Avec Proust, Sotheby’s rattrape le temps perdu

«Sotheby’s a débuté en 1744 avec une vente de livres. Que l’activité parisienne commence ausssi avec une vente de livres a une portée symbolique» nous expliquait Jean-Baptiste de Proyart, vice-président de Sotheby’s France. Les résultats de la vente organisée les 29 et 30 novembre et 1er décembre ne peuvent que satisfaire le dirigeant de la maison anglo-saxonne, qui se trouvait aussi être l’expert de la vente. Le clou en a été une édition originale d’un ouvrage de Proust, Du côté de chez Swann, qui est partie pour 2,232 millions de francs, ce qui constitue un record mondial pour une œuvre imprimée française. Le lot était estimé entre 800 000 et 1 million de francs. Il s’agissait de l’un des cinq exemplaires de l’édition originale sur papier japon. Il a été acquis par le marchand Patrick Sourget. Parmi les autres succès, on note Une saison en enfer de Rimbaud (Alliance Typographique, Bruxelles, 1873) parti à 692 000 francs pour une estimation de 120 000 francs, Voyage au bout de la nuit de Céline (Denoël 1932), à 658 000 francs pour une estimation de 250 000 à 350 000 francs ou un exemplaire sur chine des Poèmes saturniens de Paul Verlaine, enlevé à 655 000 francs pour une estimation de 200 000 à 300 000 francs. Il y a dix ans, un exemplaire de la même édition était parti à 155 000 francs.

L’ensemble des 900 lots, qui représentaient la seconde partie de la bibliothèque de l’érudit belge Charles Hayoit, dont la première avait été dispersée en juin par l’étude Poulain-Le Fur, a demandé cinq vacations et 16 heures d’enchères, sous le marteau d’Alain Renner. L’ensemble de la vente a rapporté 26,5 millions de francs, pour une estimation entre 20 et millions de francs. Tous les lots ont été vendus, ce qui a valu au commissaire-priseur la distinction des gants blancs, accordée par Sotheby’s en pareille occasion. On a remarqué la forte participation de quelques grands marchands français – Sourget, Vrain, Bodin, Laucournet - qui se sont octroyés les lots principaux. La Bibliothèque Nationale de France a préempté le manuscrit des Faux-Monnayeurs de Gide, qui était accompagné d’épreuves dactilographiées corrigées, et qui a constitué la seule vraie déception de ce marathon bibliophile (à côté d’un manuscrit des Chansons de Bilitis de Pierre Louys), avec une enchère identique à celle de Proust : 2,232 millions de francs pour une estimation entre 3 et 5 millions de francs. La Direction des musées de France a été particulièrement active, exerçant 21 préemptions pour les bibliothèques de Bordeaux, Lille, Nantes, Marseille et Tours. Le total de la vente Hayoit – 1228 lots – a rapporté 52,2 millions de francs, frais compris. Les responsables de Christie’s et de Sotheby’s sont convaincus que Paris deviendra plus encore que par le passé une place centrale pour la bibliophilie. En attendant la vente de la bibliothèque Giannalisa Feltrinelli chez Christie’s le 11 décembre, ce premier résultat semble leur donner raison.