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Meyerowitz, narrateur de la comédie humaine

Chantre de la photographie couleur, l’américain Joel Meyerowitz se voit consacrer un volume de la collection Phaidon 55. Découverte d’une œuvre atypique.


Couverture du livre
Joel Meyerowitz
© 2001 Phaidon Press Limited
A l’image des autres volumes de la collection, le présent ouvrage est constitué d’un essai d’une dizaine de pages suivi de 55 photographies d’importance, jalonnant sa carrière, accompagnée chacune d’un texte du photographe les commentant. Cette association de Meyerowitz à l’écriture a un précédent : l’auteur, Colin Westerbeck, écrivain, critique et conservateur du département photographie à l’Art Institute de Chicago, connaît Joel Meyerowitz avec lequel il a déjà co-écrit Bystander, A History of Street Photography. La complicité entre l’auteur et le photographe est sensible dès les premières pages. Malgré la brièveté de l’essai, Colin Westerbeck parvient à traduire l’émerveillement ressenti par Meyerowitz à la découverte de ce médium qu’il ignorait. Le récit prend pour point de départ l’élément déclencheur de sa carrière de photographe, la rencontre avec Robert Frank en 1962. Jusque là, directeur artistique dans la publicité, Meyerowitz reçoit cette vision de Frank au travail comme une révélation. C’est la confirmation qu’il attendait pour changer de vie. Le parti narratif adopté pour cet essai permet de nous faire partager l’enthousiasme du photographe, ses aspirations, ses choix artistiques et leurs motivations. A l’instar de Robert Frank, Meyerowitz est un photographe de rue, s’inscrivant dans cette tradition de l’instant décisif. Mais si leur démarche est proche, leur regard diffère. Nul pessimisme chez Meyerowitz, sa photographie n’est pas une peinture tragique de l’Amérique des années 60 et 70 mais davantage un hymne aux bizarreries charmantes qui peuplent son quotidien.

Les 55 photographies sélectionnées illustrent quelque 38 ans de pratique, de 1962 à nos jours. Photographe de l’instant et de l’instinct, Meyerowitz fixe les foules affairées des rues new-yorkaises, en noir et blanc puis en couleur. Ses clichés sont savamment composés, ces images très architecturées usent de la mise en abîme du cadre afin de créer une structure forte. Cette capacité à composer dans l’urgence est certainement l'héritage de son passé de directeur artistique. Meyerowitz possède cette maîtrise du cadrage, grâce à laquelle l’acte d’enregistrement que constitue la photographie devient acte de création. Les courtes annotations du photographe, accompagnant chacun des clichés, sont souvent de l’ordre de l’anecdote et apparaissent, en fait, fort précieuses car elles nous font pénétrer au cœur du processus créateur et découvrir la genèse d’une photographie, les raisons qui poussent son auteur à arrêter son regard sur telle ou telle scène. Souvent empreints d’un certain sens comique, les propos du photographe témoignent de son attachement pour cette Amérique curieuse et parfois excentrique. Ces réflexions sont également émaillées de pensées théoriques du photographe et l’on mesure alors la cohérence de l’œuvre, qui, des premières images en noir et blanc aux paysages en couleur de Cape Cod, témoigne d'une même démarche. Tous ces clichés sont autant « d’éclairs humains ». Meyerowitz fixe ses sujets, scènes de rue ou paysages, lorsque l’insolite se manifeste, et à ce titre, il est assurément un des grands représentants modernes de l’instant décisif.


 Raphaëlle Stopin
05.02.2002