ArtAujourdhui.Hebdo
N° 493 - du 23 novembre 2017 au 29 novembre 2017
Amedeo Modigliani, Jeanne Hébuterne, 1919, huile sur toile, 91,4 x 73 cm, The Metropolitan Museum of Art, New York.
L'AIR DU TEMPS
Modigliani, le météore
LONDRES - Exposer Modigliani (1884-1920), c’est la réussite assurée : le personnage, grâce à son destin maudit et romanesque, est un favori des grands musées. Cela l’aurait sans doute bien étonné, lui, qui à 33 ans, en 1917, lors d’une exposition à la galerie Berthe Weill, ne vendit qu’une poignée de tableaux et se fit en outre accuser par le commissaire de police d’obscénité pour avoir peint des nus avec des poils pubiens. Réunissant une centaine de pièces, dont un bon quart provenant de collections privées, l’exposition montre justement une belle série de femmes nues mais est encore plus riche en portraits : son marchand Zborowski, ses amis Cocteau, Picasso, Juan Gris, Survage, ses amantes comme Beatrice Hastings. Son principal mérite est de rendre très visible le paradoxe à la base de l’art de Modigliani : peignant d’abord dans un style inspiré de Cézanne, il ne trouve sa patte - aujourd’hui universellement reconnaissable (visages allongés, yeux en amande et dénués de pupilles, nez et sourcils stylisés) - qu’après être passé par une expérience fondamentale : la sculpture. Neuf têtes en calcaire, réalisées en 1911-12 et présentées sur des socles, montrent ce travail de simplification, inspiré notamment de la statuaire africaine, que Modigliani reportera tel quel dans sa peinture. Si sa fin pathétique est connue (l’alcool, la mort de méningite tuberculeuse, suivie du suicide de sa compagne Jeanne Hébuterne, enceinte), une expérience de réalité virtuelle permet de se plonger dans l’ambiance de son atelier. Chaussé d’un lourd casque, on se retrouve propulsé dans le désordre de la rue de la Grande-Chaumière : plancher inégal, volutes de gauloises, boîtes de sardines ouvertes, pinceaux dégouttant d’huile et chevalet planté de façon à éviter les fuites d’eau du toit. Sa bohème…
• Modigliani à la Tate Modern, du 23 novembre 2017 au 2 avril 2018.
EXPOSITIONS
Anselme Boix-Vives, Ministre lunaire, 1963, gouache sur carton, 65 x 50 cm. Courtesy galerie Alain Margaron ©Didier Michalet
Boix-Vives, sept ans de peinture
CHAMBÉRY - Il a eu une carrière courte - sept ans à peine. Non pas qu’il soit mort dans la fleur de l’âge comme Schiele, Raphaël ou Modigliani : Anselme Boix-Vives est décédé à 70 ans, en 1969… Mais c’est que sa vocation s’est dessinée tard, et de manière obsessionnelle, comme chez beaucoup de ces créateurs que l’on range sous l’appellation pratique « art brut ». Ce Catalan d’origine, installé en Tarentaise, après avoir travaillé sa vie durant dans le négoce alimentaire, se met soudainement à peindre d’arrache-pied dans sa cuisine. Inspiré par la nature environnante, par ses souvenirs d’enfance ou par la télévision - c’est l’ORTF du général de Gaulle ! - perpétuellement allumée, il produit plus de 2400 œuvres d’une étonnante profusion décorative - environ une par jour pendant sa vie d’artiste… Mises au tombeau, portraits du pape Paul VI ou des skieurs qu’il voit de sa fenêtre (son fils Laurent rachètera l’entreprise Rossignol), « curé de montagne très noble » ou « jolie dame fumeuse de pipe » : tous ces motifs lui semblent également dignes d’être croqués dans sa palette vive et frénétique.
• Anselme Boix-Vives au musée de Chambéry, du 25 novembre 2017 au 11 mars 2018. Catalogue Fage.
• Dans ce registre de l’art brut, on pourra lire Coupures, le roman de François Rachline (Albin Michel, 2017), qui évoque la figure d’Else Blankenhorn (1873-1920), une artiste schizophrène qui produisit une étonnante collection de billets de banque.
