Des plumes et des hommes

S’il est des objets à la fois emblématiques des cultures amazoniennes - qui n’a le souvenir d’images d’Epinal peuplées de bons sauvages aux coiffes chatoyantes ? - et rarement présentés au public, ce sont bien les parures de plumes. La Fondation Mona Bismarck comble cette lacune en présentant pour deux mois 150 œuvres venues de collections privées et de grands musées ethnographiques européens, de quoi saisir l’infinie variété de cet art. Celle-ci tient avant tout à l’éventail naturel de couleurs et de textures de plumes qui rend presque caduque l’usage de techniques de coloration pourtant connues des populations, à l’instar du fascinant « tapirage », qui permet de changer la couleur du plumage d’un oiseau en frottant sa peau dénudée avec le sang d'une grenouille ou le gras d'un poisson spécifique. Mais au-delà de cette richesse, entre en ligne de compte l’imagination des plumassiers, dont les visières, coiffes, labrets, couronnes, ceintures, colliers et boucles d’oreille doivent révéler la beauté des corps masculins.

D’un bout à l’autre, l’art de la plume est en effet celui des hommes. Ce sont eux qui chassent, avec d’astucieuses pointes rhomboïdales qui heurtent les oiseaux sans les tuer, évitant que les plumes ne soient souillées et qui mettent en cage perroquets ou toucans pour « récolter » leurs plumes. Ce sont eux qui collent et ligaturent duvets, pennes ou longues plumes sur des cadres rigides ou des supports flexibles. C’est à eux enfin que revient l’honneur d’arborer ces parures lors de rites et de fêtes. Un geste dont la portée ne peut limitée au simple désir de parader et d’attirer le regard. Ces objets ont en effet une importante fonction identitaire. En marquant l’appartenance à une classe d’âge, à une tribu, à un clan, à une société, ils affirment l’organisation sociale. Un rôle qui fait d’ailleurs écho aux mythes amérindiens relatifs à l’origine de la diversité des espèces dans lesquels la société des oiseaux sert de métaphore à celle des hommes.

Transporter les visiteurs d’un hôtel particulier parisien au cœur de la forêt amazonienne, le pari peut paraître ambitieux. Il est pourtant admirablement tenu. Ce tour de force tient en partie à l’adroite muséographie qui associe l’obscurité convenant au respect d’œuvres infiniment fragiles à l’évocation de la verte lumière des sous-bois équatoriaux. Une muséographie qui fait renaître la magie de ces apparitions dont on comprend qu’elles aient pu marquer l’esprit des Européens au point que certains d’entre eux ont rapporté de leurs périples des pièces « kitsch », nées de la rencontre entre une esthétique indigène et le goût occidental. En témoigne, en fin de parcours, un étonnant ensemble d'objets venus du musée ethnographique de Munich, dont le costume de Dom Pedro Ier du Brésil et de son épouse, savant mélange entre opulence rococo et art plumassier brésilien que l’empereur n’osa jamais porter, de peur de ressembler plus à Papageno qu’à un prince…