ArtAujourdhui.Hebdo
N° 437 - du 23 juin 2016 au 29 juin 2016
Cristina de Middel, Sodomo, de la série This is what hatred did, 2015. Courtesy Bozar, Bruxelles.
L'AIR DU TEMPS
Et l’Afrique, alors ?
BRUXELLES - L’anniversaire des dix ans du musée du quai Branly, et son succès de fréquentation, nous ont amenés à dévier un tant soit peu notre regard. Les arts extra-européens sont plus présents, notamment ceux d’Afrique. Le photographe Seydou Keita bénéficie actuellement d’une rétrospective au Grand Palais, Barthélémy Toguo est à Montpellier (Carré Sainte-Anne) et l’on verra des choses intéressantes à Arles cet été (avec une section « Africa Pop »). En réalité, la création vibrante des métropoles nous reste largement inconnue. Après Kinshasa, plus accessible car francophone (« Beauté Kongo » à la fondation Cartier l’an dernier), voici que la nigériane Lagos dévoile quelques-unes de ses facettes. Dans le huitième pays le plus peuplé du monde (181 millions d’habitants), elle même cache ses dimensions exactes : 11, 17 ou 24 millions de Lagosiens ? Dans un univers urbain aussi démesuré, il n’est pas toujours facile de faire sa place. L’expression qui introduit l’exposition (« Dey Your Lane ») signifie justement « Occupe-toi de ce qui te regarde ». Cinéma, danse, musique, photo, vidéo, mode : la création y a un goût frais, parfois un peu délirant - et mérite qu’on y regarde à deux fois…
• Dey Your Lane, Lagos Variations à Bozar, du 17 juin au 4 septembre 2016.
EXPOSITIONS
Vigilius Eriksen, Portrait de Catherine II devant un miroir, vers 1763, huile sur toile © Musée national de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg.
Très grande Catherine
AMSTERDAM - Elle était Allemande, elle parlait mal la langue, elle a éliminé sans ménagement son mari tsar. Le pronostic était plutôt mal engagé pour la princesse saxonne mal dégrossie dans la rude Russie… Pourtant, Catherine II (1729-1796) se révèlera la plus grande tsarine de l’histoire : en 34 ans de règne, elle gagnera des territoires (la Crimée, la Pologne), réformera, bâtira, accumulera l’une des plus belles collections d’art du continent. Elle méritait bien l’appellation de « Grande », donnée de son vivant, mais l’Ermitage, pour la célébrer, préfère plus élogieux encore : « la Plus Grande ». L’exposition nous dévoile certains memorabilia de la star, venus de la maison-mère du musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg (qu’elle fonda elle-même il y a 250 ans) : robes, bijoux, tableaux, camées, livres (grande lectrice, elle acheta la bibliothèque de Voltaire)…
• Catherine, the Greatest à l’Ermitage Amsterdam, du 18 juin 2016 au 15 janvier 2017.
Peintres et collectionneurs
LONDRES - Les peintres peignent. Ils collectionnent aussi… On sait que Rembrandt avait une belle collection personnelle et que les impressionnistes pratiquaient des échanges, tout comme les rivaux Picasso et Matisse. A partir de la belle Femme italienne de Corot, dont Lucian Freud a fait don au musée, la National Gallery explore ces jardins secrets, en remontant jusqu’au XVIIe siècle et Van Dyck, qui avait une boulimie pour Titien (il en aurait possédé 19). Sont aussi passés en revue les mandarins de la Royal Academy comme Joshua Reynolds et Thomas Lawrence (qui amassa 4300 dessins !), ou Degas qui fut un vorace acheteur de maîtres anciens mais aussi de Cézanne et de son ami Manet, notamment pour reconstituer la Mort de Maximilien démembrée. Reste la question : pourquoi achetaient-ils ? Pour thésauriser, pour admirer ou, plutôt, aiguillonnés par l’émulation, pour dépasser leurs idoles ?
• Painters’ Paintings à la National Gallery, du 23 juin au 4 septembre 2016.
ET AUSSI
Le quai Branly se donne à Chirac
PARIS - Moins bâtisseur que Mitterrand, Jacques Chirac a cependant à son actif le musée du quai Branly, qui fête sa première décennie en rendant hommage à l’ancien président de la République. Outre qu’il est désormais immortalisé dans le nom de l’établissement, Chirac est étudié à travers sa passion pour les cultures extra-européennes, de l’Extrême-Orient (Chine et Japon) à l’Afrique (il fit son service militaire en Algérie), jusqu’à l’Amérique (son refus, en 1992, de s’associer aux célébrations du cinquième centenaire de la découverte du continent, synonyme de génocide, est resté dans les mémoires).
