Dernières nouvelles du corps

Au Passage de Retz, des monstres se sont réveillés. Ou seulement des corps informes, rigidifiés, maltraités, des corps qui souffrent, dissociés de l’esprit, médiateurs d’expériences crues, brutales. Dans les quatre salles, le visiteur est saisi… Le propos des toiles peut être cruel, dérangeant mais c’est de la vraie bonne peinture, celle qui vient des «tripes», celle qui respire, qui fait réfléchir, qui donne enfin «à voir». Dans ces œuvres, traversées par une terrible tension, la froideur des dépouilles ou des hybrides s’oppose aux élans de la chair, les limites du corps aux volutes infinies de l’âme. Quarante œuvres qui ne trichent pas ! Dans l’espace des tableaux de Fred Kleinberg et d'Emmanuelle Renard, cette tension impose ou requiert un ordre, complexe, mais profondément un, qui fait que les deux artistes cherchent leur salut. Ou plutôt celui de l’humanité et de la peinture. Les corps sont portés par une puissance expressive de la couleur. Ils veulent qu’ait lieu cette alchimie sublime qui fait que, face à leurs toiles, chacun ressent combien leurs personnages sont vivants, bien que dégradés, et combien ils sont portés par un désir d’invalider une certaine décadence du corps.

Pourquoi «Obscénité et fureur» ? Dénonceraient-ils un monde désincarné ou bien, plutôt, les conflits qui traversent notre présent et «cette nécessaire résistance à l’écroulement du monde historique» ? Car, dans l’histoire de l’art, certaines époques représentent les passions de l’âme ou les épreuves du corps : douleur, peur, désespoir, impuissance…. Certains artistes livrent une vision à la fois terriblement lucide et très engagée de la condition humaine. Emmanuelle Renard et Fred Kleinberg sont de ceux-là. Reflets de l’animalité qui remonte sournoisement des entrailles humaines, des pulsions débridées qui minent la chair, de l’horreur gratuite qui s’étale sans condescendance dans l’actualité. «Personnages ou animaux ou autres montages anatomiques se refusent à la parole. Ils ont trop à faire avec leur corps…». Emmanuelle Renard traque la Bête en chacun d’entre nous. Les Convives, De Fureur, Sarcasme ou Isolement tourbillonnent dans une sorte de danse macabre, «proche d’une bacchanale absurde». «L’intégrité du corps est en permanence menacée, les enveloppes se déchirent, la pâte picturale se transforme en une masse qui arrête et fascine». Fred Kleinberg fait s’entredévorer ses personnages, non par plaisir, mais par nécessité, «parce qu’il n’y a que le drame qui me fait peindre». Vanité collective, Chute de corps, Cannibalisme ou I wanna be your dog sont autant de métaphores de la soumission, de l’aliénation et de l’ambiguïté. Ces deux artistes sont compagnons de route d’une peinture «qui, sans être expressionniste, (…) montre des états de corps exprimant une grande colère». Un appel à la résistance quotidienne !