PARIS, 4 jan (AFP) - Il avait un oeil infaillible. Le Dr Gustav Rau, mort jeudi à Stuttgart à 79 ans, avait constitué en trente ans, avec l'acquisition de près d'un millier de peintures, sculptures et objets, la plus belle collection privée au monde après celle du baron Thyssen. Sa collection couvre cinq siècles de peinture occidentale avec notamment 423 peintures, 238 sculptures et 91 objets. Trois cent mille visiteurs avaient pu admirer une centaine d'oeuvres de sa collection au Musée du Luxembourg du Sénat à Paris en l'an 2000, lors de l'exposition intitulée "De Fra Angelico à Bonnard". Parmi ces chefs-d'oeuvre, deux fragments de retable de Fra Angelico, le "Portrait de François-Henri, duc d'Harcourt" de Fragonard, pris sur le vif, toile préférée du collectionneur, un poignant "Saint Dominique en prière" du Greco ou le dernier "Autoportrait" de Degas. Mais on admirait également les Tiepolo, Canaletto, la "Cuisinière" de Gerard Dou, première toile achetée par le Dr Rau, Cranach l'Ancien, les oeuvres de Millet, Boucher, La Tour, Gainsborough, Corot, Courbet, Cézanne, Monet, Pissarro, Vuillard, Renoir, Sisley, Toulouse-Lautrec, Klimt, Dufy ou Munch...
Ce milliardaire achetait "au coup de foudre, quasiment sans conseil", selon Marc Restellini, commissaire général de l'exposition. Plusieurs fois par an, il se rendait aux ventes à New York, Londres ou Paris. Né le 21 janvier 1922 dans une famille d'industriels de Stuttgart, après un doctorat de sciences politiques, il intègre l'entreprise d'accessoires automobiles de son père. A 40 ans, il se lance dans la médecine. Héritier de l'empire paternel et par son oncle, du cube Maggi, il revend tout pour partir en Afrique. Pédiatre au Nigeria pendant quelques années, il se rend ensuite au Zaïre où il fait construire un hôpital dans la région de Bukavu, malgré les conflits Tutsis-Hutus. Il vit là-bas simplement et revient en Europe pour constituer sa fabuleuse collection, parfois dans des conditions cocasses. Le brouillard londonien lui permet ainsi d'acquérir "La Mer à l'Estaque" de Cézanne en 1981 : le jour de la vente, le "fog" avait empêché les avions des principaux marchands d'atterrir. Le Dr Rau, plus prudent, avait regardé la météo et pris le ferry. Aucun enchérisseur sérieux n'était à la vente. "Il était un homme parfait du XVIIIème, se souvient un organisateur de l'exposition parisienne. Lorsqu'on lui avait demandé de commenter l'accrochage au Musée de ses toiles, il avait répondu "délicieux". Très croyant, presque mystique, disent certains, il avait bâti cette collection qui lui ressemblait, avec beaucoup de portraits au regard pénétrant. Cet homme au regard bleu clair et à l'intelligence vive, frappé d'hémiplégie, se déplaçait en fauteuil roulant mais gardait son humour. Quand le projet d'installer sa collection à Marseille dans un bâtiment devenu depuis le Musée d'art contemporain, le MAC, avait été abandonné, il avait commenté : "heureusement que cela ne s'est pas fait, on aurait appelé cela le maquereau!" (MAC-RAU). Récemment frappé d'une pneumonie, le Dr Rau meurt en laissant à la postérité ce qu'il appelait son "petit Louvre".
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