ArtAujourdhui.Hebdo
N° 68 - du 22 novembre 2007 au 28 novembre 2007
L'AIR DU TEMPS
Plus rien à vendre
Une des menaces qui pèsent sur le marché de l’art - ou qui est en tout cas fréquemment agitée - est la raréfaction progressive des chefs-d’œuvre. Tous les grands maîtres seront bientôt au musée et les acheteurs seront contraints de se déchirer en salle des ventes devant des toiles de second ordre. Picasso d’arrière-salle, mauvais Matisse, grossier Gauguin… On n’en est heureusement pas encore : les découvertes inopinées, les réapparitions non programmées font pour l’istant mentir les Cassandre. On a vu récemment resurgir un remarquable Schiele à Strasbourg (Les Tournesols) ou apparaître un Rembrandt dans la campagne anglaise. Dernier en date, un Turner que l’on pensait casé à jamais - il étai dans la collection d’une famille à l’abri du besoin, celle de l’ancien magnat de l’acier Vanderbilt - revient sous le marteau (chez Sotheby's le 5 décembre). Il s’agit du Château de Bamborough, considéré en son temps (1837) comme l’une des plus belles aquarelles de l’histoire. Comme certains musées vendent aussi leurs fonds (l’Albright-Knox de Buffalo), le spectre d’assèchement du marché semble s’éloigner. D’autant que la question de l’aliénation des collections publiques rebondit aussi en France, où la ministre de la Culture vient de confier à Jacques Rigaud une mission de réflexion sur ce sujet tabou…
EXPOSITIONS
C’est l’Amérique
BRESCIA – Marco Goldin s’est fait connaître comme organisateur d’expositions impressionnistes, qui ont attiré un très vaste public (jusqu’à 700 000 visiteurs) dans un lieu à l’écart des grands circuits culturels : la Casa dei Carraresi à Trévise. Désormais basé à Brescia, il tente de renouveler ce succès avec d’autres thématiques. Après « Les peintres et la neige », voici « America !», une superproduction consacrée à la peinture des Etats-Unis au XIXe siècle, qui réunit 400 œuvres, entre tableaux, sculptures et photographies, de l’école de l’Hudson (Eakins, Homer, avec 50 tableaux provenant du musée de Hartford) jusqu’aux objets rituels des Indiens, des paysages exotiques de William Bradford jusqu’au célèbre cliché La Main de l’homme d’Alfred Stieglitz. Si le tapage médiatique peut déranger (Goldin a fait une véritable tournée dans les théâtres d’Italie pour présenter le projet), la volonté de créer un événement est indéniable. Des cycles de films, des spectacles, des débats, faisant intervenir des connaisseurs de l’Amérique, aussi bien journalistes (Furio Colombo) que basketteurs (Dino Meneghin) ou acteurs réputés (Arnaldo Foà) sont organisés. Une sorte de Barnum, derrière lequel on sent l’ambition d’inaugurer une nouvelle façon de faire des expositions temporaires…
Alechinsky, une vie après Cobra
BRUXELLES – On l’associe immédiatement au mouvement Cobra. Et pourtant, Cobra a été dissous en 1951…De l’aventure avec Karel Appel, Asger Jorn, Corneille, Constant et Dotremont, il reste évidemment des traces dans la production postérieure d’Alechinsky : ainsi les figures libres, le chromatisme intense ou le recours à certaines formes animales récurrentes comme le serpent. Mais le benjamin du groupe (il est né en 1927) a ensuite exploré d’autres pistes, notamment la calligraphie, qui l’a mené jusqu’au Japon, où il réalise en 1955 le film Calligraphie japonaise. L’intérêt plus large pour le livre se détecte dans les « infeuilletables » (livres en porcelaine) ou dans ses peintures dites « à remarques marginales » où le sujet central est entouré de vignettes, un peu comme des croquis ou des notes de bas de page enrichissent un texte. L’exposition organisée pour le 80e anniversaire d’Alechinsky couvre toute sa carrière, depuis les premiers travaux de l’étudiant typographe en 1947 jusqu’aux dessins des dernières années.