• Jacques Chirac, ou le dialogue des cultures au musée du quai Branly-Jacques Chirac, du 21 juin au 9 octobre 2016.
Beat Generation
PARIS - Du sexe, de la drogue, de la folie (Burroughs qui tue sa femme en jouant à Guillaume Tell) mais aussi de l’art, de la politique et beaucoup de littérature. Le mouvement beatnik, incarné par Ginsberg, Kerouac, Ferlinghetti et autres, a laissé une trace durable comme symbole de contestation et a contribué à modeler la société occidentale des Sixties. Une rétrospective menée par Jean-Jacques Lebel, qui a connu de près la plupart des icônes disparues, et qui fut lui-même un des papes du happening.
• Beat Generation au Centre Pompidou, du 22 juin au 3 octobre 2016.
Venise juive
VENISE - Pour le 500e anniversaire du ghetto, un mot vénitien qui connaîtra une sinistre diffusion (le getto, ou « jet », car situé près des fonderies), l’exposition étudie le rapport long et compliqué entre la Sérénissime et la communauté juive depuis le XVIe siècle jusqu’à nos jours, en incluant le personnage shakespearien de Shylock, l’émancipation de 1797 et le cimetière du Lido.
• Venezia, gli Ebrei e l’Europa au Palais ducal, du 19 juin au 13 novembre
PATRIMOINE
La France vend Descartes
AMSTERDAM - Après le fameux palais Clam-Gallas à Vienne (cédé en 2015 sans appel d’offres au Qatar, qui va en faire son ambassade), la France continue de brader son patrimoine européen. Dernier en date des Instituts français destinés à faire les frais des coupes budgétaires : la Maison Descartes, installée dans un ancien orphelinat sur Vijzelgracht, dont la fermeture est programmée pour le 30 juin 2016. On croirait un « œil pour œil, dent pour dent » après que les Pays-Bas ont fermé le renommé Institut néerlandais à Paris il y a trois ans… Mais la maladie est contagieuse : après Vienne et Amsterdam, mais aussi Venise et Porto, c’est Milan qui semble menacé. Si l’on considère la perte d’influence culturelle, les économies de baux et de loyers en valent-elles la chandelle ? D’autant que, comparées aux sommes en jeu dans le football, elles font presque sourire (80 millions d’euros en 2015 pour le transfert d’Anthony Martial à Manchester United, 20 millions d’euros pour le contrat abrégé de Laurent Blanc au PSG). Qu’en dirait Descartes, lui qui aimait tant le jeu de balle, au point de s’en servir pour illustrer sa théorie de la réfraction ?
LIVRES
Monet collectionneur
Faisant écho à l’exposition de la National Gallery, cet ouvrage décrit le musée privé de Monet. Tout comme Picasso, il gardait jalousement certaines de ses propres toiles et il est instructif de voir comment elles ont été dispersées après sa mort. Sur les 57 ici recensées, on en retrouve certes à Paris, Rouen et Honfleur mais aussi à Londres, Rome, Zurich, Cleveland, Indianapolis, San Diego, Tokyo : signe convaincant de l’universalisme du peintre… Mais Monet conservait également des toiles de ses amis. A partir des photographies et des témoignages disponibles, l’ouvrage reconstitue l’accrochage dans sa chambre et son cabinet de toilette. On fait presque effraction en apprenant que le Garçon au gilet rouge de Cézanne (aujourd’hui au MoMA) était à gauche de la cheminée, la Rue de Paris, temps de pluie de Caillebotte (aujourd’hui au musée Marmottan) au-dessus du lit ou que Femme s’essuyant après le bain de Degas (aujourd’hui au Norton Simon Museum de Pasadena) égayait le mur à côté du chiffonnier…
• Le musée intime de Monet à Giverny, par Sylvie Patin, Gourcuff Gradenigo, 2016, 152 p., 25 €.
LES VERNISSAGES DE LA SEMAINE
AMAR KANWAR
25 juin 2016 - FRAC Pays de la Loire - Carquefou
Un artiste indien engagé qui évoque par la vidéo le combat contre la dictature en Birmanie