Vue sur Japon
PARIS - Comment l’inspiration japonisante, si importante chez Van Gogh et Toulouse-Lautrec, est-elle parvenue jusqu’à eux ? Dans un pays largement fermé jusqu’au début de l’ère Meiji (1868), les échanges se font par l’intermédiaire des comptoirs hollandais ou de la Chine. En 1867, la présence du Japon à l’Exposition universelle de Paris est un véritable choc, et kimonos, sabres, laques commencent à affluer. L’exposition retrace les débuts de cette fièvre japoniste…
• A l’aube du japonisme, à la Maison de la culture du Japon, du 22 novembre 2017 au 20 janvier 2018.
CÉLÉBRATIONS
Murillo aurait 400 ans
SÉVILLE - Star au XVIIe siècle lorsque tous les couvents de la ville lui passent commande, il connut une éclipse sous le despotisme éclaire des Bourbons, avant de connaître une vogue extraordinaire au XIXe siècle. Murillo (1617-1682) est alors particulièrement en vogue chez les dignitaires napoléoniens : le maréchal Soult en fait une véritable razzia. Trop souvent réduit à son thème majeur - l’Immaculée Conception - que s’arrachaient les paroisses fortunées, il a surtout plu en Europe pour ses portraits picaresques de gosses des rues. L’année Murillo qui fête le quatrième centenaire de sa naissance a pour ambition de présenter toutes les facettes de sa production. Egrenant des expositions mais aussi des animations (gastronomie, concerts) pendant près de 18 mois, elle va faire découvrir quelques trésors cachés dont la collection de l’Archevêché.
• L’Année Murillo débute le 28 novembre 2017.
VENTES
Ecole française du XVIIe siècle, Tête de femme, sanguine sur papier bleu, 13 x 10,5 cm, ancienne collection Polakovits. Estimation : 200 €.
Le jardin secret de Marie Laforet
PARIS - A l’ère du people, pour entrer dans l’intimité des stars, nous disposons des reportages des magazines spécialisés, les photos - volées ou pas -, les talk-shows. Mais l’on peut aussi, pour une icône comme Marie Laforet, la déesse aux yeux verts - parfaitement se contenter d’un portrait en creux. C’est celui que dessine sa collection d’œuvres d’art, dispersée par son grand ami Cornette de Saint-Cyr. C’est l’occasion de rappeler que dans sa carrière multiple, elle a aussi été galeriste et même commissaire-priseur ! Voici donc des gravures de la Révolution, des sanguines baroques, des dessins abstraits de Tutundjian, mais aussi une lettre de 1911 de Picasso à Max Jacob, dans laquelle il cite le collectionneur Franck Haviland. Ce sont les télescopages de l’actualité : ces trois personnages sont représentés par des portraits dans l’exposition Modigliani à Londres…
• Collection Marie Laforet, le 28 novembre 2017, à Drouot-Richelieu (Cornette de Saint-Cyr).
LIVRES
Ledoux, gros plan sur l’utopie
La liste de ses réalisations est impressionnante. En trois décennies, à la fin du XVIIIe siècle, Claude-Nicolas Ledoux (1734-1806) eut une production comparable à celle des plus grands « stararchitectes » d’aujourd’hui, qui peuvent être entourés d’équipes de plusieurs centaines de personnes. A titre d’exemple, il dessina 54 pavillons pour le mur des Fermiers généraux (le fameux « mur murant Paris qui rendait Paris murmurant »). La Révolution et l’abandon de l’octroi mirent fin au chantier, mais la bagatelle de 43 d’entre eux, tous dans son style inspiré de l’antique (colonnes doriques, frontons, arcades, frises, etc.) avaient eu le temps d’être bâtis. Auparavant, Ledoux avait laissé une série d’hôtels particuliers (notamment pour Madame du Barry à Louveciennes) mais aussi des ponts, des églises, des abreuvoirs, des théâtres… A la fois praticien stakhanoviste et utopiste (il conçut des immeubles sphériques, auxquels les fameux camemberts de Manolo Nuñez à Marne-la-Vallée rendent hommage), une bonne partie de ses constructions a disparu. Ce livre (où l’on regrette simplement que les dates de démolition ne soient pas indiquées) restitue une partie du patrimoine évanoui grâce à des maquettes récentes, élaborées à partir de ses dessins. Exposées à la saline d’Arc-et-Senans (la plus importante de ses œuvres encore debout), elles montrent son obsession pour les formes pures, la symétrie, la démesure - un cocktail très particulier, qui inspira par la suite aussi bien les prophètes du socialisme (phalanstères) que les architectes des régimes totalitaires…
• Le musée de maquettes Claude-Nicolas Ledoux, par Dominique Massounie, éditions h’artpon, 2017, 176 p., 20 €.