Quand Versailles brillait de mille feux
VERSAILLES – Si Louis XIV n’osa jamais toucher aux collections de peinture qui lui venaient de ses prédécesseurs, il n’en fut pas de même avec le mobilier d’argent. Il le sacrifia en 1689 pour financer sa dispendieuse guerre contre la Ligue d’Augsbourg. Comment exposer des pièces qui n’existent plus et qui fascinèrent les visiteurs de Versailles, dont des miroirs d’argent massif d’une demi-tonne ou des aiguières grandes comme un homme ? La solution consiste en une intelligente pirouette : les commissaires ont demandé aux musées européens de prêter des objets équivalents de même époque et ont confié à Jacques Garcia une mise en scène scintillante dans le Grand Appartement du roi. Les immenses torchères, les cassolettes, les vases viennent donc d’institutions cousines qui ont mieux absorbé (du moins dans ce domaine) les remous de l’histoire : les châteaux de Rosenborg au Danemark (fermé pour restauration, il est le principal contributeur), de Windsor et de Chatsworth en Angleterre, de Forchtenstein en Autriche (voir à ce sujet l’article de la rubrique Livres), de Hohenzollern ou du Kremlin. Au total, ce sont 150 objets d’art qui font revivre les fastes du Roi-Soleil : une époque de grandeur qui revient décidément à la mode…
PHOTOGRAPHIE
Impressions d’Afrique
BAMAKO – Doucement mais - on l’espère - sûrement, l’Afrique tente d’occuper la place qui lui revient dans la création contemporaine. Les Rencontres africaines de la photographie de Bamako, jeunes cousines du festival d’Arles, font partie, avec la Biennale de Dakar, des manifestations qui ont un écho international. Créées en 1996, elles tiennent cette année leur 7e édition, sous le commissariat de Simon Njami. De Maksim Armand Seth à Michel Tsegay, en passant par Pierrot Men, une cinquantaine de photographes illustrent le thème « Dans la ville et au-delà » : la ville africaine a-t-elle un centre ? Comment naissent et vivent ses quartiers ? Des matiti de Libreville aux townships du Cap ou aux quartiers bourgeois d’Abidjan, les typologies sont aussi variées qu’en Occident et autorisent des regards nombreux et variés. La cote de Seydou Keita et de Samuel Fosso, la distinction récemment accordée à Malick Sidibé (Lion d’or à la biennale de Venise) montrent que la photographie africaine accède enfin à la reconnaissance.
L'ARTISTE DE LA SEMAINE
Looking South Over Panum Crater, A Young Plug-Dome Volcano That Erupted in 1375 AD, Mono Lake, California © Michael Light - Courtesy galerie Luc Bellier
Michael Light : vu d’en haut
La photographie aérienne n’est pas une discipline neuve même si Yann Arthus-Bertrand semble s’en être fait le dépositaire exclusif aux yeux du grand public. L’Américain Michael Light (né en Californie en 1963) en est un autre exposant significatif et vient de se voir décerner le prix John Simon par le Guggenheim. Déserts, glaciers : Michael Light a survolé des endroits extrêmes. Mais son travail se rapproche aussi de celui d’Edward Burtynsky ou, autrefois, de Mario Giacomelli. Comme eux, Michael Light étudie les traces que l’homme laisse sur la terre, en en modifiant la texture, la forme, la lumière :
villes la nuit, autoroutes urbaines ou paysages industriels qui prennent parfois l’apparence de champs de ruine… mais la faculté de juger est laissée au spectateur. Particularité notable, Light double son activité de photographe de celle de chercheur. Il a ainsi passé en revue plus de 30 000 clichés de l’aviation américaine sur les sites d’expériences nucléaires pour en tirer un choix personnel dans 100 Suns.
LIVRES
Trésors de Hongrie
Il reste de belles énigmes à résoudre en histoire de l’art. Celle-ci par exemple : quand donc la Madone Esterházy, un célébrissime tableau de Raphaël, est-il entré dans la collection des princes du même nom ? On n’en a aucune idée… Il faut dire que les biens de cette famille, plus grand propriétaire terrien de Hongrie aux XVIIe et XVIIIe siècles, étaient démesurés, aussi bien en termes de châteaux (Eisenstadt, Esterháza, Forchtenstein) qu’en œuvres d’art. Lorsque l’héritier en céda la plus grande partie en 1870 – soit 637 peintures, 3535 dessins et 51301 gravures – elle constitua le socle de l’actuel musée des Beaux-Arts de Budapest. Le catalogue, qui accompagne l’exposition du château de Compiègne, présente le personnage emblématique de la lignée : Nicolas II, grand palatin de l’empereur d’Autriche-Hongrie, amant de la France (il avait une demeure rue Le Peletier, à Paris), de la musique (est présentée sa correspondance avec Beethoven), des jardins, de l’architecture (on voit les dessins commandés à Charles Moreau pour modifier le château d’Eisenstadt) et, bien évidemment, de la peinture. Outre des fiches sur les œuvres, notamment d’importants Ribera, Régnier, Jordaens, Bellotto, l’ouvrage vaut pour sa façon de remettre en perspective une grande famille mécène d’Europe orientale qui, si elle a l’importance des ducs de Devonshire à Chatsworth ou des Farnèse, demeure mal connue chez nous.
