 10 mars au 25 septembre 2016.
Giorgione, le retour
LONDRES – Titien est une gloire absolue qui n’a pas besoin de publicité… En revanche, la biographie de Giorgione garde son halo de mystère, qu’entretiennent ses tableaux aux thèmes énigmatiques. A la Royal Academy of Arts, In The Age of Giorgione replace l’artiste au centre de la galaxie vénitienne qui allait marquer le début du XVIe siècle et aide à redécouvrir des peintres négligés comme Giovanni Cariani. Du 12 mars au 5 juin 2016.
Ode à l’enfance
PARIS – Le musée de l’Orangerie avait organisé il y a quelques années une intéressante exposition sur les enfants modèles. C’est un propos plus large qu’aborde le musée Marmottan-Monet : l’enfance dans l’art. Des émaux d’Edouard Limosin à l’art brut de Dubuffet, en passant par Chardin et un gros volet impressionniste, les voici, au long de cinq siècles, tantôt riches tantôt pauvres, heureux ou affligés, immobiles ou dans le feu du jeu… Du 10 mars au 3 juillet 2016.
L'ARTISTE DE LA SEMAINE
Jannis Kounellis, art pas si pauvre…
Certaines de ses créations ont fait date comme la transformation en 1969 de la galerie romaine L’Attico en écurie à chevaux ou la version piscicole de l’épée de Damoclès : un canif aiguisé menaçant deux poissons sans défense dans une assiette à la synagogue Stommeln Pullheim (1991), qui avait survécu à l’antisémitisme nazi. Rattaché au courant de l’Arte Povera, Kounellis, né en Grèce en 1936 mais basé en Italie où opéraient ses amis Merz et Pistoletto. Capable de mobiliser du matériel lourd (accumulation d’amphores et de charbon à Capodimonte à Naples en 1989) ou de jouer avec le vide (le pianiste Frederich Rzewsky jouant Va pensiero de Verdi dans l’angle d’une pièce à la Quadriennale de Rome 1970), Kounellis sait jongler avec ses nombreux produits fétiches : toile de jute, métal, café, huile, pierres, embarcations, remettant en cause, comme ses contemporains, la notion même du matériau artistique.
• Janis Kounellis présente une installation à la Monnaie de Paris, du 11 mars au 30 avril 2016.
LES VERNISSAGES DE LA SEMAINE
SOPHAL NEAK
12 mars 2016 - PARIS - Les Douches
Une jeune photographe cambodgienne explore l'identité khmère dans des portraits à clés
LIVRES
Le Louvre face à l’histoire
Dans la lignée d’une publication à succès de Neil MacGregor, patron du British Museum, qui décryptait l’histoire du monde à partir de quelques pièces emblématiques de son musée, le Louvre remet sa copie. Il le fait par la plume (et la voix, car cela a donné lieu à des chroniques sur France-Culture en 2015) d’Adrien Goetz, bon amateur des dessous et des travers de l’histoire de l’art. La Joconde est bien là, en amphitryon, cette inconnue qui passa inaperçue à la fondation du musée avant de devenir l’œuvre la plus célèbre du monde. Ainsi que ces incontournables que sont la Vénus de Milo, l’Astronome de Vermeer (le tableau préféré de Goering) ou la Bethsabée de Rembrandt. Leur tiennent compagnie des objets diserts sur le destin des civilisations comme le Code d’Hammourabi, le Scribe accroupi ou le Sarcophage des époux de Cerveteri. Chacun nous livre une bribe du destin humain, nous dit son époque, le fracas du monde ou simplement le statut de l’artiste. Comme une symphonie chorale qui rappelle cette spécificité dont les grands musées sont aujourd’hui très jaloux, face au vandalisme et aux demandes de restitution : leur mission universelle de dépositaire de la beauté du monde. Une beauté bien menacée…
• 100 chefs-d’œuvre du Louvre par Adrien Goetz, Beaux Arts éditions/Louvre éditions, 2015, 312 p., 29 €.
EN BREF
AIX-EN-PROVENCE - La Vénus de Cranach l'Ancien, l'une des œuvres phares de l'exposition consacrée à la collection des princes de Liechtenstein à l'hôtel de Caumont, a été saisie par la justice jeudi 3 mars 2016 dans le cadre d'une procédure judiciaire portant sur son authenticité.
BORDEAUX – Le nouveau bâtiment des Archives municipales, dessiné par l’agence Robbrecht & Daem, est inauguré le 10 mars 2016.
MAASTRICHT - La foire d'art ancien et moderne TEFAF se tient du 11 au 20 mars 2016. Selon les chiffres du TEFAF Art Market Report, le volume mondial des ventes d'art s'est contracté de 7% en 2015, à 63,8 milliards $.
PARIS – Le mandat de Guy Cogeval, à la tête du musée d’Orsay depuis 2008, a été prolongé d’un an, jusqu’en avril 2017.
STRASBOURG – Les Rencontres de l’illustration se tiennent du 9 au 20 mars 2016.
VIENNE – Le Kunsthistorisches Museum célèbre son 125e anniversaire en programmant une série d’événements à partir du 8 mars 2016.
VIENNE - La foire d'art contemporain Art Austria se tient du 10 au 13 mars au musée Leopold.