ArtAujourdhui.Hebdo
N° 75 - du 24 janvier 2008 au 30 janvier 2008
L'AIR DU TEMPS
Vague de faux
L’affaire du faux faune de Gauguin, une statue achetée par l’Art Institute de Chicago, a mis dans l’embarras le grand musée américain, qui s’est fait berner par une drôle de famille. Vincent Noce a tiré dans Libération du 14 janvier le portrait de ces Bidochon un peu particuliers : un patriarche de 84 ans, George Greenhalgh, qui vient de comparaître en chaise roulante et en chaussons devant un juge de Manchester, et son fils de 47 ans. Ils ont produit pendant des années, dans leur garage, des bas-reliefs assyriens, des figurines égyptiennes ou des reliquaires anglo-saxons du Xe siècle. Ces pièces ont fini dans de grands musées et en salles des ventes, où des conservateurs et des experts peu scrupuleux leur ont trouvé toutes les marques d’authenticité voulues. Autre cas qui a défrayé la chronique : l’annulation, à la mi-décembre, par le Musée ethnographique de Hambourg, d’une rétrospective des célèbres guerriers chinois de terre cuite. Ils étaient tous faux. L’argument de la société organisatrice – les guerriers étaient du même matériau et de même taille que les originaux – n’a pas porté… Rien de nouveau sous le soleil : en 1985, le Getty Museum avait acheté une statue grecque pour 10 millions de dollars. Le volcanique historien de l’art Federico Zeri avait démissionné du musée pour se désolidariser de l’acquisition de ce faux grossier à ses yeux. Face à l’augmentation du nombre d’œuvres postiches, pourquoi ne pas cependant s’inspirer de l’attitude du Getty ? Dans le doute, ses responsables avaient alors exposé la statue avec un cartel plein d’humour : « Marbre grec. Vers 530 av. J.-C. ou faux moderne ».
MUSÉES
Würth, du bricolage à Picasso
ERSTEIN (Alsace) - Au départ, il était deuxième apprenti dans la petite entreprise de visserie de son père. Aujourd’hui, à 73 ans, Reinhold Würth est à la tête d’un empire qui réalise un chiffre d’affaires de 8 milliards €. Mr Würth ne fait pas que des vis et tournevis. Il a aussi une passion pour la culture. Outre le mécénat de diverses manifestations musicales et littéraires, la restauration de monuments historiques (la chapelle Palatine à Palerme), il collectionne l’art contemporain depuis près d’un demi-siècle. Tenant un peu des patrons paternalistes d’autrefois, il tient à en faire profiter ses employés. Le musée inauguré cette semaine dans la zone industrielle d’Erstein, en Alsace, est le douzième qu’il ouvre, après des homologues en Suisse, Allemagne, Espagne ou Norvège. Dessiné par les architectes Jacques et Clément Vergély, il proposera sur 800 m2 des expositions temporaires du fonds Würth. Celui-ci compte aujourd’hui près de 10 000 œuvres, de Monet, Picasso et Kirchner à Magritte, Poliakoff et Baselitz.
EXPOSITIONS
L’Action Painting montre ses muscles
BÂLE – Pollock penché sur une immense toile à même le sol, un pinceau dégoulinant dans la main. C’est l’une des images emblématiques de l’art moderne et le symbole de la prise de pouvoir de l’Amérique. L’exposition de la Fondation Beyeler laisse évidemment une large place au héros maudit, mort dans un accident de voiture à moins de 50 ans, qui est devenu l’artiste le plus cher du monde, loin devant Picasso et Klimt, avec une transaction à 150 millions de dollars en 2006. Mais elle élargit le discours à l’ensemble de ce courant de peinture gestuelle, y incluant d’autres grands Américains des années 50 comme de Kooning, Sam Francis et Clyfford Still mais aussi Karel Appel, Asger Jorn ou Pierre Soulages, représentants d'une Europe désormais à la périphérie de l’art le plus brûlant…
Emprunts russes
LONDRES – Une exposition qui l’a échappé belle : il y a un mois, le gouvernement russe annonçait qu’il ne laissait plus sortir les œuvres de peinture russe et française de l’Ermitage et du musée Russe (à Saint-Pétersbourg), de la galerie Trétiakov et du musée Pouchkine (à Moscou). Il craignait qu’elles ne fassent l’objet d’actions en justice, sur le sol anglais, de la part d’héritiers des anciens propriétaires qui se considèrent spoliés par l’Etat russe. Une section de l’exposition est en effet consacrée aux grands collectionneurs Morozov et Chtchoukine, mécènes de Matisse et autres artistes. Un changement express de la législation britannique, dans les premiers jours de 2008, a écarté ce danger. Les quelque 120 tableaux, que l’on dit assurés pour un montant d’un milliard de livres sterling, arrivent donc à Londres auréolés du traditionnel avertissement : « on ne reverra jamais un tel rassemblement de chefs-d’œuvre ». Qui contient peut-être une part de vérité : réunir la Danse de Matisse, le Carré noir de Malévitch et la Composition VII de Kandinsky, à côté d'œuvres de premier ordre de Vrubel, Maliavine et Serov a de quoi allécher un large public.
La charge des Barbares
VENISE – On l’avait désormais assimilé à l’art contemporain avec la mise en scène de la collection de François Pinault. Et voilà que le Palazzo Grassi, sur les berges du Grand Canal, revient à ses anciennes amours, du temps qu’il appartenait à la famille Agnelli : les grandes expositions sur les civilisations. On se souvient de celles sur la Grande Grèce ou sur les Phéniciens. Arrivent aujourd’hui les Barbares, ces peuples qui ont mené la vie dure à l’Empire romain puis l’ont finalement renversé. Soit un millénaire d’histoire de l’Europe que l’on ne pouvait pas résumer facilement. Sous le commissariat de Jean-Jacques Aillagon, c’est donc un déluge d’objets qui s’abat sur le palazzo remodelé par Tadao Ando. On en compte près de 1700 - sarcophages sculptés, bustes en marbre, armes ciselées, orfèvrerie, évangéliaires, etc - venus de 25 pays, de la Bulgarie à la Tunisie.
