Gauguin et Bernard : le Paradis retrouvé

La féconde collaboration de Paul Gauguin et d'Emile Bernard à Pont-Aven est bien connue. Les œuvres créées durant l’été 1888 illustrent leur « communion » autour du tout nouveau colorisme et des sujets primitifs, la Bretagne agraire et sauvage. Quant à l’histoire des autoportraits échangés par les deux peintres selon le souhait de Vincent Van Gogh, elle témoigne d’une fraternité qui aurait du aboutir à la création d’un atelier collectif en Arles. Mais on parle peu des meubles usuels que les artistes achetaient puis décoraient à quatre mains, dans un goût commun des objets populaires.

Ce meuble bas en châtaigner est l’un d’entre eux, tout comme une armoire ornée d’une scène de cueillette qui figurait dans la collection d’Emile Bernard. Lors de l’établissement du catalogue, l’expert, Franck Baille, lui a trouvé un titre, Paradis terrestre, s’appuyant sur l’iconographie des reliefs des traverses et des montants. « Jusqu’ici, on avait surtout insisté sur la « lutte » que l’on croyait reconnaître sur le dormant central, explique-t-il. C’était sans prendre en compte la récurrence des pommiers, l’arbre du péché, les figures symétriques d’homme, une oie entre les jambes, et de femme nue, un serpent entre les jambes. Ce qu’on avait pris pour une lutte est certainement une étreinte, ce qui expliquerait le regard pudiquement détourné de la femme au premier plan. »

Pour une telle œuvre, le Wildenstein Institute se refuse à évaluer la part de travail des artistes. D’ailleurs, le traitement cloisonné et schématique évoque leurs recherches stylistiques communes tandis que les motifs renvoient à leurs œuvres contemporaines. La composition du dormant central avec ses visages féminins séparés de la scène observée par un tronc oblique est un écho direct à la Vision du sermon de Gauguin et les silhouettes du montant gauche rappellent celles des Bretonnes dans la prairie de Bernard. Pourtant si cette œuvre est celle d’un duo d’artistes, elle s’inscrit bien plus aisément dans le parcours de Gauguin. Des céramiques réalisées en collaboration avec Chaplet jusqu’aux panneaux de la Maison du jouir conçus pour la case de l’artiste à Atuona, le goût de Gauguin pour la sculpture est en effet bien mieux documenté que celui d’Emile Bernard.