ArtAujourdhui.Hebdo
N° 6 - du 25 mai 2006 au 31 mai 2006
L'AIR DU TEMPS
Biennales à la pelle
Il fut un temps où la Biennale de Venise était la seule à figurer sur le calendrier des esthètes. Aujourd’hui, biennales, triennales ou quadriennales se sont tellement multipliées qu’elles quadrillent la planète. On peut le déplorer en se plaignant de la dilution automatique de la qualité. On peut aussi bien s’en féliciter en y voyant des fenêtres ouvertes sur des mondes lointains et pas aussi accessibles que le prétendent les Cassandre de la globalisation. Prenez Busan : cette biennale sud-coréenne, qui inaugure son « prologue » cette semaine, a passé l’âge de raison. Initiée il y a un quart de siècle sous forme d’une biennale des jeunes, ses dernières éditions ont attiré un million de visiteurs. Bonne vitrine de ce qui se fait au Pays du Matin calme, elle contribue à tisser un lien entre l’Orient extrême et l’Occident. Seul inconvénient de ces manifestations : elles imposent un planning d’oiseau migrateur. A la rentrée de septembre, il faudra ainsi jongler entre les continents : Singapour, Gwangju, Athènes, Liverpool, São Paulo. Les biennales, c’est sûr, forment la jeunesse.
EXPOSITIONS
Redécouvrir Rassenfosse
BRUXELLES - Parmi les artistes wallons méconnus hors de leurs frontières, Armand Rassenfosse (1862-1934) occupe une place de choix. A l’intersection de plusieurs influences – les nabis, les symbolistes, la ligne nette de Vallotton – il a développé une œuvre en bonne part centrée sur la femme et son univers, entre boudoir, lits défaits et séances de coiffure au miroir. Affichiste de talent, illustrateur (notamment des Fleurs du mal de Baudelaire), il s’est aussi fait un nom en gravure, collaborant en particulier avec Félicien-Rops. Les deux hommes mettront même au point un vernis mou, baptisé d’un nom-valise qui ressemble à une farce de potache : le ropsenfosse. Armand Rassenfosse fut virtuose d’un genre désormais éteint, l’ex-libris. L’université de Liège en conserve une collection fournie. Longtemps négligé, l’artiste bénéficie de deux événements simultanés : l‘exposition et une monographie complète aux éditions Racine. De quoi relancer sa cote…
Pour en savoir plus, voir les pages très complètes de l’université de Liège
22, v'là Sierra
MALAGA – Santiago Sierra s’est fait un nom pour ses installations et performances provocantes. Elles sont rarement acceptées sans remous et les musées qui les accueillent ne peuvent manquer d’avoir quelques sueurs froides. Le Centre d’art contemporain de Malaga relève le défi alors que l’on a encore en mémoire l’épisode de la synagogue de Pulheim, près de Cologne. Pour dénoncer la « banalisation de la mémoire de la Shoah », Sierra l‘avait transformée en chambre à gaz, alimentée par les pots d’échappement de six voitures, que les visiteurs parcouraient avec des masques. L’exposition a été fermée dès son inauguration, le 12 mars. A Malaga, Santiago Sierra présente le produit de sa performance de l’automne 2005 à Bucarest, « le Couloir de la Maison du Peuple ». Photos, vidéos et grands diptyques y montrent des centaines de femmes mendiant en répétant mécaniquement « Donne-moi quelque chose ». L’artiste prévoit en outre une intervention spéciale pour compléter ce projet sur les méfaits de la dictature.
Quand Millet prenait l'air
PARIS – Le musée d’Orsay, qui possède le plus important fonds de dessins (600 au total) de Jean-François Millet, en accroche un ensemble intéressant. L’objet avoué de cette exposition-dossier est de réfuter l’image de Millet artiste d’atelier, n’ayant jamais travaillé en plein air. Une interprétation largement fondée sur les souvenirs de son fils qui écrivait : « Quand il s’en allait à travers champs, il n’emportait que son bâton ». Si cela est probable pour sa peinture, les dessins du musée d’Orsay montrent un caractère autrement spontané, qui prouve qu’ils ont été réalisés sur le motif. Parmi ces croquis rapidement exécutés, certains proviennent de pages de carnets que l’artiste glissait dans les poches de sa vareuse. La vie rurale est évidemment au centre de ces esquisses, dont beaucoup ont été réalisées après son installation à Barbizon en 1849.
MUSÉES
L'argent andalou
BRUXELLES - Diadèmes en argent, hallebardes en cuivre, bracelets en or : les fouilles menées en Espagne du Sud par les géologues Louis et Henri Siret livrent entre 1880 et 1887 d'innombrables trésors. Et font la lumière sur la première métallurgie, en ordre chronologique, d'Europe occidentale. Autour du IVe millénaire avant notre ère, dans les environs de l'actuelle Almería, en Andalousie, les tombes collectives cèdent la place à des sépultures individuelles. Les deux frères belges y mettent au jour des centaines de récipients en terre cuite, des colliers aux perles d'ivoire, d'os et de noyaux de fruit. Mais les trouvailles les plus spectaculaires sont évidemment ces pièces témoignant d'un savoir-faire abouti dans le travail du métal. Les Musées royaux d’art et d’histoire inaugurent une exposition permanente – logiquement baptisée salle Siret - à cette civilisation d’El Argar, qui, après le cuivre, excellera longtemps dans l'argent. Mais elle ne saura jamais faire le bond qualitatif vers le bronze, matériau guerrier par excellence.
