Des védutistes en Bourgogne

Comment expliquez-vous cet attrait pour le paysage de Bourgogne au 19e siècle ?
Sophie Barthélémy. Vers 1830, on assiste à une redécouverte des provinces françaises comme l’Auvergne, le Jura, le Dauphiné et la Bourgogne. Si l’Italie et ses ruines romaines avaient, dans un premier temps, attiré de nombreux artistes au début du siècle, ceux-ci se tournent ensuite vers la beauté et la variété des paysages nationaux. En 1851, la nouvelle ligne de chemin de fer facilite l’accès à une campagne intacte et aux villages pittoresques de Bourgogne. Si les peintres trouvaient ici un lieu de villégiature propice à la création, on ne peut pas parler de véritable école de paysagistes, ni de colonie d’artistes comme à Barbizon. On retrouve cependant un goût pour l’obscurité ainsi que le thème des paysages à la mare. Outre les plaines et les vues de la campagne locale, les peintres animaliers ont également trouvé matière à peindre : Charles Jacque, Rosa Bonheur et Brascassat participent par leurs œuvres à la notoriété de la race charolaise.

Et parmi les artistes qui fréquentaient ces campagnes ?
Sophie Barthélémy. L’exposition fait le point sur les paysagistes de passage et les peintres locaux. Qui savait que Jongkind avait réalisé des aquarelles du vieux Nevers et de ses alentours ? Que Rosa Bonheur a trouvé ici l’inspiration pour son Labourage nivernais et que Corot rendait régulièrement visite à son arrière grand-père à Mussy-la-Fosse. Notre panorama sur le paysage en Bourgogne au 19e siècle débute avec le romantique Etienne Bouhot et ses paysages d’architecture dans les années 1830, et s’achève sur les travaux de Jean Laronze un siècle plus tard. D’origine bourguignonne, Corot honorait souvent de sa présence les terres de la lisière du Morvan. Des séjours illustrés par des peintures aujourd’hui conservées au Louvre telle que Saint André en Morvan et de nombreux croquis comme ces Études d’arbres, Panorama de Vézelay ou Paysage du Morvan. Bien d’autres artistes se sont révélés attirés par ces vues de Bourgogne : Jean-Jean Cornu, très apprécié par Courbet, expose ses paysages dijonnais, Hector Hanoteau, Amédée Jullien. Félix Ziem, originaire de Bourgogne, ne produit qu’une seule peinture de paysage mais multiplie les études dessinées à l’image de Dijon, vue des Perrières. Harpignies choisit cette région pour y terminer ses jours.

Cette exposition a-t-elle permis de redécouvrir certains artistes ?
Sophie Barthélémy. L’œuvre de Jean Laronze est au centre de cette présentation. Né en 1852, il fait toute sa carrière en Bourgogne où il puise l’essentiel de son inspiration. Hostile au naturalisme, son œuvre se situe à mi- chemin entre Millet et Puvis de Chavannes. Une toile comme L’Angélus rend hommage au maître réaliste tandis que Les pêcheurs charolais font référence au Pauvre pêcheur du peintre symboliste. Les bords de la Loire et les lointains vaporeux restent ses thèmes favoris. Ses séries, « Bergères », « Pêcheurs » au « Lavandières » ne présentent pas le labeur des paysans mais le réalisme poétique qui s’en dégage. Dessinateur avant tout, le fusain était sa technique de prédilection. Formé chez Bouguereau, l’artiste, aux dessins très aboutis, pourtant en marge des avant-gardes, atteint une certaine notoriété de son vivant.

Pourquoi ce regain d’intérêt pour le paysage dans les musées français ?
Sophie Barthélémy. Il est vrai que depuis une quinzaine d’années, on assiste à un élan visant à revaloriser les artistes locaux comme ont pu en témoigner les expositions des musées des beaux-arts de Lyon ou encore de Beauvais. S’il s’agit, en partie, d’un effet de mode, il ne faut pas oublier que les expositions de ce genre permettent à la fois d’étudier la collection permanente mais aussi de mettre en valeur les régions et leurs caractéristiques propres. À l’origine, nous souhaitions axer notre présentation sur l’œuvre de Laronze et perpétuer ainsi le souvenir de cet artiste bourguignon. Devenu plus ambitieux, avec 80 œuvres exposées, le projet a ainsi associé le fonds de paysages du 19e du musée aux divers prêts d’établissements publics et privés.