L'ARTISTE DE LA SEMAINE
Karen Knorr : la chasse est ouverte
PARIS - Dans le cadre entièrement rénové du musée de la Chasse et de la Nature, la photographe Karen Knorr met en scène les animaux qui plaisaient tant à notre fabuliste national, La Fontaine, mais aussi aux philosophes antiques. Chouettes empaillés, cerfs taxidermisés, lapins et tortues sont disséminés sur les parquets, entre tableaux et tentures à damas, sous des lustres à pendeloques et mis en scène en musique. Karen Knorr aime travailler par séries et mettre en avant notre rapport à l’animal. Certains se souviennent des singes qu’elle avait lâchés au musée d’Orsay il y a une
vingtaine d’années ou des clichés de meutes de chiens, croqués à Cheverny. Karen Knorr excelle à trouver dans les sociétés animales des rapprochements avec certains groupements humains aux règles rigides et aux mœurs policées, commes les clubs anglais…
LIVRES
Entre l’OM et la bouillabaisse
Un gros plan sur certaines tendances de la création à Marseille : c’est ce que propose cet ouvrage qui même allègrement la cuisine (avec les créations de Gérald Passedat, au Petit Nice, ou de Lionel Lévy, l’un des fondateurs de l’association Génération C), football et arts plastiques. Ce qui les unit, c’est une aptitude à recycler, à accomoder et esthétiser les restes, à insuffler du jeu dans la vie quotidienne. Cet esprit de débrouille, d’assemblage, de détournement, esprit « cabanon » comme le définit l’un des artistes actifs sur place, Guy André Lagesse, s’exprime souvent par des interventions dans les friches ou les quartiers difficiles. Interventions louables mais dont la postérité n’est pas assurée : on le voit par exemple pour l’installation à la Cité des Cèdres de Richard Baquié, l’un des étoiles filantes de l’art marseillais (mort à 40 ans en 1995), totalement phagocytée par le béton et les tags. Sautant avec dextérité d’un thème à l’autre, musclant son discours des résultats de l'OM, l’auteur trace un portrait attachant d’une création engagée, que l’on peut retrouver actuellement dans l’exposition collective « Marseille artistes associés », présentée dans plusieurs musées de la ville.
BRÈVES
ANGOULÊME – Le 35e Festival international de la bande dessinée se tient du 25 au 28 janvier.
ATHENES – Un carnet attribué à Vincent Van Gogh, contenant 60 pages de dessins, a été découvert parmi les biens d’un ancien partisan grec. Son authenticité doit être confirmée par le musée Van Gogh d’Asmterdam.
BOLOGNE – La 32e édition du salon Arte Fiera se tient du 24 au 28 janvier avec la présence de plus de 200 galeries. La section « Art nouveau » est consacrée aux galeries de moins de 5 ans d’existence tandis qu’un parcours d’installations est organisé dans la ville.
FLORENCE - Le conseiller régional à la Culture de la région Toscane, Paolo Cocchi, vient de proposer le déplacement du célèbre David de Michel-Ange, actuellement à la Galleria dell'Accademia, vers le futur Parc de la musique, en cours d'aménagement près de l'ancienne gare Leopolda. L'initiative a suscité une levée de boucliers.
MADRID - Le ministère espagnol de la Culture organise la première édition de Art is Action, rencontre d'artistes spécialisés dans la performance, dans l'atrium du musée Reina Sofía, du 24 au 26 janvier.
PARIS – Le fonds éclectique du collectionneur Jean Albou passe en vente chez Artcurial en deux journées de ventes, les 29 et 30 janvier. De César à Raymond Hains, de Barbier à Fauguet, elle constitue un panorama de la création française des 50 dernières années, avec une importante section de photographies.
PARIS - Le Centre Pompidou a reçu 5,5 millions de visiteurs en 2007, soit 5% de plus que l'année précédente. L'exposition "Airs de Paris" a accueilli 223 000 visiteurs, devant Annette Messager (185 000). La rétrospective Giacometti, en cours, vient de dépasser la barre des 300 000 entrées.
PARIS - La ministre de la Culture, Christine Albanel, a annoncé que l'œuvre de Daniel Buren au Palais-Royal, Deux Plateaux, serait restaurée cet été. Le montant des travaux est évalué à 3 millions d'euros.
PARIS - La galerie School Gallery (81 rue du Temple, 75003) est inaugurée le 24 janvier avec une exposition consacrée à Naji Kamouche.
SUR ARTAUJOURDHUI.INFO
Cette semaine, ne manquez pas
ARTéNIM GRENOBLE
GRENOBLE - La Foire d'art contemporain Rhônes-Alpes tient sa 3e édition à Alpexpo, du 1er au 4 février, avec près de 80 galeries et éditeurs du monde entier (Europe mais aussi Japon, Corée ou Canada) présentant 250 artistes. Un moment à ne pas manquer : la Nuit de l'art, le 1er février, jusqu'à 23 heures.
HANNAH HÖCH, Tout commence avec Dada !
BÂLE - Hannah Höch (1889-1978), la seule femme du groupe Dada de Berlin, aux côtés de George Grosz ou de Raoul Hausmann (avec qui elle eut une longue liaison), est enfin célébrée comme il se doit : le musée Tinguely lui consacre une rétrospective complète, permettant de découvrir son parcours, de ses premières œuvres jusqu'aux photocollages de la maturité.