Gaffé, l’art tribal et les surréalistes…Les pièces africaines et océaniennes du collectionneur belge, proposées aujourd'hui chez Christie's à Paris, auront-elle le même succès que ses tableaux de Léger et Miro récemment vendus à New York ?
| Île de Pâques,
Moai Kava-Kava,
bois dur, obsidienne et os
Estimation : 1 / 1,5 millions FF |
Quelles étaient les pièces recherchées par René Gaffé ?
Pierre Amrouche, expert près la Cour d’appel de Lomé. René Gaffé n’était pas un simple collectionneur d’art tribal. C’était un grand bibliophile à la recherche de manuscrits et de reliures rares, un homme très ouvert qui réunissait des œuvres allant de l’Antiquité à l’avant-garde. Parce qu’à son époque, les tableaux de Miro ou Léger étaient des tableaux avant-gardistes. En art tribal, ses choix étaient tout aussi éclectiques. Art précolombien, océanien ou africain, il est d’autant plus difficile de savoir ce qu’il recherchait qu’il n’a pas théorisé sur sa propre collection.
| Fang, Gabon,
Reliquaire Byeri,
bois dur et métal
Estimation : 2 / 3 millions FF |
Comment a-t-il constitué cette collection ?
Pierre Amrouche. René Gaffé a constitué cette collection entre 1920 et 1945-50. Il était très averti du marché. Il fréquentait des collectionneurs et des marchands importants. Dans les années 30, Charles Ratton et Louis Carré avaient une galerie. Ils conduisaient pour l’étude Alphonse Bellier les premières grandes ventes parisiennes d’art tribal, comme celle d’Eluard et Breton en 1931. Ils étaient vraiment les intermédiaires obligés pour tout collectionneur. C’est auprès d’eux que René Gaffé a acquis les trois pièces Fang et une statuette Léga en ivoire qui appartenaient à Paul Guillaume. Ratton les avait auparavant sélectionnées pour les exposer à la grande rétrospective de 1935, « African negro art » au Museum of Modern Art de New York.
Quelle est la place de ses relations avec les surréalistes dans cette collection?
Pierre Amrouche. Vers 1920-1930, René Gaffé était très proche de Breton et Eluard. Il était en quelque sorte leur mécène à une époque où il n’était pas facile de vivre de sa plume, surtout avec des écrits surréalistes. En retour, ils lui servaient de courtiers en cherchant des pièces chez des antiquaires spécialisés ou dans des ateliers d’artistes. Ils lui vendaient même certaines de leurs pièces quand ils manquaient d’argent. C’est ainsi que Gaffé a acquis un masque Baga qui avait appartenu à Matisse puis à Breton, qui le décrit d’ailleurs dans Nadja. Tout cela fonctionnait comme une « petite bourse du commerce ».
Un dernier mot ?
Pierre Amrouche. Les 27 pièces proposées constituent l’intégralité de la collection Gaffé telle qu’elle a été inventoriée à Bruxelles par Charles Ratton en 1952. Il y a des œuvres exceptionnelles comme les trois pièces Fang, une figure Moai kava kava de l’île de Pâques, un crâne Bakota qui provient de la collection d’Eluard ou une effigie Uli de Nouvelle-Irlande. Toutes seront vendues sans prix de réserve et, selon le souhait de Madame Gaffé, le produit de la vacation sera reversé à l’Institut Curie.
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