BRÈVES
ABU DHABI – Art Abu Dhabi, mis sur pied par les organisateurs d’Art Paris, se tient du 27 au 29 novembre, avec la participation d’une cinquantaine de galeries internationales.
AVIGNON – La visiteuse coupable d’avoir donné un baiser et maculé une toile blanche de Cy Twombly à la fondation Lambert l’été dernier a été condamnée à 1500 € de dommages-intérêts et à 100 heures de travaux d’intérêt général.
LASCAUX - Le Comité scientifique international de la grotte de Lascaux annonce que les moisissures blanches, apparues il y a quelques années, sont en régression. En revanche, sont apparues des moisissures noires, qui vont exiger un nouveau traitement et la mise au repos de la grotte (aucune présence humaine) pendant trois mois.
NEW YORK – Après le passage à vide de Sotheby’s lors des ventes d’art moderne et impressionniste, qui avait fait naître des craintes sur la solidité du marché, les séances des 14-15 novembre, consacrées à l’art contemporain ont rassuré : 325 millions $ (avec un record mondial pour Lucian Freud, Ib and her Husband à 19,3 millions $) chez Christie’s et 316 millions $ chez Sotheby’s (avec un record mondial pour Koons, Hanging Heart à 23,6 millions $).
PARIS – Les Rencontres internationales Paris/Berlin/Madrid, au croisement du cinéma et de l’art contemporain, se déroulent à Paris du 22 novembre au 1er décembre en divers lieux (Centre Pompidou, Jeu de Paume, Palais de Tokyo, cinéma L’Entrepôt).
PARIS – Un tronçon de la tour Eiffel, estimé 20 000 €, a été adjugé 180 000 € le 19 octobre par l’étude Ader.
PARIS – Le salon Art en Capital se tient au Grand Palais du 22 novembre au 2 décembre. Le Mac, Manifestation d’art contemporain, accueille de son côté 130 artistes à l’Espace Porte de Champerret, du 22 au 25 novembre.
ROME – La manifestation « Luci nell’arte », qui commande à des artistes contemporains des installations lumineuses autour de sites archéologiques, débute les 24 et 25 novembre avec des créations de Zimmerfrei dans la crypte de l’église San Crisogono et de Paolo Chiasera au Museo delle Mura.
STRASBOURG – La 12e édition de la foire St’art se tient du 23 au 26 novembre avec la participation de près de 100 galeries. Les pays mis à l’honneur sont l’Espagne et le Benelux.
SUR ARTAUJOURDHUI.INFO
Cette semaine, ne manquez pas
COULEURS D'ITALIE - LA COLLECTION DES XVIIE ET XVIIIE SIÈCLES
BEAUVAIS - La collection de peinture italienne du Musée départemental de l'Oise n'était plus visible depuis la fermeture partielle du musée en 1997. Ce fonds, constitué dans un esprit de cabinet d'amateurs et qui contient des œuvres d'école baroque dont un Pompeo Batoni, est remis au premier plan.
À L'ŒIL, HOMMAGE À ALPHONSE ALLAIS
CHALON-SUR-SAÔNE - Des croquenots, des pingouins de carnaval, un enfant travesti en pelote de laine : autant d'images qui auraient plu à Alphonse Allais tant elles se rapprochent de son univers. Il s'agit en réalité de photographies anonymes issues du fonds du musée Nicéphore Niépce…
LISA KLAPSTOCK - PAULETTE PHILLIPS
PARIS - Dans le cadre des Rencontres internationales Paris/Berlin/Madrid, le Centre culturel canadien présente la première exposition en France de deux artistes de Toronto, Lisa Klapstock et Paulette Phillips, qui questionnent notre univers quotidien au moyen de la vidéo et de la photographie.
SÈVRES ANNÉES 30 - LA SÉDUCTION DES MATIÈRES
SÈVRES - Dans le fil d'une initiative lancée l'an dernier visant à relire l'histoire de la manufacture de Sèvres, cette exposition étudie son ouverture à la modernité sous la direction de Georges Lechevallier-Chevignard (1920-1938), avec un ambitieux programme de commande auprès d'artistes de renom.