VENTES
House sale à l’italienne
FLORENCE – Les maisons d’enchères anglo-saxonnes se sont fait une spécialité des house sales qui consistent à vendre l’entier contenu d’une demeure aristocratique. Ces marathons du marteau, étalés sur plusieurs jours, recèlent parfois quelques chefs-d’œuvre. Mais c’est surtout leur aspect « cabinet de curiosités » qui attire les amateurs. C’est le cas en Toscane cette semaine avec la villa La Torre, qui fut résidence d’été des Médicis, et dont le contenu est un pot-pourri digne d’un inventaire à la Prévert. Des tapis, des encensoirs, une chaise Savonarole (10 000 €), des médailles, des encriers, des mortiers en bronze et en marbre, des clepsydres en ivoire, des assiettes de Faenza, des mosaïques de pierre dure… Au total, 650 lots, du XIV au XIXe siècle, débutant à quelques centaines d’euros. Avec de belles pièces, dont des « fonds or » du XIVe siècle, des tableaux Renaissance (une Vierge à l’Enfant du Maître de Lathrop, du début XVIe siècle, 170 000 € ) ou un groupe d’anges porte-candélabres en faïence de Montelupo (vers 1600, 70 000 €). Au rayon des coups de cœur, un groupe en porcelaine de Capodimonte : Polichinelle et une amie mangent à pleines mains un plat de spaghetti à la sauce tomate (vers 1750, 25 000 €). Tellement bien rendu que ça en ouvre l’appétit.
LIVRES
Ipoustéguy, la peinture aussi
Dans les histoires de l’art, il est, une fois pour toutes, sculpteur. On connaît ses grands bronzes, ses marbres, les Amants, la Mort du père, ou plus récemment, sa statue de Rimbaud à Paris. Aussi, est-ce avec intérêt que l’auteur reçoit un coup de téléphone lorrain à l’hiver 2004. « Venez donc jeter un coup d’œil à ce que j’ai retrouvé » dit Ipoustéguy. De boîtes fermées depuis des décennies sortent des peintures, bourrées de matière, de relief - mais peintures tout de même. C’est un document archéologique, le témoignage d’une brève saison 1967-68 qu’Ipoustéguy passe dans l’atelier de son ami Sam Szafran. Les thèmes ? Ses proches, l’actualité (la mort de Jean XXIII, la guerre du Vietnam), les femmes. Le tout est peint directement au tube, que l’artiste applique brutalement sur la toile. On sent que, même en deux dimensions, il ressent le besoin de se mesurer physiquement avec ses créations ! Ipoustéguy montre ces toiles à un camarade. Elles nes plaisent pas. Aussi brutalement qu’il les a pris, il abandonne les pigments et retourne à sa sculpture. Ipoustéguy est mort le 8 février 2006. Désormais, c’est sûr, on ne saura rien de plus sur cette brève fièvre picturale. Si, une question : ces toiles, le public pourra-t-il les voir un jour ?
BRÈVES
BERLIN – La nouvelle gare de la capitale allemande, la Berlin Hauptbahnhof, capable de gérer un flux de 300 000 passagers par jour, est inaugurée le 26 mai.
EYMOUTIERS – La grande exposition Soulages, programmée pour cet été à l’Espace Rebeyrolle, a été annulée. Elle est repoussée à l’été 2007.
GENES – Les antiquaires de la capitale ligure organisent Genova Antiquaria, du 25 au 29 mai. Ouverture nocturne et quelques pièces de qualité dont des tableaux de Bernardo Strozzi et d’Artemisia Gentileschi.
IVRY – « Jardins secrets », une manifestation d’art contemporain accueillie par l’hôpital Charles-Foix (7 avenue de la République), fête son dixième anniversaire sous la direction du critique Jean-Louis Pradel. Elle reçoit cette année, du 31 mai au 30 juin, les sculptures de Patrick Fleury et Jean-Bernard Métais.
LONDRES – Sotheby’s annonce la vente d’un des derniers tableaux de Holbein le Jeune encore en mains privées. Le Portrait de Thomas Younger (vers 1541) sera proposé le 5 juillet. Il est estimé entre 2 et 3 millions de livres et bénéficiera d’un bon coup de projecteur : la rétrospective qui se tient actuellement à Bâle et qui se poursuivra à Londres à la Tate Britain le 28 septembre.
PARIS – L’exposition « Kaléidoscope » présente le travail des 17 étudiants diplômés en 2005 avec les félicitations du jury : elle est ouverte jusqu’au 13 juillet à l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts. L’occasion de découvrir quelques futures stars des arts plastiques ?
PARIS – La 4e édition du Parcours Saint-Germain-des-Prés est baptisée Essences insensées. Les artistes contemporains ont investi l’Ecole des beaux-arts, les boutiques et cafés du quartier en travaillant sur le thème du parfum.
PARIS – Le photographe Willy Ronis, âgé de 95 ans, qui a offert à l’Etat entre 1983 et 1989 l’ensemble de son œuvre (environ 100 000 images), a symboliquement clos cette donation le 24 mai avec un dernier album de 563 photographies.
PORTO RICO – Annoncée comme la première foire internationale d’art contemporain en Amérique centrale, Circa Puerto Rico se tient au centre de conférences de San Juan, du 25 au 28 mai.
VENISE – L’Istituto Veneto di Scienze Lettere ed Arti organise, les 26 et 27 mai, une conférence internationale, sur le thème : « l’Europe de l’art - la circulation des biens culturels ». Parmi les participants, Francine Mariani-Ducray, directrice des musées de France, et Antonio Paolucci, ancien ministre de la Culture italien.
SUR ARTAUJOURDHUI.INFO
Cette semaine, ne manquez pas
PARIS – Comme il le fait trois fois par an, le Musée d’Orsay invite des artistes contemporains à dialoguer, au moyen d'une création ad hoc, avec des œuvres du passé. Annette Messager a choisi la maquette du quartier de l’Opéra et Robert Mangold les bois sculptés de la Maison du Jouir de Gauguin.