Gauguin, le sauvage cataloguéLa nouvelle édition du catalogue raisonné de l'artiste, publié par le Wildenstein Institute, s'ouvre avec la période 1873-1888. Du port de Grenelle à la petite maison jaune…
Gauguin n’arrive plus à quitter le devant de la scène… Un jour, on annonce qu’il a coupé l’oreille de Van Gogh. Le lendemain, on découvre dans les réserves d’Amsterdam l’unique portrait que le Hollandais aurait peint de lui. Aujourd’hui, on vend l’un de ses bois gravés, déjà préempté par l’Etat français. Demain, c’est au tour d’un meuble, dont l’estimation se mesure en millions de francs. En attendant le déluge des expositions de 2003, pour le centenaire de sa mort, où en est-on réllemment, au-delà de l’anecdotique et du scandaleux, sur la connaissance de son œuvre ? Un ouvrage, peaufiné sur une durée qui en fait un cas d’école dans la frénésie éditoriale actuelle, est là pour répondre. Daniel Wildenstein est mort le jour de la mise en vente de ce nouveau catalogue raisonné. Coïcidence ou destin à la Molière, qui s’éteint sur scène ? Le collectionneur, galeriste et amateur d’art a en effet fait de la publication de catalogues raisonnés la principale raison d’être de sa fondation. On se souvient notamment du Géricault de Germain Bazin, des Manet et Monet de Wildenstein lui-même et l’on attend avec impatience, entre autres, un Marquet pour mars 2002.
Ce «Gauguin» met à jour la précédente édition de 1964. Sans urgence : les deux volumes publiés ne couvrent que les années 1873-1888. Cette dernière date est bien sûr une charnière : deux ans après Pont-Aven, c’est l’expérience arlésienne, le contact avec la lumière du Midi, le refus de certaines conventions de perspective : à bas la profondeur ! Au total, de la jeunesse à la fin de l’innocence, ce sont 15 ans et 330 peintures : un corpus, somme toute modeste, de 20 œuvres par an. Chacune est décrite, commentée, accompagnée d’une bibliographie spécifique, d’un historique des expositions et des transferts de propriété. Le genre du catalogue raisonné, que l’on imagine volontiers austère, illustré en noir et blanc, sans paragraphes – pour décontenancer le néophyte – a pris un coup de jeune. L’iconographie, abondante, ne selimite pas aux tableaux. Un plan aide à visualiser la petite maison au 8 de la rue Carcel, à Paris, occupée au début des années 1880. Pour Le port de Bordeaux (1886), un cliché récent permet de comparer la topographie des lieux. Accompagnant les portraits de ses enfants – Aline ou Clovis, tous deux morts avant leur père – des photographies anciennes en restituent les traits. Le texte est animé par de nombreux encadrés thématiques : la technique de rendu du feuillage, le choix des rouges, le mystère du monogramme «P Go». L’année 1888 se clôt sur Autoportrait, Arles. On attend pour les prochaines années deux ou trois volumes sur les peintures (1888-1903 ) puis autant, peut-être, sur l’œuvre gravée et les sculptures. Gauguin ? Un univers.
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